La colère qui dure

La colère qui dure
Thursday 09 October 2008

Bonjour Alice,

J’ai lu cette semaine votre dernier livre “Ta vie sauvée enfin”. J’ai lu aussi, il y a quelques mois, vos 2 autres livres “Notre corps ne ment jamais” et “La connaissance interdite”. Tous ces livres se trouvent à la bibliothèque municipale de ma petite ville.J’ apprécie beaucoup vos livres, car pas trop difficile à comprendre, car je suis une lectrice un peu particulière : c’est que je suis sourde profonde de naissance. Et donc, il est important pour moi que les ouvrages ne soient pas trop compliqués à comprendre. Je suis une ancienne victime de l’inceste. J’ai subi des viols à répétition entre mes 5 ans et 16 ans de la part de mon beau frère.
Bien que je n’ai pas eu beaucoup de psychothérapies (trop cher, trop loin, trop compliqué etc…je vis en milieu rural loin des villes de plus de 5 000 habitants), j’ai pu beaucoup évoluer. Grâce à la justice (j’ai porté plainte), même si ça a abouti au non lieu, grâce au forum SOS Inceste pour Revivre.Mon travail de reconstruction a commencé quand j’avais 25 ans. Je pourrais dire que je née une deuxième fois à 25 ans, mais quel long cheminement.Aujourd’hui j’ai 36 ans avec tous de profondes changements par rapport à avant mes 25 ans (la période de déni total sur les maltraitances que j’ai subi enfant) : plus de famille, mais j’ai toujours ma mère avec qui j’ai mis bcp de distance, mon chéri et mes beaux parents avec qui je m’y sens à peu près bien, sentiment d’être beaucoup plus “moi” et non plus une espèce de marionnette ou de fantôme que je fus avant etc…Pourtant cette semaine, je suis confrontée à un sentiment nouveau : “La colère”. Je le sens très bien en moi, mais je n’arrive pas à m’en libérer. Colère contre ma mère, mon père, mes frères et soeurs, pour m’avoir abandonné, méprisé mes ressentis d’enfant en souffrance etc…Je soupçonne beaucoup que cela doit expliquer mes fréquentes crises d’hyperphagies (une sorte de boulimie, mais que je ne vomis pas), pour refouler la colère en dedans de moi.Vos livres ont très bien expliqués, et confortent beaucoup ce que j’ai appris toute seule ou avec l’aide de rares personnes (rares certes, mais pas néant, ce qui est déjà énorme), à travers ma reconstruction.Cependant, je ne vois pas clairement dans vos ouvrages le comment concrètement on cherche à se libérer des émotions refoulés. Ca a l’air simple à première vue d’oeil : il suffit de prendre conscience, d’affronter la vérité en dedans de soi, puis hop, on se libère ! Mais moi, ça ne marche pas comme ça, surtout avec la “colère”, j’ai grandis avec une éducation qui dit que la colère est très mauvaise, je sais que c’est faux. Je suis pleinement consciente que mon corps est comme “empoisonné” par l’espèce de suc de colère qui est en moi, partout. Mais j’ai beau essayer de dialoguer avec la petite fille en moi, je n’y arrive pas. J’ai fait hier soir le dessin sur la colère que je ressens, espérant que ça me libérerais un tant soit peu. Ca ne réussissait qu’à me fait frémir un peu, qu’à comprendre que la colère, je pourrais la comparer comme une sorte de déesse Shiva (religion hindou) qui détruit ce qui est illusion. Mais c’est tout. Je me sens terriblement déçue de ne pas être toujours parvenue à me libérer de la colère.Car j’aimerais beaucoup me libérer de ce que je ressent dans mon corps. D’autant plus que j’ai pu beaucoup évoluer jusqu’à aujourd’hui comme intégrer pleinement le fait que j’ai subi l’inceste, que je suis une personne à part entière et non pas l’étiquette réductrice “victimes” etc…Et puis, je suis devenue cette année bénévole au centre socio culturelle, et j’aimerais tellement me libérer de la colère pour que je me sente enfin capables de supporter la colère des autres ou bien de m’exprimer ce qui ne va pas, au lieu de me sentir “démolie” au moins coup d’engueulade. Comment faire ?Des personnes empathiques, ils ne sont pas partout hélas !J’aimerais beaucoup que vous m’expliquer comment arriver à avancer, à se liberer petit à petit de tous les émotions refoulés en soi, quand on ne peut pas toujours s’offrir de séances psy, quand on ne connait pas de personne dans l’entourage capable de nous entendre…Est ce que c’est foutu ? Trainerais je alors ce sentiment de colère en dedans de moi tout le reste de ma vie ? Pourtant je suis complètement sorti du déni pour une très grande partie de mon vécu…J’ai une telle impression que la colère, c’est le dernier maillon, comme si cela ne peut exister que si et seulement si, j’ai bien intégré en moi beaucoup d’autres choses : reconnaitre qui j’étais, accepter des réalités aussi pénibles soient ils pour remplacer des idées fausses que j’avais sur ma famille etc…Je vous souhaite d’écrire encore d’autres ouvrages. Bien cordialement.

Réponse de Brigitte:

Vous avez été violée durant onze ans alors que vous n’étiez qu’une petite fille et personne n’a rien voulu voir, ni rien voulu faire pour vous protéger de ce crime!! Il est tout à fait normal que vous sentiez la colère en vous aujourd’hui contre tous ceux qui ont laissé faire ça. Onze années de torture ne peuvent pas se “régler” en une seule fois, il est compréhensible que la colère soit encore très présente et ce pour un temps aussi long que votre corps aura besoin de l’exprimer. Jusqu’ici vous viviez dans une “petite mort” exigée par la suppression de vos émotions, aujourd’hui votre corps retrouve la vie par la colère qui a été si longtemps refoulée. BO