Les violences familiales sur les enfants

Les violences familiales sur les enfants

Interview avec Brigitte Oriol par une classe de DUT Carrières Juridiques, réalisée dans le but d’un examen final

Brigitte Oriol – Psychothérapeute

Que signifie le mot violence pour vous ?

La violence est à large spectre, nous avons pour habitude d’entendre parler de la violence visible qui est facilement dénonciable et considérée par la justice. Il existe aussi la violence invisible qui a pour but de se faire obéir et respecter de nos enfants par de l’abus de pouvoir sur sa personne. Tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins, la menace, le chantage, les punitions, les privations, les coups, les brutalités, les humiliations, la négligence, l’abandon…. Ces traitements sont considérés, voire recommandés, parce qu’ils sont utilisés dans un but éducatif. Depuis des millénaires, les enfants sont ainsi traités et par conséquent la majorité de la planète les utilise sans que personne ne trouve cela révoltant et ne s’indigne devant cette aberration.

Rencontrez-vous couramment des enfants victimes de violences et des parents violents ?

Il suffit de sortir dans la rue pour voir des enfants victimes de violences et des parents violents. Le drame c’est que nous sommes spectateurs de tels agissements et personne n’intervient pour protéger l’enfant victime de brutalité. S’il nous arrive de porter assistance à l’impuissance de l’enfant, nous pouvons même nous faire remballer par le parent qui se défend de discipliner son enfant. Cela dit, la plupart des gens ignorent ce genre de scène tout simplement parce qu’ils ne sont pas touchés et d’autres trouvent même un contentement de voir une mère ou un père « bien » éduquer son enfant.
Nous avons appris depuis notre plus tendre enfance qu’il est juste et nécessaire d’être ainsi traité et c’est ainsi que nous avons perdu notre empathie qui nous fait défaut aujourd’hui, car elle nous empêche de nous indigner devant ce que nous devrions trouver inacceptable.
Il est plutôt rare qu’un parent vienne en thérapie pour violence sur enfant, car, à vrai dire, il n’est pas conscient de l’être, il le découvre pendant sa cure, dès lors qu’il commence à découvrir qu’il a été lui-même maltraité par ses propres parents.

Quels sont le plus souvent les éléments déclencheurs de cette violence ?

Il n’y a qu’une réponse à cette question, les traitements que l’on a subis dans son enfance sont toujours les déclencheurs d’une vengeance sur nos enfants. C’est seulement dans le but de rester dans le déni de notre passé que nous prétextons la fatigue, le débordement, les soucis financiers, la mauvaise journée au bureau. Chez un parent qui a vécu jadis, dans le respect de son intégrité, de ses émotions, qui a été nourri de compréhension et d’affection, il n’est pas inscrit dans son cerveau de réagir par la violence et il va trouver des ressources saines pour répondre aux besoins de son enfant.

Comment décelez-vous la violence sur les enfants ?

En n’ayant pas peur de regarder la façon dont il se comporte. Il est facilement décelable de voir si un enfant est maltraité ou pas, en observant sa façon de jouer avec les autres enfants, les signes de brutalités ou de grossièretés ne trompent pas, s’il est énurétique, s’il est souvent malade, hyperactif, introverti, mauvais élève, tous ces signes sont une manière pour l’enfant de tirer un signal d’alarme pour nous montrer que quelque chose ne va pas. Au lieu de ça, on le sanctionne d’avantage, on le catalogue de toutes sortes de noms d’oiseaux en l’enfermant dans le silence de son mal être. En refusant de voir et d’entendre ce qu’il tente de nous dire par son comportement, on le bâillonne à tout jamais et il n’a pas d’autre choix ensuite que de supprimer ses souffrances pour les faire réapparaître plus tard lors de l’adolescence ou de sa vie d’adulte en se vengeant sur des boucs émissaires.

Quelles sont les violences qui touchent le plus fréquemment les enfants ?

Tout est permis, il n’y a aucune restriction sur les moyens utilisés pour faire mal à un enfant ou blesser son intégrité à jamais. Le mépris, la négligence, l’ignorance, les humiliations, les coups, les privations, les abus sexuels sont tout autant meurtriers pour un enfant sans défense. C’est sans vergogne que l’on fait subir des traitements qui détruisent la capacité de s’épanouir, d’acquérir la confiance en soi, l’estime de soi et des autres et cela très tôt dans la vie de l’enfant, au moment même où son cerveau se construit entre 0 et 4 ans. La vie durant, il gardera les stigmates de ces traitements sans même pouvoir se rendre compte qu’ils mettaient sa vie future en danger mais qu’au contraire ils étaient nécessaires parce que ses parents lui auront fait croire que par ces traitements il lui on évité de devenir un monstre dangereux.

Quelles sont les répercussions sur l’enfant ayant subi des violences ?

Elles sont multiples, mais je vais vous parler d’une des plus dangereuses pour la société toute entière. Logiquement, un enfant qui subi des mauvais traitements devrait pouvoir être en colère contre celui qui le malmène et avoir mal d’être ainsi traité. Or, cette réaction physiologique des plus naturelles pour l’espèce humaine, avec la fuite en cas de danger, est totalement interdite. Seul contre l’abus de pouvoir des adultes, l’enfant n’a pas d’autre choix que de supprimer sa douleur insupportable, de refouler ses sentiments jusqu’en oublier le souvenir du traumatisme et d’idéaliser ses agresseurs. Ainsi, plus tard, il n’aura plus aucun souvenir conscient de ce qu’on lui a fait. En parallèle, l’organisme enregistre et emmagasine tous ces sentiments de colère, de tristesse, de détresse, d’impuissance, d’angoisse et de douleur refoulés, ils se stockent durablement, comme dans des réservoirs, et plus tard, chaque occasion sera bonne pour déverser sur des innocents ce magma qui aura eu le temps de se charger de haine ou contre soi-même par les dépendances à l’alcool, tabac, drogue, troubles de l’alimentation, dépression…
Devenus parents à leur tour, ils vont se venger sur leur propres enfants qu’ils utilisent comme des boucs émissaires et tout cela sous le couvert de l’éducation, légitimisé par toute la société dans le seul but de continuer à ne pas ressentir ce que leur ont fait leurs propres parents.

Quels sont les risques pour les parents qui ont maltraité leurs enfants ?

Aucun risque, sur le plan pénal, puisque les enfants sont le seul groupe social qu’il est admis de frapper, sauf les cas majeurs de maltraitance visible qui sont soumis à la justice. Un risque, qui n’est pas des moindres et qu’encourt le parent qui brutalise son enfant, c’est d’être confronté aux représailles de l’adolescence. Fort de l’apprentissage à la cruauté qu’il a reçu et qui l’a conduit au refoulement pour continuer à survivre, arrivera le jour où il ne contiendra plus sa révolte et qu’il la laissera exploser en se vengeant sur des plus faibles ou encore en brûlant des voitures, en agressant des chauffeurs de bus, en violant des jeunes filles ou en préférant se suicider.

Quels sont les excuses que se trouvent les parents pour justifier les violences portées sur leurs enfants ?

Pour rester dans le déni du vécu de sa propre enfance, on va accuser tous les évènements de la vie, la fatigue, le patron, le salaire, la belle-mère, la maladie, le mari…
Dixit Alice Miller « Les enfants dont l’intégrité n’a pas été atteinte, qui ont trouvé auprès de leurs parents la protection, le respect et la sincérité dont ils avaient besoin, seront des adolescents et des adultes intelligents, sensibles, compréhensifs et ouverts. Ils aimeront la vie et n’éprouveront pas le besoin de porter tort aux autres ni à eux-mêmes, encore moins de se suicider. Ils utiliseront leur force uniquement pour se défendre. Ils seront tout naturellement portés à respecter et à protéger les plus faibles, et par conséquent leurs propres enfants, parce qu’ils auront eux-mêmes fait l’expérience de ce respect et de cette protection, et que c’est ce souvenir-là, et non celui de la cruauté, qui sera inscrit en eux ».

Quels sont les moyens pour lutter contre la violence ?

Des lors qu’un enfant rencontre un témoin lucide, c’est-à-dire une personne qui sache pertinemment qu’il n’est pas manipulateur, sournois ou qu’il désire sexuellement ses parents, mais que c’est son entourage qui est malade, alors il aura la chance de ne pas sombrer dans toutes sortes de dérives qui peuvent l’entrainer dans la violence, le crime ou la destruction de sa personne. Il en revient aux assistantes sociales, aux thérapeutes, aux enseignants, aux médecins, aux fonctionnaires, aux infirmières d’acquérir cette lucidité pour aider à sauver la vie ou contribuer à la détruire en protégeant les parents. Pourtant avec toutes les études de la science sur le développement du cerveau aujourd’hui, il y a matière à s’appuyer sur ces recherches pour informer l’opinion publique sur les dangers de ces traitements et la diffuser largement.