Il n’est jamais trop tard quand on veut vraiment comprendre

Il n’est jamais trop tard quand on veut vraiment comprendre
Friday 30 May 2008

Bonjour,

Madame Miller, merci pour vos recherches et pour tout ce qui en découle. Au travers du livre sur la violence éducative d’Olivier Maurel j’ai pu enfin comprendre les raisons pour lesquelles j’étais tant mal à l’aise avec les punitions corporelles que j’infligeais à mon fils depuis qu’il a environ 2 ans (il a aujourd’hui 4 ans). J’ai compris pourquoi je ‘sonnais faux’ lorsqu’après une fessée je disais a mon fils que je l’aimais. J’ai compris pourquoi je me sentais franchement idiot de lui interdire de taper sa sœur (2 ans plus jeune) alors que moi je me permettais de lui donner une ‘calbotte’ par-ci par-la. C’est d’ailleurs cette sensation de mal à l’aise qui m’a conduit à rechercher des solutions et qui m’a fait aboutir à vos travaux et ceux qui gravitent autour. En particulier, je suis maintenant convaincu a 100% que la punition physique et la terreur ne sont pas une option.

Ce qui est fantastique c’est que vous offrez d’une voix claire la légitimité à mon sentiment le plus profond, que je ressens réellement dans la poitrine, que cette violence, cette terreur sont fondamentalement mauvaises. Votre message me permet de faire surface parmi l’héritage de mon éducation et les messages actuels de mes parents (il faut crier fort, une fessée ca ne fait pas de mal, etc.) et le silence indulgent général à ce sujet. Ce qui est d’autant plus pernicieux c’est que je n’ai pas été particulièrement maltraité dans mon enfance, du moins je n’ai de souvenir que d’une fessée particulièrement humiliante aux environs de 8 a 10 ans, mais avant je dois dire que je n’ai pas gardé beaucoup de souvenirs de mon enfance. Toutefois, admettons que mes parents ne m’aient donné qu’une seule « correction » de la sorte, je crois que le fait, pour eux, de l’avoir légitimée m’a amené, moi, à légitimer toute violence corporelle envers mes enfants. J’ai donné à mon fils des tapes sur les main, des calbottes derrière la tête, des fessées, je dirais une dizaine de fois pour chaque ; je sens clairement qu’en arriver là à 4 ans peut conduire loin a 15. Sur quelle base le dialogue peut-il se poser ? Et il est clair que la punition ne résolvant pas le problème qui amène l’enfant à se comporter de la façon qui a irrité le parent, l’enfant sera amené à recommencer, sinon sous la même forme, sous une forme différente, amenant parfois une punition ‘plus forte’ en cas de récidive. C’est un cercle vicieux dont je prends conscience maintenant grâce à vous.

J’ai donc décidé que c’en était définitivement fini. J’ai dit à mon fils que ce que j’avais fait n’était pas bien, que je l’aimais et que je ne le taperais plus jamais, justement parce que je l’aime et que lorsque l’on aime quelqu’un on ne lui fait pas mal (mon message est-il clair ? Dois-je ajouter quelque chose ?).

Mon épouse est par ailleurs très irritée de mon attitude car je ne lève quasiment plus la voix mais trouve des résolutions aux problèmes de tous les jours en exprimant les choses positivement et avec affection et non en hurlant et en menaçant de fessée comme auparavant. Et je peux jurer que l’attitude de mon fils a déjà changé. Je suis même passé par un épisode édifiant où, lors d’une colère où je lui expliquais que sa jalousie était normale mais qu’il ne fallait pas pour autant casser le mobilier, il me demanda de le châtier corporellement : « fais moi mal ». Lorsque je lui dis que c’était impossible car je l’aimais de tout mon cœur, il poussa un hurlement que j’ai interprété comme une immense frustration, un profond désespoir. Pourtant, lors de cet épisode, il me laissa le consoler dans mes bras jusqu’au bout de sa tristesse alors qu’avant il refusait toujours qu’on le console dans les bras.

Aujourd’hui je me pose deux questions importantes au sujet de mon fils : d’abord a court terme, comment l’aider a vivre ce changement, qui le déstabilise par moments, et ensuite, a long terme, quelles seraient les clefs essentielles pour l’accompagner vers sa vie d’adulte par rapport à ce que je lui ai fait subir :

Tout d’abord, cela fait une dizaine de jours que j’ai fait mon ‘coming out’ et que je lui ai fait ma promesse de ne plus lui faire mal. Pourtant depuis trois jours, ses propres tentatives de me taper ou de me mordre lors de ses colères d’enfant sont en augmentation claire.

Je réponds toujours en retenant son bras et surtout en lui disant que ce n’est pas bien ou bien que j’ai mal lorsqu’il fait cela et que donc ce n’est pas acceptable. Toutefois, la facilité avec laquelle il a recours à ces gestes est déconcertante. Évidemment on ne se sort pas de 2 ans de terreur en une semaine surtout lorsqu’elle s’est produite entre 2 et 4 ans. Comment interpréter cette recrudescence ? Quel pourrait être mon message à son intention lorsqu’il fait cela ? Comment l’aider à vivre ce changement ?

Ensuite je voudrais ce qu’il garde le moins d’empreinte possible de ce que je lui ai fait, et qu’il ait le moins de risque possible de reproduire ces comportements lui-même tout au long de sa vie. Est-il encore temps ? Quels conseils pourriez-vous me donner ?

Je sais aujourd’hui que mon fils a vécu pendant deux ans la garde en semaine de ma mère, grand-mère « néfaste » dixit notre psychologue, ainsi qu’une forte violence alimentaire par mon épouse qui avait souffert d’anorexie étant toute jeune et qui ne supportait pas que mon fils refuse la nourriture, au point de lui enfoncer de force le biberon ou la cuillère dans la bouche. Avec mon épouse nous pensions pourtant être des parents incroyables, conscients et ouverts et nous nous découvrons tyrans et bourreaux. Et en ce qui me concerne, la seule réponse que j’ai eue pour mon fils lorsqu’il exprimait sa détresse en ne voulant pas rester dans son lit pour dormir fut de le frapper car mon éducation m’avait appris que c’était une façon naturelle de faire et que j’avais l’approbation silencieuse de mon entourage. Je viens de faire un pas en arrière et au-dessus et ce que je vois n’est pas beau du tout. Quelle souffrance. Pourtant j’ai l’espoir qu’avec cette profonde certitude que vous avez contribué à faire éclore en moi, j’arriverai a donner à mes enfants le sens de l’Amour, tel que mon cœur l’a toujours su, mais que mes mains ne voulaient pas connaitre.
AM: Félicitations. Il n’est jamais trop tard quand on veut vraiment comprendre. Lisez mon livre “Ta vie sauvée enfin”, Flammarion 2008.

Réponse de Brigitte:

Vous dites que: “la seule réponse que j’ai eue pour mon fils lorsqu’il exprimait sa détresse en ne voulant pas rester dans son lit pour dormir fut de le frapper car mon éducation m’avait appris que c’était une façon naturelle de faire” et par ailleurs: “je n’ai pas été particulièrement maltraité dans mon enfance, du moins je n’ai de souvenir que d’une fessée particulièrement humiliante aux environs de 8 a 10 ans”.

Apparemment vous n’avez pas peur de regarder la réalité et les conséquences de vos actes sur votre fils, vous pouvez profiter maintenant de regarder aussi la réalité de votre passé. Vous n’auriez jamais eu l’envie de frapper votre enfant si petit si votre propre corps n’avait pas enregistré cette façon de faire à l’âge le plus tendre. Vous avez tout devant vos yeux, vous pouvez connaître votre histoire d’enfant oubliée, il vous suffit de vous voir agir pour savoir ce qu’il vous est arrivé.
Comme vous le dites, “on ne se sort pas de 2 ans de terreur en une semaine”, en plongeant un enfant dans la terreur, on l’empêche aussi de se défendre de notre autorité abusive.
Le plus grave dans une blessure sur enfant, ce n’est pas tellement la blessure elle-même mais l’interdiction de s’en défendre. C’est l’accumulation de cette rage, peur, tristesse refoulées qui est dangereuse pour le corps de l’homme parce qu’elle se transforme ensuite en bombe à retardement sur des boucs émissaires ou en maladie, ou dépendance à l’alcool….

Votre fils a la chance aujourd’hui d’avoir un père qui a compris tout ça, c’est pourquoi il se sent libre d’extirper tout ce qu’il a accumulé depuis qu’il est né. Oui la recrudescence est tout à fait justifiée, parce qu’en plus de se libérer de ses émotions refoulées, il doit se confirmer et s’assurer que vous allez rester un père sur qui il peut compter. Vous ne lui avez jamais donné cette confiance, il doit maintenant tisser ce lien avec vous et ça va prendre le temps qu’il jugera nécessaire.

Vous avez l’honnêteté de ne pas le laisser dans la confusion et le mensonge, alors n’hésitez pas à lui dire: “J’ignorais que les coups que je t’ai donné étaient très dangereux pour toi parce que mes parents m’ont fait croire qu’ils étaient bons pour moi. Je me rends compte aujourd’hui que par mes coups j’ai détruit ton empathie, ta tendresse et ta sensibilité et je m’engage à restaurer ça en t’offrant en échange toute ma compréhension et ma patience. C’est tout à fait normal que tu sois en colère contre moi, puisque jusqu’ici je t’ai empêché de te défendre en te montrant que je pouvais être dangereux pour toi et que tu devais avoir peur de moi. Si j’étais tenté de te faire encore peur, dis-le moi parce qu’aucun enfant ne devrait vivre ça.”

Vous avez entamé un beau chemin, il sera probablement entravé de buissons épineux mais je vous encourage à le suivre même s’il vous arrache les larmes que vous dissimulez au fond de vous. BO

Réponse du lecteur.
Bonsoir,
vos réponses m’ont aidé à mieux comprendre notre situation, ses réactions, à me rassurer et à aller plus loin.

L’attitude de mon fils a déjà incroyablement changé… et la mienne aussi.

Nous poursuivons le travail et, oui, je comptais me procurer « ta vie enfin sauvée » qui semble être paru à point nommé pour mon fils et moi.
Sincèrement, mille mercis.