Peut-on faire une thérapie primale comme auto-thérapie ?

par Alice Miller

Peut-on faire une thérapie primale comme auto-thérapie ?
Friday 01 June 2001

On me demande souvent ce que je considère aujourd’hui comme le facteur principal dans une psychothérapie. Est-ce la reconnaissance de la vérité, l’affranchissement de la loi du silence et de l’idéalisation des parents, où est-ce la présence du témoin éclairé ? Je pense qu’il ne s’agit pas d’un  » ou … ou « , mais d’un  » non seulement, mais aussi « . Sans témoin éclairé, on ne peut supporter la vérité de la prime enfance. Mais ce que j’entends par témoin éclairé, ce n’est pas quiconque a étudié la psychologie ou a vécu des expériences primaires auprès d’un gourou, qui les garde sous sa dépendance. Les témoins éclairés, ce sont, à mes yeux, des thérapeutes qui ont le courage de faire face à leur propre histoire, d’acquérir, ce faisant, leur autonomie et qui par suite n’éprouveront pas le besoin de compenser leur impuissance refoulée par l’exercice du pouvoir sur leurs patients.

L’adulte a besoin d’aide pour surmonter sa situation actuelle tout en restant en contact étroit avec l’enfant souffrant qui est en lui, que pendant si longtemps il n’a pas osé écouter, mais aujourd’hui, soutenu par un accompagnement, peut écouter. Le corps sait tout ce qui lui est arrivé, mais ne peut l’exprimer par des mots. Il est comme l’enfant que nous fûmes, l’enfant qui voit tout mais se trouve sans défense, impuissant, s’il ne reçoit pas l’aide d’un adulte. Par suite, lorsque montent en nous les émotions du passé, elles sont toujours escortées par la peur de l’enfant qui se sent au pouvoir du monde environnant, qui est tributaire de la compréhension ou du moins du réconfort apportés par l’adulte.

Contrairement au corps, le système cognitif sait peu de choses sur les évènements anciens, les souvenirs conscients sont parcellaires et peu fiable. Il dispose en revanche d’un vaste savoir, d’une raison développée et d’une expérience de la vie que l’enfant ne possède pas encore. L’adulte n’étant plus sans défense, il peut offrir à son enfant intérieur (le corps) une protection et une écoute, et lui permettre ainsi de s’exprimer et de raconter son histoire. A la lumière de celle-ci, les peurs et émotions incompréhensibles qui surgissent chez l’adulte prennent du sens. Elles se trouvent enfin placées dans un contexte, cessent de représenter une menace.

Dans une société sensible à la détresse de l’enfant on n’est plus seul avec son histoire. Les thérapeutes oseront de plus en plus abandonner la  » neutralité  » freudienne et prendre parti, inconditionnellement, pour l’enfant enfoui en son patient. Ce dernier trouvera, de son coté, l’espace où il pourra se confronter sans danger à sa véritable histoire.

Sur l’auto-thérapie primale, j’ai écrit une lettre au forum que je cite ci-dessous :

Cher Franck, je comprends bien votre fascination pour le manuel de Stettbacher. Quand j’ai lu ce manuscrit en 1989 j’ai pensé qu’il contenait la solution pour beaucoup de mes lecteurs qui, après avoir lu mes livres, cherchaient, comme vous, les sources de leurs souffrances et peurs dans l’histoire de leur enfance. Comme je n’avais jamais eu la chance d’être comprise et aidée ni dans mon enfance ni dans mes thérapies (c’était toujours à moi d’aider les autres) j’ai trouvé à l’époque l’idée d’une auto-thérapie primale tout à fait normale et acceptable. C’est après quelques ans que j’ai saisi la grande importance et même nécessité d’une assistance d’un(e) thérapeute lucide et empathique dans le processus de guérison. Surtout grâce aux lettres des gens qui ont échoué à s’aider et qui s’en sont culpabilisés j’ai compris que l’auto-thérapie primale peut sans doute facilement déclencher les vieilles émotions refoulées mais peut aussi réactiver la situation de l’enfant qui était toujours seul(e) avec ses douleurs et peurs. Cela, c’est le contraire d’une thérapie.
Aujourd’hui, je suis d’accord avec Arthur Janov qui a toujours affirmé sans réserves que la thérapie primale sans assistance d’un thérapeute bien informé et compatissant peut être très dangereuse. (cf. son homepage). En plus, je pense qu’elle contient (1) une contradiction en soi en recréant une situation dont on veut se débarrasser et (2) une perpétuation de la violence envers soi-même.
Je n’ai pas de contact avec monsieur Stettbacher depuis 1994 mais je suppose que les informations sur les effets négatifs sont arrivées aussi chez lui et qu’elles l’ont aussi motivé à arrêter de recommander cette méthode. Depuis la parution de son livre il y a beaucoup de nouvelles informations sur ce sujet qui sont facilement accessibles grâce à l’internet. Peut-être, le prochain livre de Stettbacher apportera les corrections nécessaires.

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