Affaire Josef Fritz : les victimes

Affaire Josef Fritz : les victimes
Wednesday 21 May 2008

Bonjour Brigitte, Bonjour Alice,

Concernant « l’affaire » dramatique Josef Fritz dont vous avez parlé en décrivant le process qui a fait de cet homme un monstre, voilà ce que j’ai pu lire dans la presse concernant sa fille séquestrée et ses enfants :

…Elisabeth et les six enfants ont été placés en observation dans une unité psychiatrique de la clinique régionale, où leur état psychologique semblait satisfaisant… (RTL info.be – 28/04/08)

Comment une femme séquestrée et violée pendant toutes ces années par son père, sans compter l’enfance qu’elle a du avoir auprès de cette homme et de sa mère, pourrait-elle être dans un « état psychologique satisfaisant » ?
Comment des enfants nés d’un viol et vivant dans une telle famille pourraient-ils être dans un état psychologique satisfaisants ?
Qu’est-ce que ça peut vouloir dire pour certains psy « état psychologique satisfaisant » ? N’est-ce pas hypocrite et dangereux de la part de psy d’écrire des choses pareilles ? Cette femme est ses enfants ne sont ils pas plutôt dans un grand déni qui donnerait l’impression qu’ils vont bien ? Comment des psy peuvent-ils ne pas s’en aperçevoir ? Comment des psy peuvent ils affirmer par voie de presse que des personnes ayant vécu des traumatismes aussi graves présentent un “état psychologique satisfaisant” ?

C’est moi qui ai un problème où ma réaction vous paraît elle justifiée ?
Merci pour vos prises de positions claires et nettes qui font du bien dans ce monde où beaucoup de personnes ne pensent qu’à (se) mentir

AM: Je suis contente que vous puissiez voir l’absurdité des informations des psychologues qui nous assurent que “tout va bien” dans la famille de Fritzl après cette histoire terrible. Mais c’est comme ça que notre société fonctionne: le déni et les mensonges sont bienvenus et on a peur de la vérité . Vos questions sont très logiques bien sûr, merci de les avoir posées.

Réponse de Brigitte:

Je profite ici de parler aussi de l’affaire “Lydia Gouardo” à qui on pourrait décerner la palme de l’hypocrisie de tous les professionnels.

L’histoire de Lydia Gouardo.

A huit ans déjà, elle se fait ébouillanter dans la baignoire par sa belle-mère, qui la récure ensuite jusqu’à faire disparaître sa peau. Quand elle se réveille de son coma, son père, Raymond Gouardo, lui demande de garder le secret de cet évènement auprès des médecins et en changeant quotidiennement ses pansements, il commence à abuser d’elle sexuellement en lui faisant croire que ça contribuerait à sa guérison.

A partir de là, elle vit attachée, très vite il est devenu habituel pour elle d’être violée régulièrement jusqu’à trois fois par jour et parfois même avec intrusion de divers objets. Si elle avait le malheur de désobéir pour des petites choses, il la brûlait à l’acide chlorhydrique, à tel point que par la suite elle lui demandait de se brûler elle-même, ce qui lui permettait de contrôler son geste et avoir moins mal.

A 18 ans, il la séquestre dans le grenier, parce qu’il était venu le temps de faire des « gosses » et il lui a fait six garçons. Pour toutes les consultations médicales, il était présent et s’est même vanté d’être le père des enfants en salle d’accouchement. Après chaque naissance, ses parents lui retiraient les enfants, elle n’avait ni le droit de s’en occuper, ni de les toucher, elle ne servait que de “mère porteuse”. Les enfants étaient eux aussi violés par le père et pouvaient assister aux viols de leur mère, ils ont été ignoblement battus et jamais scolarisés.

Ce calvaire a duré presque 30 ans, durant toutes ces années, elle a été torturée, humiliée, brisée de la façon la plus criminelle qu’il soit.

A la question : Quel sentiment éprouviez-vous à l’époque à l’égard de votre père ?

Elle répond : De l’amour, je l’aimais comme un père, sauf quand il me frappait et me violait là, je le haïssais, mais je l’aimais comme il était.

Et lorsqu’il est mort en 99, ça vous a soulagé ?

Non, j’ai pleuré avec mes enfants, on voulait tous se donner la mort. Cela fait à peine un an que j’ai réalisé que ce n’était pas normal d’avoir vécu ça, je me suis toujours dit qu’il m’aimait et que je devais protéger cet amour. Maintenant, je suis contente qu’il soit mort, c’est seulement envers ma belle-mère que je suis énervée, parce qu’elle était témoin de tout et même des viols auxquels elle assistait, je veux qu’elle me demande pardon.

Malgré tout ça, vous êtes souriante et ne semblez pas brisée !!

Oui, je ne veux pas craquer, j’ai des enfants, je dois montrer que la vie est belle et qu’il y a pire que moi. Après la mort du vieux, je me suis achetée tous les meilleurs yaourts, parce que je n’en avais jamais mangé et mon fils aîné m’a payé deux percing, je suis contente, elle est belle la vie. Aujourd’hui, je dors par séquences de deux heures et entre temps je fais le ménage pour m’occuper.

D’où vous vient cet optimisme, malgré tout ça ?

Je ne regarde pas derrière, je regarde devant et je me dis que la vie est trop bien, que je suis heureuse maintenant.

Cette tragédie représente le summum de toutes les cruautés et bien malgré cela, l’enfant tombe d’amour pour son bourreau. Tous les commentaires de cette affaire sont maintenant en faveur de l’image emblématique qu’elle est devenue par ses propos, une sorte d’héroïne du courage, d’humilité et de sagesse, « il y a pire que moi ».

Son interview réconforte tout le monde dans le degré de maltraitance reçu, « mais de quoi je me plains, je n’ai pas subi le dixième de ce qu’elle a vécu ? ».

Son père est mort depuis 9 ans et ça fait à peine un an qu’elle réalise que sa vie n’était pas normale ? Et même encore aujourd’hui, aucune onde de rage contre cet homme, elle reste souriante et savoure son bonheur à manger des yaourts !!. Cela veut donc dire qu’elle n’a rencontré aucune personne suffisamment lucide pour s’indigner du crime de son père et lui donner la force de s’enrager contre lui. La seule révolte qui lui soit permise, c’est contre le voisinage et la belle-mère qui n’ont rien fait pour elle, mais c’est exactement pour les mêmes raisons qu’elle aujourd’hui, qu’on l’a laissée croupir dans son grenier. Il ne faut pas juger l’éducation d’un parent et encore moins s’en révolter, même si elle est cruelle et totalement indécente.

Alors, « c’était mon père » donne la porte ouverte à tous les sévices ? Autant de temps que nous resterons emmurés dans cet aveuglement, nous serons entourés de Raymond Gouardo.