A Propos du Pardon

par Alice Miller

A Propos du Pardon
Wednesday 01 January 2003

L’enfant maltraité et délaissé est totalement seul dans les ténèbres de son désarroi et de son angoisse, environné de mépris et de haine, dépouillé de ses droits et de son langage, dupé dans son amour et sa confiance, bafoué dans sa douleur, dédaigné, humilié, sans guide, sans nul soutien, aveugle, sans défense, et entièrement livré à la merci de l’adulte ignorant.

Tout son être voudrait crier sa colère, exprimer sa révolte et appeler à l’aide. Mais cela, précisément, il n’en a pas le droit. Toutes les réactions normales, prévues par la nature pour notre autoprotection, lui restent interdites. En effet, à moins qu’un témoin ne vienne à son secours, ces réactions naturelles n’aboutiraient qu’à accroître et prolonger son martyre, voire, pour finir, à mettre sa vie en danger .
Aussi lui faut-il réprimer ce mouvement tout à fait sain: protester contre un traitement inhumain. L’enfant tente d’effacer, de gommer complètement de sa mémoire tout ce qu’on lui a infligé, afin de bannir de sa conscience sa brûlante révolte, sa colère, sa peur, l’intolérable souffrance – et, il l’espère, à tout jamais. Subsiste alors le sentiment de sa grave culpabilité personnelle – même s’il n’a pas été obligé de baiser la main qui l’a frappé et de demander pardon. Ce qui, malheureusement, arrive plus souvent qu’on ne le croit généralement.

Chez les survivants de pareilles tortures, qui ont abouti à un refoulement total, l’enfant martyrisé continue cependant à vivre: dans les ténèbres de l’angoisse, de la répression, de la menace. Lorsque toutes les tentatives pour amener l’adulte à écouter son histoire ont échoué, il essaie de se faire entendre par le langage des symptômes, à travers la toxicomanie, la psychose, la délinquance. Cet enfant, devenu à son tour adulte, se prend à soupçonner l’origine de ses souffrances, et demande à des spécialistes si elles ne pourraient pas être en relation avec l’enfance; on lui assure dans la plupart des cas qu’il n’en est rien. Ou, si l’on confirme son intuition, on lui explique qu’il doit apprendre à pardonner, que c’est son attitude rancunière qui le rend malade.

Dans ces groupes fort connus où l’on propose une thérapie aux personnes en état de dépendance et à leurs proches, le mot d’ordre est toujours : Tu ne pourras guérir que quand tu auras pardonné à tes parents tout ce qu’ils t’ont fait. Même s’ils étaient tous les deux alcooliques, s’ils ont abusé de toi, t’ont battu, plongé dans un total désarroi, soumis à des exigences au-dessus de tes forces, exploité – tu dois tout leur pardonner, sinon tu ne pourras pas guérir. De nombreux programmes, baptisés thérapeutiques, ont pour principe d’apprendre dans un premier temps à exprimer ses sentiments et, simultanément, à tenter de voir ce que l’on a vécu dans son enfance. Mais, ensuite, il faut s’astreindre au  » travail du pardon « , prétendument nécessaire à la guérison.

Nombre de jeunes patients, atteints du sida ou toxicomanes, meurent pendant qu’ils sont ainsi attelés à la tâche de tout pardonner, et ignorent qu’ils doivent mourir pour conserver intact le refoulement de leur enfance.

La plupart des thérapeutes redoutent cette vérité. Ils subissent l’influence des interprétations destructrices des religions occidentales et orientales, et prêchent le pardon aux anciens enfants maltraités. Ce faisant, ils enferment un être, emprisonné depuis ses premières années dans le cercle vicieux de l’éducation, dans un nouveau cercle vicieux dit thérapeutique. Ils le font tomber dans un piège d’où il lui sera pratiquement impossible de sortir. Le même piège que celui qui a jadis bloqué son mouvement naturel de protestation et provoqué ainsi sa maladie. Comme les thérapeutes, enlisés dans le système pédagogique, ne peuvent aider le patient à se délivrer des conséquences des traumatismes subis, ils lui offrent à la place la morale traditionnelle.

J’ai reçu ces dernières années des Etats-Unis beaucoup de livres sur diverses méthodes de thérapie, signés par des auteurs inconnus de moi. Tous ces auteurs, sans exception, postulaient comme une évidence que le pardon est indispensable au  » succès  » de la thérapie. Ce principe paraît si naturel à tout le monde que jamais on n’y réfléchit de plus près – or, il serait précisément urgent de le faire. Car le pardon ne supprime pas la haine latente et la haine de soi-même, il les enfouit de manière très dangereuse.

Je connais le cas d’une femme dont la mère a été victime, dans son enfance, d’abus sexuels de son père et de son frère. Elevée au couvent, cette mère y avait appris  » le bienfait du pardon  » , et respectait son père et son frère sans une once d’amertume. Seulement, quand sa fille était encore un tout petit bébé, elle la laissait souvent à la  » garde « , de son neveu de treize ans. Le soir, elle allait au cinéma avec son mari, l’âme en paix, tendis que le baby-sitter pubertaire se satisfaisait sexuellement avec le corps de la petite fille.
Lorsque cette dernière, cherchant de l’aide, a entrepris une psychanalyse, l’analyste lui a déclaré qu’elle ne devait pas faire de reproches à sa mère. Celle-ci n’avait eu aucune mauvaise intention, et ignorait totalement que le baby-sitter abusait régulièrement de son enfant. Cette mère, en effet, ne soupçonnait nullement, semble-t-il, ce qui se passait. Lorsque l’enfant s’est mis à présenter des troubles alimentaires, elle a consulté, inquiète, plusieurs médecins. Ils lui ont assuré que cela provenait de la  » dentition « , « . Tous les engrenages de la machinerie du pardon ont donc fonctionné presque parfaitement – mais aux dépens de la vérité et, aussi, finalement, de la vie de tous les intéressés.

Dans son livre Le Miroir d’obsidienne (Seattle, 1988), Louise Wisechild décrit comment elle a réussi, au cours de sa formation de kinésithérapeute, à déchiffrer à l’aide de l’expression corporelle et de protocoles écrits les messages et les signaux de son corps, à les ressentir, et ainsi à libérer progressivement son enfance du refoulement. Elle a peu à peu mis au jour, dans tous ses détails, l’histoire qu’elle avait totalement bannie de sa conscience: à l’âge de quatre ans elle avait été victime d’abus sexuel de la part de son grand-père, un peu plus tard un oncle pervers lui avait infligé des sévices gravissimes et, pour finir, son beau-père l’avait violée. Mais comme cette prise de conscience n’avait pas encore permis la dissolution des schèmes autodestructeurs, elle chercha une thérapeute susceptible de l’accompagner dans les étapes suivantes de cette terrible exploration. Sans se soucier du martyre subi de toute évidence par sa patiente, la thérapeute lui déclara un jour:  » Si vous ne pardonnez pas à votre mère, vous ne pourrez jamais vous pardonner à vous-même.  » Au lieu d’aider la patiente à se délivrer des sentiments de culpabilité dont on l’avait chargée – ce qui aurait été le rôle de la thérapie -, on lui imposait une exigence supplémentaire, de nature à renforcer ces sentiments de culpabilité. Pardonner, acte religieux, ne fait pas disparaître les schèmes autodestructeurs. Pourquoi cette femme, qui s’était occupée de sa mère pendant trente ans, aurait-elle dû lui pardonner ces crimes, alors que cette mère n’avait jamais essayé, aussi peu que ce fût, de comprendre ce qu’elle avait fait à sa fille ? Un jour où l’enfant, pétrifiée de peur et d’horreur, gisait écrasée sous le lourd corps de son oncle, elle avait vu dans le miroir sa mère arriver sur le seuil de la porte. Elle espérait un secours, mais la mère tourna les talons et disparut. Parvenue à l’âge adulte, Louise entendit sa mère dire que seule la présence de ses enfants lui avait permis de surmonter la peur que lui inspirait cet homme. Lorsque Louise voulut lui parler de son viol par son beau-père, cette mère a écrit à sa fille qu’elle ne voulait plus jamais la revoir. Il me paraît incompréhensible que, même dans un cas aussi grave, l’absurdité d’exiger le pardon ne saute pas aux yeux, et que l’on ne se rende pas compte que cela voue irrémédiablement à l’échec toute tentative de thérapie. Que peut-on en attendre, hormis tranquilliser le thérapeute ?

Cet exemple montre l’étendue des ravages que peut causer une seule phrase, une affirmation entièrement fausse, perturbatrice mais bien ancrée dans la tradition – et ce précisément parce qu’elle nous est si familière depuis notre tendre enfance. Il s’agit là d’un grave abus de pouvoir, servant aux thérapeutes à conjurer leur sentiment d’impuissance et leur angoisse. Le patient est convaincu que le thérapeute se fonde pour l’énoncer sur la certitude de l’expérience, et il a foi en l’autorité. Il ne sait pas – comment pourrait-il découvrir ? – que cette assertion exprime simplement la peur qu’a un enfant maltraité, en l’occurrence le thérapeute, de ses parents. Il le peut d’autant moins que, précisément, cette exhortation au pardon mobilise en lui de vieilles angoisses qui l’obligent à croire le détenteur de l’autorité. Comment, dans ces conditions, le patient pourrait-il se délivrer de ses sentiments de culpabilité ? On les grave littéralement en lui.

La  » thérapie  » qui prêche le pardon dévoile par là sa position éducatrice. Et cela révèle également l’impuissance des prêcheurs de pardon, qui se baptisent étrangement thérapeutes mais devraient, ce serait plus exact, se désigner du nom de prêtres. Le résultat est, au bout du compte, la perpétuation de l’aveuglement acquis dans l’enfance, qu’une véritable thérapie aurait pu dissiper. Le patient ne cesse de s’entendre dire, jusqu’à ce qu’il le croie – et le thérapeute est alors tranquillisé:  » Ta haine te rend malade ; pour guérir, tu dois pardonner et oublier.  » Or ce n’est pas la haine, mais justement cette morale si instamment conseillée qui a, dans son enfance, plongé le patient dans ce désespoir muet et l’a finalement rendu malade, en le coupant de ses sentiments et de ses besoins.

L’exhortation au pardon n’a rien à voir avec une thérapie efficace ni avec la vie. Et elle a barré à nombre de personnes cherchant de l’aide le chemin de la délivrance. Les thérapeutes sont sous l’emprise de leur propre peur, la peur de l’enfant maltraité qui redoute la vengeance de ses parents, et se laissent guider par l’espoir que, malgré tout, une bonne conduite vous permettra un jour ou l’autre d’acheter l’amour de vos parents. Cet espoir illusoire des thérapeutes, les patients le paient d’un prix élevé: recevant, en guise de  » thérapie « , des informations fausses, ils ne peuvent trouver le chemin de la délivrance. En me refusant à pardonner, je renonce à toutes les illusions. Certes, un enfant maltraité ne peut pas survivre sans ses illusions – mais un thérapeute adulte doit s’en montrer capable. Dès lors, son patient pourra se dire:  » Pourquoi devrais je pardonner, si personne ne me le demande ? Mes parents se refusent bien à savoir, à comprendre ce qu’ils m’ont infligé. Pourquoi donc devrais-je continuer à m’efforcer, par exemple à l’aide de la psychanalyse ou de l’analyse transactionnelle, de comprendre mes parents et leur enfance, et de leur pardonner ? A quoi cela peut-il servir ? Qui en sera aidé ? Cela n’aide pas mes parents à voir la vérité, et moi, cela m’empêche de vivre les sentiments qui m’ouvriraient l’accès à la vérité. Sous la cloche de verre du pardon, les sentiments n’ont ni le droit ni la possibilité de s’exprimer librement.  » Semblables réflexions ne sont hélas pas d’usage dans les milieux thérapeutiques, où le pardon a force de loi. La seule concession que l’on fait est d’établir une distinction entre vrai et faux pardon. Mais le prétendu vrai  » pardon « , reste en tout cas considéré comme l’objectif thérapeutique, et n’est jamais remis en question.

J’ai demandé à beaucoup de thérapeutes pourquoi ils estiment le pardon nécessaire à la guérison, mais n’ai jamais reçu de réponse. Selon toutes apparences, ils n’avaient jamais encore remis en question cet impératif qu’ils jugeaient comme allant de soi, au même titre que les mauvais traitements connus dans leur enfance. Je ne puis m’imaginer qu’une société qui ne maltraite pas ses enfants, mais au contraire les respecte et les protège avec amour, développerait l’idéologie du pardon d’inconcevables cruautés. Cette idéologie est indissolublement liée au commandement:  » Tu ne te rendras compte de rien  » , ainsi qu’à la répétition de la maltraitance à la génération suivante, qui paie le prix fort pour le pardon auquel ont été astreints ses parents. La peur de la vengeance des parents imprègne notre  » morale « .

Seule une thérapie de mise au jour, pas à pas, de sa propre vérité, sans visées éducatrices ni appel à une morale mensongère, pourra mettre un terme à cette funeste idéologie. Car c’est seulement à l’aide de leur propre vérité que les hommes et les femmes qui ont survécu aux mauvais traitements pourront se libérer de leurs conséquences. L’effort nécessité par le pardon les éloigne de leur vérité. Une thérapie efficace n’est pas la continuation de l’éducation, mais jette la lumière sur les blessures causées par l’éducation, dont elle peut abolir les séquelles. Elle doit amener le patient à accéder à ses sentiments, et ceci tout au long de sa vie, parce que seul cet accès lui permettra de trouver sa voie et d’être authentiquement en accord avec lui-même. Les demandes moralisatrices ne peuvent que barrer cet accès.

A partir du moment où l’adulte accepte de voir qu’il a commis une faute et le reconnaît, l’enfant peut l’excuser. Mais l’exhortation au pardon que je rencontre partout est sans aucun doute une mise en péril de la thérapie. Elle est l’expression de notre culture où les mauvais traitements infligés aux enfants sont monnaie courante et, de ce fait, banalisés par la plupart des adultes. Le pardon est à mon point de vue un  » pare-réalité « , un moyen de s’en préserver. Il a des conséquences négatives, et pas seulement pour l’individu: il aboutit en effet à masquer des opinions et des comportements destructeurs. On tire le rideau, et les événements ne sont plus identifiables. La possibilité de changer le cours des choses dépend de l’existence d’un nombre suffisant de témoins lucides, capables de tendre un  » filet de sécurité  » à la prise de conscience croissante des enfants maltraités, afin qu’ils ne tombent pas dans les ténèbres de l’oubli – d’où ils resurgiront plus tard sous forme de malades ou de criminels. S’étant rattrapés dans le  » filet  » des témoins lucides, ces enfants peuvent devenir des adultes conscients qui vivront avec et non contre leur passé et qui, pour cette raison, pourront travailler à un avenir plus humain.

Il est scientifiquement démontré que pleurer, lorsqu’on souffre, qu’on est triste ou angoissé, ne consiste pas seulement à verser des larmes, mais s’accompagne de la sécrétion d ‘hormones de stress qui provoquent une détente générale de l’organisme. Cela n’équivaut certes pas à une thérapie, mais il serait important que les praticiens prennent, dans leurs traitements, ce phénomène en considération. Or, jusqu’à présent c’est le contraire qui se produit. On prescrit des tranquillisants afin que le patient soit calme et n’ait surtout pas accès à la source de ses symptômes. Le problème de la pédagogie de la santé réside principalement, à mon avis, dans le fait que la plupart des responsables, institutions et professionnels, ne veulent à aucun prix savoir pourquoi on tombe malade. Résultat de ce refus: d’innombrables malades chroniques  » séjournent  » des dizaines d’années durant dans les hôpitaux et les prisons, l’Etat dépense des milliards.

Tout cela pour garder un secret: les intéressés ne doivent à aucun prix apprendre qu’on pourrait les aider à comprendre le langage de leur enfance afin d’adoucir véritablement, voire d’abolir, leur souffrance.

Si l’on avait le courage de se confronter avec la réalité du refoulement des mauvais traitements infligés aux enfants et de ses conséquences, cela serait possible. Mais, dans la littérature spécialisée sur ce sujet, on ne voit guère trace de ce courage. Sont omniprésents, en revanche, les appels à la bonne volonté, toutes sortes de conseils invérifiables et n’engageant à rien, et surtout les sermons sur la nécessité de pardonner les cruautés subies dans l’enfance. Si tout cela ne sert à rien, eh bien l’Etat paiera, à vie, pour les soins et l’entretien d’invalides et de malades chroniques – qui auraient pu guérir à l’aide de la vérité.

Il est pourtant déjà démontré que le refoulement, aussi nécessaire fût-il pour l’enfant, ne doit pas être fatalement le lot de l’adulte. Le petit enfant est entièrement dépendant de ses parents. Sa confiance en eux, son besoin d’aimer et d’être aimé sont illimités. Exploiter cette dépendance, abuser de cette confiance, trahir et bafouer cet amour, et parer tout cela du nom d’éducation, est un crime. Ces crimes-là, il s’en commet chaque jour, à chaque heure, par conformisme, ignorance ou refus de renoncer à l’un et à l’autre. Le fait d’être pour la plupart commis inconsciemment n’atténue malheureusement pas leurs funestes conséquences: le corps de l’enfant maltraité a enregistré la vérité, mais sa conscience se refuse à l’admettre. Si le traumatisme était vécu consciemment, l’enfant en mourrait. Aussi son organisme se protège-t-il, par le refoulement, de la douleur et des circonstances qui l’accompagnent. Il en reste le cycle infernal du refoulement: la véritable histoire, réprimée, enfouie dans le corps, provoque des symptômes afin d’être enfin reconnue et prise au sérieux. Mais comme dans l’enfance la conscience se ferme, car elle a appris en ce temps-là la fonction salvatrice du refoulement et, aujourd’hui, nul ne l’informe que pour un adulte le savoir n’est pas mortel, et qu’au contraire, la vérité l’aiderait à recouvrer la santé.

Le dangereux mot d’ordre de la  » pédagogie noire  » – tu ne dois pas te rendre compte de ce qui t’est infligé – réapparaît dans les traitements des médecins, psychiatres et thérapeutes qui, à grand renfort de médicaments et théories, influent de leur mieux sur la mémoire du patient afin que, surtout, il ne découvre jamais les racines de ses maux – racines qui résident presque exclusivement dans les mauvais traitements (physiques et moraux), et dans les carences de l’enfance.

L ‘homme peut maintenir l’espoir si ses signaux de détresse sont enfin entendus. Si son histoire cachée, refoulée, parvient enfin à sa conscience, son système immunitaire peut lui aussi se régénérer. Mais qui l’aidera dans cette tâche, si tous les  » secoureurs  » ont peur de leur propre histoire ? Et nous continuons donc à jouer tous ensemble – patients, médecins, instances administratives – à colin-maillard parce que bien peu d’entre nous ont appris, d’expérience, que l’accès émotionnel à la vérité est la condition sine qua
non de la guérison. A la longue, 1’homme ne peut fonctionner, y compris physiquement, qu’en ayant conscience de sa vérité. La morale traditionnelle et mensongère, les interprétations destructrices des religions, les malentendus dans l’éducation font obstacle à cette expérience, empêchent de l’oser. En outre, l’industrie pharmaceutique profite incontestablement de notre pusillanimité et de notre aveuglement. Mais nous n’avons qu’une seule vie, et un seul corps qui refuse de s’en laisser conter, et exige absolument que nous ne trichions pas avec lui. Si un jour le secret de notre enfance devait cesser d’être un secret, l’Etat pourrait faire l’économie des sommes consacrées dans les hôpitaux, les établissements psychiatriques et les prisons à maintenir l’aveuglement des hommes. Penser que c’est fait sciemment paraît presque monstrueux. Cet argent pourrait être employé à aider des êtres humains à lever le refoulement qui les rend malades, à identifier les événements de leur enfance et à en abolir les conséquences, afin de pouvoir mener une vie consciente et responsable. Des hommes et des femmes qui savent et ressentent ce qu’il leur est advenu dans leur enfance ne chercheront jamais à se nuire ou à nuire à autrui. Ils chercheront à protéger la vie, et non à la détruire. Car vivre et protéger la vie est notre vocation biologique.

Nous n’avons, hélas, pas motif à nous enorgueillir de notre tradition de maltraitance des enfants et d’infanticide imputable à notre cynisme et à notre indifférence envers la souffrance des enfants, comme j’ai tenté de le montrer dans ce livre à travers différents exemples. Elle est également imputable à notre refus de voir que, par cette cruauté entérinée par la tradition, nous détruisons les générations suivantes et en fin de compte l’humanité. C’est pourquoi il est grand temps d’oser nous fonder sur les faits et sur notre expérience des faits, et de refuser cet héritage dévastateur – même si, jusqu’à présent, il brillait de mille feux.

Muriel Salmona
Alice Miller
Thomas Gruner
Olivier Maurel
Jean Claude Snyders
Robert Maggiori
Eric de Bellefroid
Jacques Trémintin
Zaida M. Hall
J.-F. Grief