Réaction des enfants sur le sujet de la maltraitance
Sunday 16 October 2005
Bonjour
Je vous écris parce que je suis toujours très enthousiaste à vous lire. C’est un mélange de soulagement, de joie et d’énergie retrouvée.
J’enseigne l’histoire-géographie au lycée en France, en Alsace.
Je ne vais pas m’étendre sur mon histoire personnelle, mais les souffrances que j’ai subies dans mon enfance, m’ont amené à chercher de l’aide. Après avoir essayer différentes voies, j’ai trouvé une aide efficace.
Dans le même temps je trouvais vos livres et je me suis nourri de vos idées.
Mais alors quel bordel ça fout dans la vie de mes congénères. Enthousiaste je partageais mes découvertes avec des collègues, des amis. Oh là là !!! Je crois que l’idée des châtiments corporels est bien installée, c’est une vérité trop simple car elle touche chaque personne dans son histoire.
Maintenant que j’aborde ce sujet je sais que je vais avoir de réaction de défense. C’est comme dire aux personnes : « vous vivez sur un mensonge ».
Avec le temps j’ai appris à donner mon point de vue avec plus de discernement et de modération.
Dans mon activité de professeur
Dans votre livre « C’est pour ton bien » vous démontez le mécanisme du nazisme à travers l’enfance d’Hitler. J’utilise maintenant toutes ces connaissances avec plaisir. Souvent mes élèves me posaient la question suivante : « pourquoi Hitler a-t-il pu faire autant de mal ? Pourquoi autant d’horreurs ? »
Mes réponses étaient celles de mes professeurs, qui n’avaient certainement pas lu vos livres. Elles faisaient appel à l’économie, à la sociologie, etc. Ian Kershaw dans un de ses livres dit clairement qu’on ne peut pas lire l’histoire du nazisme en s’appuyant sur l’enfance d’Hitler. Cette idée est totalement absurde à ses yeux.
Maintenant j’explique que l’éducation donnée aux enfants est déterminante pour le futur d’une société. Je donne l’exemple de l’éducation des enfants avant 14-18 où les « hussards noirs » de la République incitait à la haine des Allemands avec des dictées, des exercices de mathématiques, etc. Pour le nazisme, le fascisme et pour toutes les violences je fais appel à vos idées. J’explique la violence sur les enfants comme un moteur de la violence future pour les adultes. Mes élèves de 15 à 19 ans refusent souvent ce que je dis. Ils pensent que les claques et les fessées sont normales… de la part de leurs parents. En revanche ils comprennent très bien qu’elles soient interdites à l’école… Et pourtant je fais des petits sondages dans les classes. Il s’avère que la violence physique de mes collègues et toujours présente.
Un de mes élèves de 15 ans en 2004 m’expliquait que son institutrice l’avait enfermé dans un placard pendant un après-midi, etc… (L’institutrice est décédée depuis)
Mes élèves et mes collègues font des raccourcis : « alors les claques ça donnent le nazisme ! » Ce sont des raccourcis qui ne font pas loin.
En psychothérapie
Je me suis intéressée à la psychothérapie. Je suis donc une psychothérapie psychocorporelle. Là aussi j’ai pu voir combien l’introjection des violences subies peut-être forte, combien oser voir la vérité en face, à savoir les manques, la violence subies enfant par ses parents.
En vous remerciant pour ce que vous écrivez.
Très joyeuse journée à vous.
JGB
Réponse de Brigitte:
Voilà une réalité bien dure à affronter.
Une des préoccupations des parents est d’avoir un enfant digne de ce qu’ils sont, tout comme ils ont dû eux-même correspondre à l’image de ce qu’on leur a demandé jadis et ce en utilisant des méthodes éducatives des plus visibles (comme les coups) aux moins visibles (manipulation, rejet, humiliation, rabaissement, perversion…).
En étant interventionnistes dans leur rôle, ils se rassurent de mettre leur progéniture sur “le droit chemin” sans se soucier le moins du monde de l’impact de tels agissements. Comment le pourraient-ils puisque eux mêmes alors qu’ils étaient enfant ont dû se convaincre qu’il était normal “d’être corrigés”.
Le témoignage de vos élèves est très révélateur, en disant : “qu’ils pensent que les claques et les fessées sont normales… de la part de leurs parents, mais qu’en revanche ils comprennent très bien qu’elles soient interdites à l’école…”. Il est désolant de faire le constat qu’il est impensable et inconcevable de toucher à la sacrée sainte image parentale.
Voilà de futurs “distributeurs de corrections” qui en toute bonne conscience vont transmettre des valeurs non seulement erronées mais aussi perverses puisqu’elles reposent sur un énorme mensonge, à savoir que c’est pour notre bien et par amour que nous recevons tout ce mépris.
Voilà comment peut s’installer durablement dans notre vie une grande confusion sur l’amour et le respect, puisque nous nous construisons sur cette invraisemblance qu’en étant maltraité ou en maltraitant nous sommes respectés, aimés et que nous respectons et aimons. Pour rester en vie, l’enfant n’a pas d’autre solution que d’ignorer sa souffrance pour privilégier l’illusion d’être aimé et d’aimer son parent.
Vous avez raison, je vous encourage à conserver votre lucidité et votre réalité pour le bien de votre corps et de votre liberté.
Sincèrement
BO
AM: Cher J.G., je vous remercie de votre lettre qui est amusante et tragique en même temps. On se sent très seul si on voit clairement qu’une chose est bleue et tout le monde autour est fort persuadé qu’elle est jaune. J’ai expliqué ce phénomène de blocage de la pensée dans mon livre « Libres de savoir ». L’enfant frappé (et qui ne l’était pas ?) n’a pas de choix que dissocier, que croire qu’il est battu pour son bien, et il garde cette croyance toute sa vie si personne ne l’aide. Les réactions que vous rencontrez vous montrent comment cette croyance est répandue.
Mais comment êtes-vous échappé à ce blocage ? Est-ce que votre thérapie vous a aidé de découvrir votre vérité ou bien est-ce que votre vérité était moins cruelle et vous n’étiez pas forcé à nier la réalité ?