Conséquences pour toutes les sociétés

Thomas Gruner – Entretiens avec Alice Miller sur l’enfance et la politique (octobre 2004)

Conséquences pour toutes les sociétés

  1. Introduction
  2. La destructivité
  3. Le sadisme
  4. La folie individuelle
  5. Conséquences pour toutes les sociétés
  6. Conclusion

La cruauté vécue par un individu dans l’enfance peut rejaillir sur la société de différentes manières. On le voit très clairement dans le roman autobiographique de Bernward Vesper “Le Voyage”, resté à l’état de fragment. Bernward est le fils du poète national-socialiste Will Vesper. Son père est franchement tyrannique, sa mère froide et indifférente. L’enfant grandit sans connaître la moindre forme d’affection ou d’amour. Une fois, on lui permet d’avoir un chaton, mais son père déteste les chats et n’attend qu’un prétexte pour se débarrasser de l’animal. Bernward aime cet animal et est terrifié à l’idée que son père le tue. A la fin, le garçon tue son chat lui-même pour que son père ne puisse pas le faire.
L’histoire de Bernward Vesper montre aussi comment beaucoup de parents font la chasse aux meilleures qualités de leur enfant : leur faculté d’amour (le chat), leur créativité. Le petit Bernward essaie d’exprimer ses sentiments par écrit. Cela lui fait plaisir. Mais sa mère trouve par hasard un de ses papiers et, au repas du soir, elle se moque devant toute la famille des tentatives littéraires de l’enfant. Plus tard, Bernward Vesper aura pour seul désir d’écrire son roman, mais la destruction aura le dessus, le roman ne sera jamais achevé. Le fragment publié exprime très nettement la haine envers les parents. Ce livre a servi à Sigrid Chamberlain à montrer les conséquences d’une éducation selon les principes de Johanna Haarer.
A bien des égards, ce fragment de roman est aussi l’histoire d’une génération. La haine aboutit au besoin de détruire (ou destructivité) parce qu’on ne parvient pas à se libérer réellement de ses parents. Bernward se rapproche de la Fraction armée rouge et consomme des drogues avant d’aboutir dans une clinique psychiatrique où il se suicidera à l’âge de 33 ans. Le destin de cet homme est particulièrement éclairant sur la façon dont la destructivité subie dans l’enfance peut se tourner aussi bien contre la société que contre l’individu qui en a été victime. Il en résulte un cercle vicieux de la destructivité dont les effets peuvent être considérables, puisqu’il peut finir par englober un très grand nombre de personnes.

C’est ce que montre incontestablement le terrorisme suicidaire. Il s’agit là d’actes de désespoir, rendus supportables par l’idéologie et par la solidarité du groupe auquel, pour cette raison, on croit devoir la vie, comme c’était le cas dans la famille. Et on cherche la délivrance “au ciel”, par la mort.
L’histoire de Vesper montre aussi que lorsqu’on n’essaie pas de comprendre le passé, il ne s’apaise pas, pas plus celui d’un individu que celui d’une société. Les décisions destructrices des parents conduisent à un climat négatif, contraire à la vie, que l’enfant n’a pas le droit de percer à jour. On peut concevoir qu’un être humain n’aura plus envie de se détruire lui-même s’il comprend l’action destructrice qu’ont eue les agressions de ses parents contre son esprit et son corps, et surtout s’il peut ressentir ce que cela lui a fait. Quand on a pris conscience de cela, on n’est plus forcé de haïr la société et de se marginaliser par des actes extrêmes. On peut critiquer et même rejeter une société sans poser de bombes. On peut aussi ne pas se détruire soi-même, on n’en a plus envie, parce qu’on s’accorde enfin le droit d’exister. Bien sûr, il ne suffit pas non plus pour cela de haïr ses parents. Ce sentiment est sans doute justifié dans beaucoup de cas, mais il faut aller y regarder de plus près pour devenir finalement capable de percevoir de façon différenciée tous ces sentiments inconscients. Le roman de cet auteur met en évidence la relation entre les conséquences les plus personnelles et celles qui touchent la collectivité.

Dans votre livre “Abattre le mur du silence”, vous avez retracé l’enfance du dictateur Ceausescu et montré comment il a forcé toute une population à mettre au monde des enfants non désirés, que les parents n’avaient souvent pas les moyens de nourrir. En Roumanie, la dictature s’est achevée en 1989-90. Aujourd’hui, tous ces enfants non désirés de familles roumaines se retrouvent dans la rue et se prostituent en masse. Des pères conduisent leurs fils de treize ans à la frontière italienne pour les envoyer faire le trottoir. En janvier 2004, la chaîne Arte a diffusé un documentaire sur la prostitution des enfants des rues de Bucarest. Il est possible que la pauvreté pousse à de tels actes, mais quel père enverrait son fils se prostituer si la maltraitance n’avait pas été pour lui une chose ordinaire depuis le début de sa vie, s’il n’avait pas lui-même été traité comme un objet dont on fait ce qu’on veut ?

C’était le cas. Ceausescu a gouverné d’une façon tout à fait perverse, jusque dans les chambres à coucher des jeunes couples. Ayant grandi dans une famille extrêmement pauvre où les enfants étaient trop nombreux, il a voulu que sa “chère Roumanie” s’accommode elle aussi d’un excès d’enfants non désirés, ceux qu’on envoie maintenant sur le trottoir. Et cela non pas occasionnellement, mais dans le cadre d’une mafia criminelle bien organisée. Autrement dit, la dictature est terminée, mais ses conséquences se poursuivent.

Quand on s’intéresse aux dictateurs, on devrait aussi se demander quels sont les schémas de comportement existant dans les dictatures et que l’on peut retrouver en politique dans les démocraties occidentales. En Allemagne, au moins, on nous reproche souvent de comparer le gouvernement fédéral actuel à la dictature hitlérienne. Il faut donc réaffirmer (ce que je fais ici à mon tour) qu’une telle assimilation est bien loin de notre pensée. Cependant, il doit bien être permis de relever certaines caractéristiques psychiques et certains manques que nous constatons chez nos dirigeants actuels. On peut même parler, dans certains cas, de perturbations psychiques importantes, qui influent sur les décisions politiques et rendent les politiciens facilement manipulables par des lobbies.
Je ne souhaite pas m’immiscer dans la vie privée des gens, mais il se trouve que certains faits de la vie privée de dirigeants occidentaux sont aujourd’hui de notoriété publique. Post et d’autres auteurs (Accoce/Rentchnick, Tuchman) signalent aussi des traits paranoïdes chez beaucoup de présidents, chefs de gouvernement et autres dirigeants politiques démocratiquement élus. Dans beaucoup de cas, il semblerait malgré tout que l’aspiration au pouvoir se nourrisse d’une enfance humiliée.

Je suppose que cette quête du pouvoir, cette pulsion (lorsque c’est le cas, bien sûr) trouve ses racines dans les humiliations de l’enfance. Pourquoi des gens qui, enfants, ont été aimés et respectés éprouveraient-ils plus tard le besoin d’agir de façon destructrice ? Du moins dans la mesure où c’est ce qui se passe.
On peut reconnaître dans les interventions publiques de beaucoup de politiciens le langage et les comportements sociaux de la pédagogie noire. Ils se conduisent davantage comme des éducateurs manipulateurs, même si c’est dans un genre très différent de celui des dictateurs, et bien sûr avec d’autres effets. Les électeurs, les citoyens peuvent percevoir cela plus facilement s’ils ont vu clair dans leur propre éducation. Ils peuvent alors se poser des questions sur les manipulations qu’ils ont subies dans leur enfance et être moins conditionnés à obéir ou à s’adapter à tout prix. D’autre part, ils n’ont plus besoin d’idéologies pour se sentir en sécurité et pour donner un sens à leur vie.

Sans se limiter aux décisions destructrices mises en œuvre coûte que coûte, on peut aussi s’étonner du nombre de politiciens qui semblent frappés d’impuissance verbale, comme s’ils ne pouvaient pas dire ce qu’ils pensent réellement (ou peut-être comme s’ils n’en avaient pas le droit ?).
Dans une interview télévisée, un homme politique allemand qui joue actuellement [2004] un rôle important dans un parti de gouvernement au niveau fédéral a admis franchement qu’il n’avait jamais rien appris. Il a déclaré littéralement, en souriant à la caméra : “Je n’ai aucune instruction, et j’en suis fier.” On ne s’étonne plus, dans ces conditions, de l’ignorance avec laquelle des politiciens comme celui-ci s’opposent à des arguments et à des idées mûrement réfléchis, reposant sur des connaissances approfondies. On dirait que la politique est là pour réparer un profond sentiment d’envie et un énorme complexe d’infériorité, qu’elle est donc utilisée (pas toujours, mais souvent) pour offrir une revanche à des individus qui souffrent de graves manques personnels. Et, selon moi, c’est là qu’elle devient dangereuse. L’idée que, dans une société qui se dit démocratique, des gens qui sont surtout amoureux du pouvoir disposent d’une grande capacité de décision politique est pour moi très inquiétante.

Beaucoup de gens ne sont pas encore habitués à penser selon des catégories psychologiques, si ce n’est à travers des concepts psychanalytiques qui masquent plutôt qu’ils ne révèlent la réalité de l’enfance. Ils ne voient ni la folie privée des dirigeants fascistes imposés, ni celle de leurs propres dirigeants démocratiquement élus par eux. Par exemple, ils n’expliquent le fait que des guerres éclatent qu’en termes d’affrontement d’intérêts de grandes entreprises. C’est bien sûr vrai en partie, puisque ce sont ces grandes entreprises qui subventionnent les luttes électorales. Mais je ne doute pas que la force qui pousse beaucoup d’hommes et de femmes politiques à titre personnel ne soit aussi fondée sur leur histoire familiale.
La puissance des motivations personnelles dans des guerres prétendues “nécessaires” est illustrée par l’exemple historique de Frédéric le Grand [Frédéric II de Prusse]. Enfant, son père crachait dans sa soupe, au sens littéral, pour lui inculquer l’obéissance et l’humilité. Plus tard, il a fait exécuter son meilleur ami. Frédéric a dû renoncer à s’opposer à son père sadique parce que c’était trop dangereux. Reste à savoir comment Frédéric, devenu roi, aurait pu se comporter, s’il aurait jugé aussi “nécessaires” ses guerres de conquête, s’il avait eu la possibilité de résister à son père. Et on peut imaginer une dynamique semblable dans les cas de certains dirigeants politiques actuels des démocraties occidentales.

Les connaissances acquises par l’étude des dictateurs sont valables aussi pour des chefs d’Etat démocratiquement élus. Dans notre société, l’enfance d’un individu peut, dans certaines conditions, prendre un sens collectif en politique.

Bien sûr. La démocratie n’est pas un mot magique qui nous préserverait automatiquement d’être victimes de la folie privée d’un individu (ne serait-ce que parce qu’il serait l’instrument de puissants intérêts financiers) et de tolérer cela aveuglément.
Autrefois, les gens étaient forcés d’obéir au roi ou à l’empereur et de participer aux guerres de conquête que le souverain déclarait avant tout pour sa satisfaction personnelle. Ils devaient obéir parce qu’ils n’avaient pas le droit d’avoir leur propre opinion. Aujourd’hui, on aimerait croire qu’il en va autrement. Que, par exemple, une carrière comme celle de Napoléon serait inconcevable. Pourquoi des citoyens libres éliraient-ils délibérément un dirigeant qui, uniquement poussé par l’ambition, entraînerait son peuple “bien-aimé” vers la pire détresse (comme Napoléon conduisant son armée à Moscou) ? En France, Napoléon est toujours considéré comme un grand général et non comme un meurtrier de masse. Ce qui s’est passé alors est encore possible, et cela arrive régulièrement. Hitler a bien été élu, alors qu’il avait déjà annoncé sans ambiguïté ses intentions dans “Mein Kampf”.
Comment être certain, dans ce cas, qu’un séducteur habile et sans scrupules, n’aimant que lui-même, ne serait pas capable, aujourd’hui encore, d’amener toute une nation à l’élire et de lui imposer ensuite des guerres inutiles ? Ce qu’un Hitler sans moyens a pu réussir dans la démocratie de la république de Weimar, un autre candidat pourrait encore le réaliser s’il avait le soutien d’un large cercle en relations avec les familles les plus riches d’un pays et avec des entreprises puissantes. S’il se mettait à leur disposition sans le moindre scrupule, parce qu’il n’aurait aucune opinion personnelle à laquelle cela l’obligerait à renoncer, puisque toute sa façon d’agir serait entièrement tournée vers la réussite, dictée uniquement par le désir de pouvoir.

Et les électeurs ? En démocratie, une grande partie de la responsabilité ne repose-t-elle pas sur les citoyens ?

Vous avez raison. Mais, pour se soumettre aux ambitions d’un individu, il n’est malheureusement pas nécessaire d’être intelligent, encore moins d’avoir un désir d’autonomie et de clarté. Il suffit d’être naïf et d’avoir une confiance enfantine dans la volonté qu’aurait une figure paternelle (un leader, un dictateur, un président) de protéger les citoyens de leurs ennemis, de croire que cette figure paternelle tient à agir dans leur intérêt en connaissance de cause et en toute conscience. C’est d’ailleurs ce qui est annoncé avant chaque élection. Mais beaucoup de gens ne s’aperçoivent pas que ce “père” soucieux du bien de la nation est en réalité uniquement préoccupé de sa propre personne. Si son intérêt l’exigeait, il serait prêt à sacrifier la nation à tout moment, il ne fait que l’utiliser pour parvenir au pouvoir. Ce qu’il aime, c’est le pouvoir, il est obsédé par cette idée, parce que, croit-il, cela l’aidera à continuer à nier les souffrances passées de l’enfant battu et précocement humilié qu’il a été. Malheureusement, les électeurs ne s’en rendent pas souvent compte s’ils ont eu eux-mêmes un tel père, qu’ils ont aimé et vénéré. Enfants, ils croyaient tout ce que disait leur père, ils ne pouvaient pas se permettre de voir dans son jeu. Bien sûr, il y a aussi des gens qui sont capables de mettre en question leurs parents et donc de ne pas se laisser impressionner par des démagogues. Ces électeurs-là se garderont bien de porter au pouvoir quelqu’un pour qui ils remarqueront que seuls comptent la réussite personnelle, le prestige et l’argent. Ils comprendront vite que quelqu’un qui, par exemple, se lance en politique sans s’y être jamais intéressé avant, ou en se contentant de promettre que tout ira mieux bientôt, sans proposer d’idées basées sur une réelle compétence pour répondre aux problèmes précis du moment, ne cherche qu’à satisfaire des motivations personnelles souvent inconscientes, que la politique n’est pour lui que le moyen d’atteindre un but personnel.
Quelqu’un qui, enfant, n’a jamais été pris au sérieux, comme Saddam Hussein par exemple, peut, en devenant président, se créer l’illusion qu’il n’en a pas été ainsi. Mais, tant qu’il fuit sa vérité, il reste dangereux, parce qu’il fait payer aux autres le mensonge qu’il se fait à lui-même.
Ceux qui ont appris à percer à jour les vraies motivations de leurs parents tyranniques (ou ceux dont les parents n’étaient pas du tout tyranniques) ne risquent guère de donner leur voix à des démagogues narcissiques. Mais ils représentent malheureusement une minorité d’électeurs. La grande majorité des électeurs actuels se recrutent chez les anciens enfants battus, élevés dans l’esprit de la “pédagogie noire” et qui ont appris à obéir et à faire confiance à l’autorité des parents et de l’Eglise. Ils se contenteront donc facilement de quelqu’un qui sait jouer sur le registre de leur éducation pour l’avoir lui-même appris dans son enfance. Quelqu’un qui pense n’avoir rien de nouveau à apprendre, n’avoir besoin, par exemple, que d’invoquer Dieu, qui le soutient dans sa mission comme lui-même a soutenu ses parents dans leur mission d’éducation, et qu’il lui suffit donc d’utiliser les mêmes formules creuses qui étaient probablement déjà celles de son père avant lui pour que l’affaire soit dans le sac.

Les décideurs politiques et économiques ne sont généralement pas capables de comprendre émotionnellement ce que leurs décisions et leurs actes peuvent signifier pour les autres. Cela semble d’ailleurs leur être indifférent. Ce qui leur importe est de s’imposer, pour un bénéfice provisoire, mais parfois même uniquement pour le geste. Dans la vie politique, on a souvent l’impression que tout ce qui compte est de décider ceci ou cela et de le réaliser immédiatement, même en sachant que les conséquences seront nécessairement dévastatrices. A mes yeux, c’est de la pure folie. L’absence de ce qu’on appelle “intelligence émotionnelle” joue un grand rôle en politique. Cela peut paraître une déclaration naïve, mais je ne parviens pas à m’expliquer autrement les raisons de décisions politiques qui finiront même, tôt ou tard, par priver le décideur de sa position.

Beaucoup de gens n’ont pas accès à leurs propres sentiments, à leurs émotions, et c’est valable aussi pour les politiciens. Leurs sentiments ont été très tôt étouffés par les coups ou par d’autres moyens. Les gens obsédés par le pouvoir ne veulent savoir que ce que les autres ont envie d’entendre, afin de le leur offrir en paroles, d’être le père soi-disant fort qui promet de protéger “le peuple”.
C’est ainsi que fonctionnait Hitler, même si les effets ont évidemment été beaucoup plus sanglants. Il proposait une représentation efficace de l’ennemi, savait exactement comment le combattre et promettait le paradis sur terre grâce à la violence, la brutalité, la Gestapo, les SS, les camps. La plupart de ceux qui l’écoutaient connaissaient depuis toujours la méthode de la carotte et du bâton et y croyaient, Hitler a donc été applaudi.

Cette promesse d’un paradis se retrouve encore dans les démocraties, sauf qu’il ne s’agit plus aujourd’hui d’éliminer une certaine catégorie de la population. A la place, on prêche la prospérité matérielle. Malheureusement, pour qu’une partie de la population puisse vivre dans l’opulence, il faut qu’une autre soit sérieusement plumée, et pour elle, adieu le paradis.

Ce qu’on nomme aujourd’hui démocratie consiste souvent à chercher à gagner la confiance des électeurs par la manipulation, par de fausses allégations, par des manœuvres de camouflage. Mais le vrai objectif des candidats au pouvoir peut encore être de refouler la conscience de l’intolérable impuissance de leur enfance en usant de la force sur d’autres. Les guerres sont le meilleur moyen pour cela : elles détournent des vrais problèmes, et elles renforcent la dépendance des citoyens plongés sans nécessité dans la détresse par la guerre. Cela peut parfaitement faire l’affaire d’un dirigeant narcissique. Même le nombre des morts reste pour lui un simple chiffre qu’il ne peut pas ressentir. Il ne peut que jouer l’émotion, et seulement celle qu’il désire montrer. L’essentiel pour lui est de rester au pouvoir. Or, un enfant ne peut jamais percevoir consciemment (même s’il peut le pressentir) que ses parents sont indifférents à son bien-être, que leurs affirmations d’amour reposent sur les mensonges de la “pédagogie noire”. Si l’enfant prenait pleinement conscience de cette vérité, cela le tuerait. Mais, plus tard, lorsque cette confiance enfantine influence sa vie d’adulte et lui dicte des décisions politiques, cela peut mener aux catastrophes graves auxquelles nous assistons régulièrement. La démocratie ne peut signifier un progrès que si les citoyens savent se servir de leur liberté. Ce n’est possible qu’à partir du moment où ils trouvent le courage de regarder en face la réalité de leur enfance, devenant ainsi capables de percer à jour les manipulations des démagogues et des charlatans de la scène politique, donc de leur refuser leurs voix. Ils n’ont plus besoin alors de s’aveugler et de se protéger par des illusions naïves (“Papa sait faire, papa va y arriver”) pour affronter la réalité du présent. Et ils sont capables d’affronter cette réalité, puisqu’ils peuvent désormais se fier à leurs perceptions et à leur sentiment personnel.

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