par Alice Miller
Des informations trompeuses
Saturday 01 January 2005
Traduit de l’allemand par Pierre Vandevoorde
En mars 2004, lors d’une émission animée par la journaliste Mireille Dumas sur la troisième chaîne de télévision française, plusieurs personnes qui avaient été victimes de sévices sexuels dans leur enfance ont raconté leur histoire. La plupart d’entre elles avaient déjà suivi plusieurs thérapies au cours desquelles elles avaient été traitées, ou prétendument traitées pour cela. Dans la plupart des cas, ce ne sont pas les parents, mais des personnes extérieures : prêtres pédophiles, enseignants, amis de la famille, qui s’en sont pris aux enfants, et de ce fait les reproches à l’endroit des parents n’ont pu être exprimés qu’indirectement, car eux ne sont à tout le moins pas passés à l’acte. Cependant, il ne fait aucun doute qu’en détournant les yeux, ils ont rendu ces abus possibles. Dans la plupart des cas, la déception suscitée par leur attitude a pu se dire, et ce simple fait peut être ressenti comme un grand progrès, si on le rapporte à la teneur en dissimulation des émissions proposées habituellement sur ce thème. Mais là encore, c’est l’expert psychologue qui comme d’habitude a dissimulé la vérité. Tandis que l’experte judiciaire a parlé conformément à la vérité de ce qu’il en est de la dissimulation des faits au cours des procédures, le pédopsychiatre s’efforça de relativiser la signification des faits rapportés ou même de les retourner en leur contraire. C’est ainsi par exemple qu’il a voulu mettre l’accent sur le rôle de l’imagination de l’enfant, pour se conformer à la tradition freudienne, suscitant l’opposition tranchée des anciennes victimes. Mais il fit bien plus. Après avoir pourtant entendu décrire les dégâts que de tels abus ont causés dans la vie de jeunes gens, comment ces abus les ont entraînés vers la drogue, la délinquance et de graves maladies, il n’en déclara pas moins sur un ton serein et apaisant : » mais heureusement la plupart des victimes ne passent pas à l’acte à leur tour, elles ne reproduisent pas obligatoirement sur leurs enfants les abus qu’elles ont subis. Si c’est peut-être le cas pour à peine 10%, 90% deviennent des parents formidables « .
Une telle déclaration, de la part d’un pédopsychiatre, qui devrait pourtant grâce à ses patients être à même de connaître la vérité (pour autant qu’il accepte de lui faire sa place), avait tout pour étonner puissamment. D’où cet homme sort-il ces statistiques, telle était la question qui s’imposait. Car en vérité, c’est bien vraisemblablement le contraire, à savoir qu’à peine 10% échappent au destin qui les condamne à la répétition, et encore, à condition de prendre conscience des souffrances qu’ils ont endurées dans l’enfance. Si ce n’est pas le cas, les parents battus battent leurs enfants et affirment que c’est pour leur bien. Il y a tant de gens qui abusent de leurs enfants et affirment qu’ils leur donnent de l’amour, tout comme leurs parents et éducateurs l’ont fait avec eux. Comment est-il possible qu’un pédopsychiatre ne sache pas cela ? Je pense que ce qui l’empêche de le savoir, c’est la peur de mettre au jour sa propre histoire refoulée et niée, et de ressentir la douleur qu’elle lui a causé. A cela s’ajoute sa peur de se retrouver seul s’il prenait le parti de la vérité et ne rejoignait pas le vaste camp du déni. Peut-être souhaite-t-il plaire à ses collègues, ou à ses propres parents, ou à lui-même, et c’est ainsi qu’en proférant une contrevérité éclatante devant des millions de téléspectateurs, il trahit le petit enfant qu’il fut un jour. Malheureusement, sa qualité d’expert fait qu’il est écouté et pris au sérieux. C’est l’une des multiples manières de transmettre à d’autres personnes, et même ici de faire passer à une très grande masse de gens, la tromperie dont on a été soi-même l’objet autrefois, sans prendre la responsabilité de ce que l’on fait véritablement, ni des raisons pour lesquelles on le fait.
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