J’ai fait du mal à mes enfants

J’ai fait du mal à mes enfants
Thursday 30 March 2006

Bonjour Alice Miller,
Je voudrais partager avec vous mes réflexions concernant « la culpabilité ». C’est un des sentiments les plus partagés par les humains et il est, comme vous l’expliquez si clairement, la conséquence directe du déni des souffrances, humiliations, rejets et toutes les formes les plus subtiles des violences faites à l’enfant (comme le silence par exemple qui est une grande violence et plonge l’enfant dans une grande insécurité dont il n’a pas toujours conscience arrivé à l’age adulte.)
Chaque fois que je lis ce que vous avez écris, que ce soit dans vos livres ou dans vos articles, je suis saisie et profondément interpellée par la simplicité avec laquelle vous décrivez ce qui no! us prend si douloureusement aux « tripes ». Dans l’article sur la culpabilité, vous expliquez en quelques lignes la mise en place de ce sentiment ainsi que les raisons pour lesquelles il continue de nous habiter à l’age adulte. A ce niveau là, le chemin pour nous est déjà placé Beaucoup de personnes font ce chemin vers leur propre histoire à travers un travail thérapeutique avec une réelle volonté de lever les voiles, les illusions et les souvenirs volontairement embellis qui tapissent la toile de fond de leur enfance ; et dans ce parcours jamais facile, toujours douloureux, accéder à la vérité, c’est-à-dire à ce qu’elles ont réellement vécu.
Pour avoir parcouru ce chemin, en tout cas en partie, et aussi au contact de nombreuses personnes avec lesquelles je partage en entretien, il y a un moment où la personne peut se trouver « coincée » dans son parcours :
Dans un premier temps la personne fait le travail sur sa propre histoire et découvre que ses gentils parents si adorables aujourd’hui lui ont infligé des humiliations, des abus de pouvoir et ont eu recours à des fessées pour les « éduquer » Elle accède à la réalité , cesse de courir après ce qu’elle n’a jamais eu, c’est-à-dire l’amour et l’attention de ses parents ; l’enfance est loin, elle n’a pas eu ce dont elle avait le plus dramatiquement besoin : ce n’est pas l’adulte qui a besoin d’être réparé, et l’enfance est finie à jamais .Là la personne voit clairement les choses et se répare dans sa propre histoire .
Mais le sentiment de culpabilité peut l’attendre juste un peu plus loin : avant d’entreprendre le travail sur sa propre histoire, la personne a pu céder( ce qui est le cas souvent) à la tentation d’utiliser envers son enfant les mêmes méthodes d »éducation » que celles qui lui ont été infligées. Et c’est souvent à ce moment là que la personne peut rester « figée » parce qu’en même temps qu’elle découvre la violence qu’elle a vécue et touche à sa souffrance d’enfant, elle réalise avec stupeur qu’elle a aussi donné des fessées à son enfant (par méconnaissance, simplement parce qu’elle était protégée de la réalité par son refoulement.)
C’est le deuxième temps fort. Et là j’ai besoin de votre opinion à ce sujet.
La personne dit « moi aussi j’ai fait ça ! Tu te re! nds compte ! J’avais oublié ces moments !c’est affreux je m’en veux à mort ! »
Je pense que nous faisons tous des erreurs parce que nous ne « savons pas ». Si j’ai eu des parents toxiques, j’ai pu faire mal à nouveau. Je pense que on ne peut pas changer les choses mais on peut aller vers nos enfants, même s’ils sont devenus adultes et leur dire « je ne peux rien changer à ce qui s’est passé, je t’ai blessé et humilié peut être, je le regrette sincèrement et profondément, je ne savais pas, tu a le droit légitime de m’en vouloir pleinement pour ça » Mais je ne suis pas certaine qu’une personne qui a touché à sa propre souffrance et réalise qu’elle a aussi aspergé de quelques miettes toxiques son enfant, puisse, même si elle en fait sincèrement dans son cœur la démarche, puisse un jour cesser de se sentir coupable pour les blessures qu’elle a infligées à son enfant.
Je me trouve souvent dans cette situation où les personnes ont fait un beau travail mais où les choses coincent à ce niveau. J’ai besoin de votre opinion et de votre éclairage à ce sujet. C’est un point important pour moi et aussi pour mon travail.
Merci d’avoir pris le temps de me lire, J.C.

AM :

On peut se libérer des sentiments de culpabilité hérités de nos parents, mais en prenant connaissance des séquelles de la maltraitance nous commençons à comprendre à quel point les blessures que nous avons subies nous ont abîmés. Dans beaucoup de cas, ces blessures ont aussi abîmées ou même détruits l’instinct maternel chez beaucoup de femmes.
Ce constat pendant la thérapie peut réveiller chez la patiente la rage contre les parents qui lui fait peur et qui la pousse comme d’habitude de la cacher en se déclarant plutôt coupable que de voir la rage en pleine lumière. De cette peur et de cette culpabilité on peut se débarrasser dans la thérapie, mais pas de la vraie tristesse si elle est justifiée.
Frapper les enfants ce n’est pas « disperser les miettes » c’est un acte destructeur que l’on ne pourra effacer. On ne peut que le regretter et arrêter de le reproduire après avoir compris sa nocivité. Heureuses sont qui ont fait la thérapie avant avoir des enfants.
Il est tout à fait normal que l’on ressente une profonde tristesse du fait que l’on était aussi ignorante comm mère. Je pense qu’aucune thérapie ne peut nous libérer de ce sentiment. Au contraire, si elle nous encourage à être vraie, nous vivrons nos sentiments pleinement à chaque fois qu’ils apparaissent. Cela ne veut pas dire que l’on sera triste toute sa vie, les sentiments vécus et compris ne restent pas toujours avec nous. Si nous admettons que nous étions responsables de nos jeunes enfants, nous donnons la liberté à nos enfants adultes de ne pas se sentir coupable de nos fautes.
Ce sera à eux de chercher et trouver la réalité de leur enfance et leurs parents maltraitants. Mais en restant vrais et honnêtes, nous pourrons toujours admettre que les punitions n’étaient pas méritées et que la souffrance qu’ils ont subie pendant leur enfance n’était pas de leur faute.
Il ne s’agit pas des mots que nous choisissons pour nous excuser, il s’agit de ce que nous ressentons vraiement. Si nous ressentons la tristesse profonde du fait que les blessures subies nous ont empêchés de devenir des parents plus conscients, nous faisons le travail de deuil et les enfants vont ressentir que nous avons changé. Mais cela ne doit pas leur brouiller LEUR vérité et les empêcher de faire LEUR travail, de découvrir LEUR souffrance de petits enfants confrontés jadis avec notre ignorance. Je ne vois pas d’autre issue à ce dilemme sauf si l’on choisi de rester dans le mensonge.