Allocution de Brigitte Oriol à l’occasion du colloque organisé par la FF2P dédié à la mémoire d’Alice Miller les 22 et 23 octobre 2010 à Paris « Amour et Châtiments », la violence éducative ordinaire et ses conséquences
Je remercie tous les organisateurs d’avoir réuni autant de monde autour du thème « La violence éducative ordinaire et ses conséquences» en dédiant ce colloque à la mémoire d’Alice Miller. Ca fait plus de trente ans qu’AM s’est engagée à libérer la société de son ignorance sur le fait que la maltraitance des enfants produit non seulement des enfants malheureux et perturbés, des adolescents destructeurs mais aussi des parents maltraitants.
Elle a consacré toutes ces années à nous éclairer sur cette dynamique et à l’heure actuelle nous continuons à passer sous silence les conséquences de la brutalité, du sadisme et d’autres perversions qui sont des comportements extrêmement dangereux pour le bon développement de l’enfant.
Elle n’a cessé de dénoncer la société toute entière qui contribue à ce déni en protégeant les agissements des parents et même en les encourageant à renforcer leur autorité sans hésiter à employer la force pour arriver à leur fin. La fin est assurément garantie mais c’est la fin d’une substance absolument nécessaire à l’espèce humaine que le parent détruit à tout jamais, avec toute son ignorance, son ardeur et son aveuglement, c’est l’empathie. Dénués de cette matière essentielle, nous nous retrouvons incapables de nous indigner devant ce que nous devrions trouver inacceptable et révoltant.
Je ne connais pas les propos de tous les intervenants de ce colloque et je me doute aussi qu’ils ne reflèteront pas toujours les fondements des travaux d’Alice Miller qui ont été très critiqués, même dans le monde de la thérapie car elle n’a jamais fait aucun compromis avec les traitements, souvent inimaginables, endurés pendant l’enfance et c’est toujours placée du côté de l’enfant.
Nous ne pouvons régler les problèmes liés aux maltraitances par des thérapies évitant les faits. Ce n’est pas en proposant de tourner la page sur le passé, ni en comprenant ce que nos parents ont enduré jadis et encore moins en faisant croire que l’on peut soulager sa souffrance en pardonnant à nos parents, mais c’est en se confrontant émotionnellement avec la vérité de notre enfance que nous pourrons abandonner le déni de notre souffrance, développer l’empathie pour l’enfant que nous fûmes et ainsi comprendre les raisons de nos peurs. C’est ainsi que nous pouvons nous libérer du poids des angoisses et des sentiments de culpabilité dont on a chargé nos épaules depuis nos plus jeunes années.
C’est en hommage à Alice que j’ai choisi de vous lire un extrait tiré de son livre « L’enfant sous terreur » parce que j’ose espérer que nous repartirons de ce colloque plus conscients des dangers de ce fléau pour être encore plus honnêtes, plus courageux et plus compatissant pour accompagner nos patients.
« Quelquefois je ne peux m’empêcher de me demander combien il faudra de cadavres d’enfants aux psychanalystes pour qu’ils acceptent de ne plus ignorer la souffrance de leurs patients dans leur enfance, et de ne plus s’efforcer de les en détourner à l’aide de la théorie des pulsions. Un analyste ne peut pas changer grand-chose aux mauvais traitements infligés à l’enfant. Mais tant qu’il défend des théories qui couvrent et dénient les mauvais traitements manifestes, il empêche le processus de prise de conscience aussi bien chez ses patients que dans le public. Il contribue au refoulement collectif d’un phénomène dont les conséquences touchent directement chacun d’entre nous.
Le refoulement des traumatismes de la petite enfance, imposé dans notre société par le quatrième commandement, engendre une attitude collective de refoulement qui agit aussi dans le cabinet de l’analyste ».
Alice Miller
C’est en mémoire à Alice Miller que j’ai choisi de lui rendre hommage en parlant d’un outil essentiel qu’elle nous a donné pour la thérapie, c’est l’indignation qui peut permettre à nos patients de les sortir du silence dans lequel ils se sont emmurés, pour certains, depuis leur plus jeune âge.
Bien que nous sachions depuis trois décennies maintenant que les enfants frappés, frapperont à leur tour, cela n’alerte pas plus l’opinion publique. Bien au contraire, sans nous poser la moindre question, nous continuons à agresser nos enfants à coup de fessées, de gifles, de toutes sortes d’humiliations et de tortures sans susciter la moindre indignation.
On peut se révolter contre l’exploitation des enfants à la prostitution, contre la barbarie sur les animaux mais pas sur la maltraitance des petits enfants. Durant toutes ses années de recherches, Alice Miller en est arrivée à la conclusion que la majorité d’entre nous avons été des enfants maltraités et que nous avons dû apprendre très tôt à le refouler pour pouvoir survivre. Nous n’avions pas d’autre choix que de nous convaincre que ces traitements étaient non seulement mérités mais aussi nécessaires pour ne pas devenir des monstres dangereux.
Quand nous sommes façonnés par une éducation qui n’a eu de cesse d’endommager notre cerveau pour nous rendre totalement dépendant des attentes et de la propre enfance de nos parents, nous perdons à tout jamais notre capacité d’empathie et enregistrons à la place des informations totalement erronées. C’est pourquoi nous entendons les sempiternels refrains : « Mes parents ont fait ce qu’ils ont pu – Heureusement que j’étais corrigé parce que j’étais un enfant terrible ». De cette façon, il devient évident que l’on ne puisse pas s’indigner devant les mauvais traitements que l’on fait subir à un enfant car nous avons appris à nous couper, jadis, de la douleur causée par les humiliations pour faire la place à la compréhension des parents et l’amour que tout enfant s’évertue à leur donner en se mettant au service de leur bon vouloir.
Cette dynamique de déni se retrouve dans de nombreuses pratiques thérapeutiques qui visent à comprendre l’histoire de ses parents ou encore à oublier le passé, à chercher les racines de sa souffrance ou de sa maladie dans l’histoire de ses ancêtres, sans oublier le pardon qui témoigne, selon certains, d’un niveau spirituel élevé ou de l’accomplissement de sa guérison. Ainsi, on maintient son patient dans le mensonge en le gardant à distance de la réalité douloureuse de son enfance, on l’empêche de se libérer des souffrances du passé qui le tiennent enfermé dans la dépression et la maladie et on nourrit grassement le cercle vicieux de la violence.
Certains illustres psychiatres, psychologues refusent de voir le sadisme chez les parents et enrichissent même les magazines d’idées pour savoir comment punir les enfants. Il est plus confortable de croire que l’enfant est mauvais en soi que d’admettre que les parents se vengent inconsciemment de leur passé en martyrisant leur enfant.
Depuis la création du site d’Alice Miller, nous recevions des dizaines de lettres par mois nous demandant l’adresse d’un « bon » thérapeute, un qui n’aurait pas peur d’entendre leur histoire et la prendrait vraiment au sérieux. Après en avoir consulté plusieurs en vain, une grande majorité d’entre eux ont préféré renoncer à leur recherche pour s’appuyer sur les livres d’Alice et la rubrique courrier.
Les thérapeutes aussi ont été probablement victimes de mauvais traitements et n’ont peut être pas eu la chance de découvrir leur souffrance refoulée avec un thérapeute qui se plaçait sans réserve du côté de l’enfant qu’ils furent et se retrouvent ensuite dans l’incapacité de manifester la moindre réaction devant les récits souvent tragiques de leur client.
Ce colloque est peut être l’occasion de s’interroger sur son positionnement, à savoir si je suis un témoin éclairé, qui peut supporter la vérité de la prime enfance ou si je protège les parents.
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