Les origines de la perversion dans l’enfance refoulée

par Alice Miller

Les origines de la perversion dans l’enfance refoulée
Saturday 01 May 2004

Beaucoup de gens étaient épouvantés par les actes de perversion commis par les soldats américains sur les prisonniers iraqiens. Je n’ai jamais entendu une telle réaction en réponse aux diverses tentatives ayant pour but d’exposer des pratiques perverses commises sur les ENFANTS dans les écoles britanniques et américaines où elles sont qualifiées comme étant « éducatives » et regardées encore souvent comme tout à fait normales. Par contre, le monde entier semble stupéfait qu’une telle brutalité puisse émerger contre les ADULTES et même parmi les forces américaines. Après tout, c’est l’Amérique qui se présente au public international comme étant le gardien de la paix dans le monde. Animés par la devise: nous sommes une nation civilisée, nous apportons la démocratie et l’indépendance au monde entier, les Américains ont pénétré de force en Iraq avec les conséquences désastreuses que l’on connaît et prétendent encore exporter des valeurs culturelles. Cependant, il s’avère désormais que ces soldats bien entraînés et élégamment vêtus répandent en plus de leurs bombes et de leurs missiles, tout un arsenal de rage refoulée, invisible au dehors, invisible au-dedans, tapi au plus profond d’eux-mêmes mais indéniablement dangereux.

D’où vient cette rage réprimée, ce besoin de torturer, d’humilier, de se moquer, et d’abuser des prisonniers sans défense ? Pourquoi ces soldats jouant aux durs se vengent-ils ? Et où ont-ils appris un tel comportement ? Tout simplement, là où les autres l’apprennent : d’abord comme petits enfants à qui l’on a forcé l’obéissance par le biais de « corrections » physiques, puis à l’école, où ils ont été l’objet sans défense du sadisme de certains de leurs enseignants et finalement, comme recrues, traités comme des chiens par leurs supérieurs de manière à ce qu’ils puissent acquérir enfin la capacité douteuse de recevoir tout ce qui leur est infligé et de se qualifier de « dur ».

Bien sûr un soldat doit être dur. Il ne doit pas être guidé par ses sentiments mais seulement obéir sur commandes. Il doit fonctionner comme une machine sur laquelle on peut compter. Alors, où est l’erreur ? Au début, tout semblait très bien fonctionner. Jeunes gens entraînés à être soldats, ils ont choisi d’être des tueurs professionnels et le gouvernement a accueilli ce fait volontiers. Personne n’a demandé pourquoi ces jeunes avaient ressenti le besoin de tuer et peut-être le besoin d’être tués. Le gouvernement a établi une élite militaire et l’envoie dans d’autres pays dans un but « humanitaire ». Personne n’est frappé par l’absurdité de tout cela. Les choses ont toujours fonctionné ainsi dans ce monde qui est le nôtre et nous nous sommes habitués à cette idée.

Seulement maintenant, la vérité est en train d’émerger. La soif de vengeance ne vient pas de nulle part. La cause est clairement identifiable même si presque personne ne veut la voir. Cette soif de vengeance trouve son origine dans l’enfance lorsque les enfants ont été contraints de souffrir en silence, soumis à la cruauté infligée au nom de l’éducation. Ils ont appris comment torturer les autres de leurs propres parents violents et souvent pervers et plus tard de leurs professeurs et de leurs supérieurs. Ce n’est ni plus ni moins qu’un enseignement systématique basé sur l’exemple pour apprendre comment détruire les autres. Pourtant, beaucoup de gens croient que celui-ci n’a pas de conséquences néfastes. Comme si un enfant était un container qui peut être vidé de temps en temps ! Mais le cerveau humain n’est pas un container. Ce que l’on apprend en bas âge reste en nous tout le long de notre vie.
Dans mon livre, « Notre corps ne ment jamais » (à paraître en France en septembre 2004 chez Flammarion), je fais remarquer que dans 22 états américains, les enfants et les adolescents peuvent être battus, humiliés et quelquefois exposés à un pur sadisme sans que cela ne fasse l’objet de conséquences juridiques. Un tel traitement équivaut à une véritable torture. Cela ne passe pas pour du sadisme mais pour de l’éducation, de la discipline, de la correction, de la prise en main. Toutes les religions soutiennent vivement ces pratiques. Il n’y a aucune protestation contre celles-ci, à part sur certains sites internet. Internet regorge cependant de publicités pour des fouets et autres appareils pour punir les jeunes enfants et en faire des individus croyants de façon à ce que Dieu approuve leurs actes et leur donne Son amour. Le scandale en Iraq montre ce que font ces enfants une fois devenus adultes. Les soldats pervertis sont le fruit d’une éducation (très souvent religieuse) qui inculque activement la violence, la méchanceté et la perversion aux jeunes gens.

Les media citent des spécialistes en psychologie qui prétendent que la brutalité dont les soldats américains font preuve est due au stress de la guerre. IL est vrai que la guerre déchaîne une agressivité latente. IL LUI FAUT NEANMOINS DEJA EXISTER AU PREALABLE POUR ETRE DECLENCHEE. Des individus qui n’ont pas été exposés à la violence tout petits, à la maison ou à l’école ne pourraient pas abuser et se moquer de prisonniers sans défense. Ils en seraient tout simplement incapables. Ces hommes et ces femmes ne se portent pas volontaires dans les forces armées. Nous savons d’après l’histoire de la dernière guerre mondiale que de nombreux soldats enrôlés de force furent capables de montrer leur humanité, même sous le stress de la guerre, s’ils avaient grandi sans être exposés à la violence. Nombreux sont les compte-rendus sur la guerre et les camps qui racontent que même un stress si extrême n’a pas nécessairement transformé les adultes en pervers.

La perversion a une longue et obscure histoire invariablement ancrée dans l’enfance de l’individu. C’est à peine surprenant que ces histoires restent habituellement cachées du regard de la société. Les gens qui ont appris à obéir sous la violence ont toutes les raisons d’éviter que leur soient rappelées leur souffrance d’enfants et empêchent les faits refoulés d’émerger au grand jour. Ils préfèrent se soumettre aux coups de fouet dans des clubs sado- masochistes, qu’ils prétendent apprécier plutôt que de se demander pourquoi ils s’abaissent à de telles perversions. Dans notre société, le culte de l’inconscient domine encore très fort.

Il n’est pas vrai que nous abritons tous en nous la « bête », comme le prétendent certains experts en psychologie. Seules les personnes qui ont été traitées de manière perverse et qui le dénient chercheront des boucs émissaires sur lesquels inconsciemment elles pourront déverser leur rage. Ou alors elles se détruiront elles-mêmes en prenant des substances pour soulager leur souffrance. Les enfants bien- sûrs sont incapables de supporter la douleur de leur persécution ou de comprendre ce qui leur est fait. Tandis qu’en tant qu’adultes, ils peuvent apprendre à compatir aux blessures de l’enfant qu’ils ont été et en en prenant conscience, peuvent se libérer eux- mêmes (et le monde) de la « Bête » intérieure.

Muriel Salmona
Alice Miller
Thomas Gruner
Olivier Maurel
Jean Claude Snyders
Robert Maggiori
Eric de Bellefroid
Jacques Trémintin
Zaida M. Hall
J.-F. Grief