Les traumatismes de la naissance
Monday 06 August 2007
Bonjour,
Je découvre avec étonnement votre site et votre “courant de pensée”, si je peux exprimer cela ainsi. Je voudrais vous parler de cette « chaîne » constituée par ma mère, moi et ma fille, et comme je voudrais sauver le futur en nettoyant la « chaîne » qui m’unit à ma fille, et qui est déjà souillée de tant de choses…
Ma mère et moi
J’ai un passé (et un présent…) difficile avec mes parents. Mon père ne m’a jamais démontré d’intérêt, sauf quand j’étais toute petite, et ma mère m’a toujours négligée. Oh, elle ne m’a pas frappée souvent; mais elle me rabaissait constamment, ce que je faisais n’était jamais bien fait, jamais je n’ai reçu de la compréhension ou de l’empathie de sa part… Le seul compliment qu’elle me faisait: « Tu es intelligente », mais à côté de cela, que de défauts j’avais!! Il y a eu tellement d’épisodes, mais entre autres je me souviens: je me plaignais que j’avais mal au pied, et sous prétexte que je n’étais pas tombée et qu’il n’y avait donc pas de cause apparente à ma douleur, elle ne m’a pas emmenée chez le médecin (en fait, on a découvert quelques années plus tard, j’ai une déformation du pied génétique qui me causait ces douleurs). Vers 13 ans, je voulais commencer à m’épiler (surtout que j’ai la malchance d’être une typique méditerranéenne) et elle me le défendait, j’étais ainsi la risée de toute ma classe, j’en pleurais d’humiliation et de mal-être. L’un des moments marquants de mon enfance: j’avais 11 ans, j’ai été réveillée au milieu de la nuit par des cris horribles: mon père avait frappé ma mère, qui saignait du nez. Jamais je n’ai oublié la chemise de nuit que je portais cette nuit-là, et qui est restée salie de sang. La nuit suivante, mon père a dormi sur le sofa, et ma mère a découvert qu’il y cachait un couteau. J’ai porté pendant des années le poids de savoir que ce couteau était là caché, sans savoir ce que mon père avait l’idée d’en faire. J’ai porté aussi pendant des années l’idée que ma mère ne se séparait pas de mon père « à cause de nous », ses filles, pour nous « garantir un avenir » (je n’ai parlé de tout cela pour la première fois qu’a 16 ans, à une grande amie).
À partir de ce moment-là, ma mère a été pour moi la victime avec laquelle je compatissais et que je devais protéger. Pourtant, notre relation n’en était pas meilleure pour autant. Mon adolescence a été un long conflit avec ma mère, dont je ne suis toujours pas sortie. J’ai développé depuis très jeune (10 ans environ) des troubles psychiques (des TOCS, une tendance à la dépression). Ma mère ne m’a emmenée chez un psychiatre qu’à 17 ans, alors q je me plaignais depuis de longues années que quelque chose “n’allait pas bien dans ma tête”.
Ma mère continue à me donner des preuves de son désamour (ou du moins de son grand égoïsme). Et moi je continue à attendre qu’elle me montre son amour. J’ai entrepris une thérapie il y a quelques années. J’ai compris que mes parents m’avaient fait du mal, et le thérapeute me poussait dans le sens d’en prendre conscience. MAIS il me disait aussi qu’il fallait que je leur pardonne, et moi je n’arrivais pas! À chaque fois que ma mère me sortait une de ses énormités, je sentais la révolte bouillir à nouveau en moi, toujours renouvellée, et je me disais que je ne pouvais pas me révolter ainsi, qu’il fallait que je pardonne et que je sois supérieure à tout cela, alors je m’en voulais encore plus et me sentais encore plus faible de ne pas y parvenir!! Je viens seulement de comprendre, avec ce site, que je ne suis pas OBLIGÉE de pardonner. C’est un soulagement. Je crois aujourd’hui que je vais parvenir à m’en sortir, en tous cas j’en ai l’espoir…
Moi et ma fille
Ce qui me pousse surtout à vous écrire aujourd’hui, c’est ma fille. Elle a presque 14 mois. Lors de sa naissance j’ai souffert d’une dépression pré- et post-partum dévastatrice. J’ai commencé à sombrer dans la dépression lorsque la grossesse a souffert de complications (retard de croissance intra-utérin, diminution du liquide amniotique), car avant ces complications la grossesse a été idyllique, je sentais une plénitude que jamais je n’avais ressentie. Lorsque les complications ont commencé, j’ai tout d’abord eu très très peur pour ma fille, puis j’ai sombré dans l’angoisse et je me suis complètement détaché d’elle affectivement, tombant dans une très lourde dépression, je n’arrivais même pas à tenir un stylo pour écrire, je me suis annulée en quelque sorte. Après sa naissance (problématique, elle a du aller en couveuse), je l’ai rejetée pendant à peu prés 3 mois. J’ai été hospitalisée en psychiatrie immédiatement après sa naissance, j’y suis restée 2 semaines.
Heureusement, au milieu de cette catastrophe, je n’ai pas senti l’impulsion de lui faire du mal, j’étais « seulement » incapable de la prendre dans mes bras, car ce simple geste me faisait transpirer de panique. S’il n’y avait pas eu mon mari, je crois bien que je l’aurais donnée pour l’adoption, car je ne pouvais concevoir ma vie avec elle. Par contre, lorsqu’elle avait à peu près 2 mois, j’ai fait une tentative de suicide, ne supportant plus ma souffrance. Je comprends maintenant que j’ai retourné ma colère contre moi et non contre elle, heureusement!! Peu à peu les choses se sont remises en ordre. Je sens à présent que j’aime « à nouveau » ma fille (mais ai-je jamais cessé de l’aimer ? je ne pense pas, mais cet amour s’est « caché » quelque part où je ne parvenais pas à aller le chercher), que je veux qu’elle soit heureuse, que je ne veux pas qu’elle souffre ce dont j’ai souffert, je ne veux pas qu’elle souffre « de moi ». Je comprends aussi aujourd’hui que mes raisons pour tomber enceinte n’étaient pas les plus pures possibles, qu’il y avait un désir de réparation de ma propre enfance.
Et maintenant je me sens si mal face à ma fille ! Quel mal lui ai-je donc fait ! Je l’ai rejetée alors même qu’elle n’était pas encore née, j’ai continué à le faire quelques mois après sa naissance ! J’ai voulu mourir pour ne pas être confrontée à elle. Comment réparer un jour cela ?? J’ai si peur pour elle, pour nous. Je veux être une bonne mère. J’ai si mal commencé… Mon mari aussi a eu du mal à établir un lien affectif avec elle ; quelque part, comme il me l’a dit, il considérait que bébé était coupable de mon état.
Ma petite fille est une toute petite mangeuse. Nous avons beaucoup de mal à la faire manger. Elle se débat et se fait vomir si nous la forçons. L’ironie étant qu’à la crèche, elle mange très bien.
Je comprends bien qu’elle veut me montrer quelque chose. Sa tristesse, sa révolte ?… Et quand elle ne mange pas, je deviens folle, c’est une frustration énorme, j’ai littéralement envie de la frapper tellement cela me met en colère. Je dois alors déléguer à mon mari car je sais que mes réactions sont mauvaises et nuisibles, je me mets à lui crier dessus à tue-tête.
Je peux vous dire que depuis que j’ai découvert votre site, cette colère commence à tomber. Je me sens encore frustrée et j’ai du mal à gérer cette frustration, mais je ne lui crie plus dessus et je me sens moins en colère contre elle. Pourquoi exactement ? Je ne sais pas. Mais ça fait du bien. Par contre elle ne mange pas mieux pour autant.
J’ai en fait trois questions :
– comment « réparer », si tant est que cela est possible, le mal que j’ai fait à ma fille ?
– pensez-vous que je devrais consulter un pédopsychiatre pour ma fille, est-ce utile ?
– pensez-vous qu’un jour je doive lui raconter le gouffre qu’a été la période de sa naissance, lui expliquer que j’ai été très « malade », et que c’est pour cela que je n’ai pas pu lui donner l’amour dont elle avait besoin ?
Ma fille mérite d’être heureuse ; je le mérite aussi. Je veux aller de l’avant sur de bonnes bases, mais comment dépasser cette horreur que furent les premiers mois ? Comment réparer l’irréparable? Et comment arrêter de me sentir coupable, ou du moins gérer cette culpabilité (qui est un fait)?
Je vous remercie pour tout.
Réponse de Brigitte:
Le désamour dont vous parlez de votre mère, est sans aucun doute bien réel et même au delà. La maternité et la naissance d’un enfant sont un moment privilégié pour se rapprocher de soi-même en lisant dans nos différentes émotions et sensations le vécu du nouveau -né que nous étions dans le ventre et ensuite dans les bras de notre propre mère. Le désintérêt total pour votre fille est très significatif d’un rejet très violent que vous avez subi vous même dès votre naissance et peut être même avant. Le climat si insécure d’un père menaçant de mort votre mère peut être même pendant la gestation provoquerait chez tous les bébés une terreur effrayante avec le sentiment d’être responsable de cette situation.
Pardonner autant de cruauté à votre mère signifierait que vous pourriez faire subir la même chose à votre fille en vous disant qu’un jour elle vous pardonnerait à son tour et de cette façon vous entretiendriez le cercle infernal de la violence. Nous pouvons réparer en osant regarder toute la réalité de notre passé aussi douloureux soit-il pour garder le discernement de ce qui est violent ou pas et pour retrouver l’empathie de cet enfant que nous étions et qui a beaucoup souffert. En récupérant cette compassion vous saurez transmettre tout l’amour nécessaire à votre fille et le jour venu, quand ELLE vous posera des questions sur sa naissance vous lui raconterez SA douloureuse aventure avec toute la compréhension de ce qu’elle a pu ressentir. Bonne continuation à vous. BO