Les souffrances causées par le pardon

Les souffrances causées par le pardon
Monday 21 November 2005

Bonjour Alice,

Je vous ai découvert il y a 3 semaines à peine car une copine m’a prêté votre livre Notre corps ne ment jamais. Je ne pourrai jamais assez vous remercier du grand bien que vous m’avez fait. Toute ma vie et j’ai 59 ans j’ai été torturé entre l’amour et la haine que j’éprouvai pour ma mère. Je l’ai accompagnée tout le long de sa vie dans le seul espoir de me faire aimer d’elle. Ma mère s’est mariée à l’âge de 32 ans après avoir été religieuse donc, déjà la religion était toute sa vie. Elle a épousé un homme alcoolique qui, je crois ne l’a jamais aimée et qui l’a épousé pour ne pas avoir à aller se battre sur les champs de bataille. Il a fui la guerre. Donc, je suis née de deux personnes torturées. Elle me disait qu’elle travaillait et lui pas au début de son mariage. En plus, elle devait supporter la belle-mère qui vivait avec eux. Après la mort de celle-ci elle est devenue enceinte mais, mon père qui ne se remettait pas de la mort de sa maman buvait de plus en plus et la battait. Lorsque j’étais un tout petit bébé déjà elle me racontait qu’elle ne pouvait pas entendre mes pleurs et me lançait sur le lit car elle ne savait pas quoi faire avec un bébé. Et cela à continuer, elle me battait en me lançant sur le lit et me fessait avec une règle en plastique si ce n’était pas en bois. Elle a en même brisé une sur mes reins et toute ma vie j’ai supporté cette douleur physique au dos. J’avais tellement peur que je me cachais en dessous du lit et elle essayait de me faire sortir de là avec une moppe. Elle m’obligeait à m’agenouiller devant elle et lui demander pardon mais pardon de quoi je ne savais pas. Elle faisait des crises d’hystérie devant moi – elle grognait et se mettait les deux mains sur ses oreilles. J’avais tellement peur. Je ne me souviens pas d’une simple marque d’affection. Lorsqu’elle était un tantinet gentille j’avais peur d’elle car je ne savais pas ce qu’elle mijotait. Lorsqu’elle me battait je me protégeai la figure avec mes bras pour me protéger les yeux. Dès que j’essais de parler elle me répétait sans cesse : ne dit pas un mot. Ce qui a fait que je ne pouvais jamais m’exprimer à l’école car mon subconscient avait enregistré ses paroles. Je devais me taire constamment. Les gens me considéraient comme niaise car je n’arrivais pas à m’exprimer en plus j’avais un très gros accent en français. Jamais ma mère me complimentait – elle disait qu’il ne faut jamais dire à un enfant qu’il est beau car cela va le rendra prétentieux. Mais, moi, je regardais toutes mes petites amies dont les mères ne cessaient de les complimenter. J’avais un énorme besoin d’amour que je n’arrivais pas à combler. J’ai perdu mon père à l’âge de 12 ans. À 13 ans, ma mère m’a dit qu’elle me fera pas vivre jusqu’à 20 ans et que je devais prendre des cours pour aller travailler le plus vite. Je devais le samedi matin me lever à 07h00, aller faire le lavage car nous n’avions pas de machine à laver dont, je devais partir avec mes sacs de linge et aller faire le lavage à la buanderie. Après je devais faire le ménage et préparer le repas de madame qui travaillait le samedi matin. J’ai été sa servante jusqu’à ce que je commence à travailler à l’âge de 17 ans et j’en ai 59 ans. Lorsque j’ai commencé à travailler je l’a gâtais mais elle n’appréciais pas c’est comme si elle ne voulait rien de moi il faut dire que je ressemble beaucoup à mon père physiquement et elle le détestait tellement que je le lui rappelais continuellement. À 23 ans j’ai tombé amoureuse d’un allemand venu au Québec – elle m’a tellement manipulée que je ne l’ai pas suivi et elle, elle s’est remariée 3 ans après. Elle n’a pas été heureuse avec son deuxième mari mais elle me disait qu’il était mieux que mon père. N’étant pas heureuse elle me prenait encore pour son bouc émissaire donc, toute sa colère elle l’a dirigeait contre moi. J’aurais voulu prendre mes jambes à mon cou et m’enfuir mais il y avait cette morale religieuse qui me disait : c’est ta mère tu dois l’a protégée – mais moi qui me protège. Toute ma vie j’ai travaillé sur le pardon mais j’avais toujours cette blessure intérieure. J’ai accompagné ma mère jusqu’à son dernier souffler et jamais elle n’a prononcé : je t’aime. Lorsqu’elle était malade je lui faisais du Reiki elle ne voulait pas – elle me disait que mes mains étaient trop chaudes. J’ai essayé de lui parler des sévices qu’elle me faisait subir lorsque j’étais enfant; elle me répétait que c’était le passé. Aujourd’hui, je suis libre mais seule car toute ma vie j’ai eu de la difficulté à établir des contacts humains surtout avec les hommes.

J’espère que votre livre sera lu par des adolescentes et des jeunes femmes et qu’elles ne ressentiront pas la culpabilité que je ressentais continuellement lorsque je voulais m’enfuir.

Merci d’avoir eu le courage d’écrire un tel livre. J’en ai lu des livres mais le vôtre décrit exactement ce que, nous les enfants maltraités, nous avons subi.

Mes plus sincères salutations,

G.M. de Montréal

A.M.: Je vous remercie pour votre lettre qui m’a touché beaucoup, et surtout pour la phrase “Toute ma vie j’ai travaillé sur le pardon”. Presque tout le monde le fait et souffre souvent encore plus, justement à cause du pardon. Le pardon n’aide pas à guerir les blessures, il n’aide qu’à les cacher.

Réponse de Brigitte:

Madame,

votre témoignage est bouleversant de sincérité et d’émotions, je reste toujours subjuguée par la capacité de l’enfant à survivre devant autant de mépris et de maltraitance et quand bien même il reste sa vie durant à attendre l’inattendu pour rester fidèle à la morale du pardon. Que ce soit dans la thérapie, la religion, le développement personnel, les tendances New Age, les discours sont les mêmes, c’est quand on n’a plus de colère contre les parents, que l’on est prêt à pardonner et que l’on peut “guérir” de notre enfance. C’est sur ce mensonge et cette dangereuse aberration que l’on peut continuer à servir jusqu’à la fin de leur vie ceux qui nous ont le plus massacré.
En entendant cette blessure intérieure comme vous avez osé le faire, vous avez décidé de ne plus vous trahir pour gagner votre liberté, celle d’enlever les chaînes de la culpabilité, parce qu’effectivement aucun enfant n’est coupable de recevoir de tels traitements.
En plus de lire et de sentir au travers des livres d’A Miller la maltraitance comme un mal dévastateur, on peut y lire sans ambiguïté combien le pardon non seulement fait obstacle à sa liberté mais perpétue la destruction des hommes et de l’humanité.
Avec toute ma compréhension.

Brigitte