Lettre ouverte à Mireille Dumas & Marcel Rufo
par Olivier Maurel
Madame, Monsieur,
J’ai regardé avec beaucoup d’intérêt votre émission sur la maltraitance et les abus sexuels.
Mais j’avoue que j’ai été très surpris de vous entendre tous les deux insister pour dire que “A 95% les enfants maltraités ne répètent pas l’acte” (Mireille Dumas) ou “93% des parents sont d’excellents parents” (Marcel Rufo) à la génération suivante.
Je sais bien que ces propos viennent des études sur la résilience, mais malheureusement ces études sont en grande partie fausses. Et il suffit de raisonner mathématiquement pour s’en rendre compte. Même si on admet, ce qui est vrai, que toutes les victimes ne deviennent pas bourreaux, il faut bien admettre, avec Alice Miller, que “tous les bourreaux ont été victimes” d’une manière ou d’une autre. Or, si vos pourcentages étaient vrais, il y a beau temps que toute maltraitance et tout abus sexuel auraient disparu de la surface de la terre car en admettant que 10% des enfants abusés répètent (10% pour faciliter la démonstration), il n’y en aurait plus que 1% à la génération suivante, , puis O,01%, puis 0,0001, et rapidement, plus personne. Et avec 5 ou 7% la disparition serait encore plus rapide! Mais d’où sortent alors tous les pédophiles et les parents incestueux?
Et en ce qui concerne la maltraitance, je pense que vous reconnaîtrez que frapper un enfant à coups de bâton, le forcer à regarder le soleil, lui mettre de la pâte de piment dans les yeux, dans l’anus ou dans le sexe est bien une forme de maltraitance. Or, cette forme de maltraitance dure depuis des millénaires sur un continent comme l’Afrique et elle concerne, d’après les études les plus fiables 90% des enfants. Comment cette réalité pourrait-elle être compatible avec vos propos si rassurants ?
L’erreur des chantres de la résilience vient de ce qu’ils ne tiennent jamais compte de la violence éducative ordinaire, c’est-à-dire du niveau de violence à l’égard des enfants parfaitement toléré dans une société. Chez nous le seuil de tolérance est franchi quand on dépasse la gifle ou la fessée, mais cela depuis relativement peu de temps. Auparavant, il y a moins d’un siècle ou un siècle et demi, le bâton, le fouet, la ceinture étaient parfaitement acceptés et l’usage s’en répétait de génération en génération. En Afrique le bâton est resté un moyen normal d’élever les enfants. Et, quoi qu’en pensent les chantres de la résilience, l’usage se répète de génération en génération depuis des millénaires toujours avec le même pourcentage. Les 5% épargnés, peut-être depuis peu, ne constituant pas une masse suffisante pour avoir valeur d’exemple.
Quand il y a maltraitance caractérisée, c’est-à-dire non tolérée dans la société où elle se produit, alors les enfants maltraités ont des chances de rencontrer autour d’eux des gens qui leur manifestent de l’affection, du respect, leur disent qu’ils sont maltraités et leur permettent ainsi de ne pas répéter ce qu’ils ont subi. Mais quand ce qu’ils subissent est parfaitement admis par tout le monde, quel que soit le niveau de violence de ce qu’ils subissent, ils ne rencontrent autour d’eux que des gens qui leur disent qu’ils ont été méchants, désobéissants et qu’ils ont bien mérité ce qu’ils ont subi.
Autrement dit la répétition ou la non-répétition ne dépend pas, comme tend à le faire croire la théorie de la résilience, d’une espèce de loi interne qui ferait que les enfants réagissent d’eux-mêmes contre ce qu’ils ont subi et parviennent à ne pas répéter. Elle dépend essentiellement de la complicité ou de la non-complicité de la société environnante avec ce qu’ils ont subi.
Malheureusement, il est très significatif que la théorie de la résilience se soit si bien implantée dans les esprits. C’est qu’elle est, avec son apparence scientifique, un moyen de plus de sous-estimer ou de nier l’existence de la violence éducative ordinaire que tout enfant qui l’a subie (90% d’entre nous) cherche à nier tant elle est humiliante quel que soit son niveau. Autrement dit, la théorie de la résilience est complice de notre aveuglement sur la violence éducative ordinaire et elle contribue à la faire durer. Il est d’ailleurs significatif que Boris Cyrulnik soit tout à fait opposé à une loi qui interdise cette violence.
De grâce, vous qui, avec votre notoriété, disposez d’un formidable porte-voix, ne participez plus à cet aveuglement et au maintien de cette illusion!
Olivier Maurel
- Allocution de Brigitte Oriol à l’occasion du colloque organisé par la FF2P dédié à la mémoire d’Alice Miller
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