La peur de dire la vérité à ses parents

La peur de dire la vérité à ses parents
Sunday 11 March 2007

Bonjour,

J’ai 42 ans passés. Je suis mariée depuis 20 ans et mère de 6 enfants. Je viens de vivre des semaines extrêmement éprouvantes. J’ai même eu envie que tout cela finisse, cette souffrance incroyable.
Je suis l’aînée d’une famille de deux filles. Je me sens très différente des autres membres de cette famille. Je suis née alors que ma mère était sous anesthésie générale. Elle n’a pu s’occuper de moi durant les premières semaines. Elle m’a raconté récemment qu’elle me “secouait” car je ne m’alimentais pas “correctement”. Elle m’a d’ailleurs remis il y a quelques années un document médical sur lequel le médecin avait inscrit que j’étais anorexique durant les tous premiers mois de ma vie. Elle avait l’habitude de me gifler régulièrement voire de me frapper sans compter les humiliations verbales. Je vivais sous le régime de la terreur.
J’ai entrepris une thérapie alors que je venais d’avoir 30 ans à l’occasion de la naissance de mon troisième enfant. J’ai appris au cours de cette thérapie que ce que j’avais vécu ne correspondait en rien à ce dont je me souvenais. Je gardais en mémoire l’expression “avoir une enfance heureuse”. J’avais conscience qu’à 14 ans cette enfance avait pris fin et que je vivais alors dans la violence mais pas les années précédentes dont je ne garde d’ailleurs presque aucun souvenir.
Lors d’un des premiers entretiens, la psychothérapeute m’a demandé de lui dire spontanément et sans réfléchir quelques mots. J’ai prononcé les termes “intelligence” et “inceste”.
J’ai été très surprise et je n’ai pas du tout compris pourquoi j’avais prononcé ces deux mots. Il s’est avéré que contrairement à ce que pensait ma mère, je n’étais pas “stupide” et qu’il y avait une quasi-certitude d’inceste dont un souvenir m’est apparu de manière très vivante alors que j’étais enceinte de mon sixième enfant.

J’ai appris à m’apprécier, à m’aimer, à reconnaître que je ne suis pas obligée de subir la violence, qu’elle n’est pas normale. Mais j’ai mis beaucoup de temps à dire à mes parents que je ne voulais plus les voir. J’ai protégé mes enfants dès le départ mais j’ai continué pendant plusieurs années à espérer, à tout faire pour pardonner et pourtant je n’allais pas mieux. S’il y avait des périodes de rémission, je replongeais et de plus en plus profondément jusqu’à la semaine dernière où j’ai cru ne jamais parvenir à vivre de nouveau.
J’ai pu enfin dire à ma mère que je ne voulais plus la voir pour l’instant. Je l’avais déjà dit il y a quelques années mais ce fut temporaire. Ma soeur, qui ne me croit pas puis qui m’a cru et ne me croit plus, a demandé à mes parents s’il s’était effectivement passé quelque chose durant notre enfance. Mon père a nié et m’a envoyé un courrier pour m’affirmer qu’il n’a “jamais procédé à des gestes suspects” sur nous “ni , d’ailleurs, sur personne d’autre”.
Je ne comprends pas pourquoi ma soeur a ressenti le besoin impérieux de leur poser cette question alors qu’elle disait ne pas me croire. Elle était enceinte de son premier enfant, une fille. Elle avait adopté un garçon alors qu’elle était marié avec un autre homme. Cet acte est lourd de conséquences et je me sens de nouveau complètement exclue de cette relation à 3. Seule contre eux. Aujourd’hui, je suis heureuse que ma soeur soit revenue et qu’elle soit avec mes parents. Je ne veux plus être auprès d’eux. Ce sont des personnes que je n’aurais jamais choisi, qui sont très différents de moi et même si les différences peuvent ne pas compter quand il y a de l’amour, là elles comptent car je ne veux plus les aimer. Je suis donc soulagée. Mon corps a réagi par un urticaire géant à la naissance de la fille de ma soeur. Mes parents étaient auprès d’elles. Je n’ai pas compris pourquoi je faisais une telle réaction. J’ai notamment un foyer dentaire limite et j’étais obsédée par cette pression. J’ai eu de nouveau des angoisses de mort et j’avais la sensation physique de partir.
Ma mère ne m’a pas téléphoné durant 15 jours alors qu’elle me téléphone une fois par semaine. Je sens que c’est un devoir pour elle. Et là, avec la naissance de sa petite fille, je sentais qu’elle en avait encore moins envie.
Je lui ai donc dit que je ne pouvais pas la voir. J’ai senti comme d’habitude que c’était moi qui posait problème alors que j’avais un mari merveilleux et des enfants en bonne santé (ce sont ces termes), qu’elle était malheureuse que je sois malheureuse et je sentais combien elle était heureuse en fait 😉
Je lui ai dit que je ne savais pas quoi faire, que je ne voyais pas d’autres solutions. J’étais comme une petite fille désemparée. Et je m’en veux, un peu, de cette attitude. Pour ne pas lui faire de la peine, je me replace dans la peau de la petite fille que j’ai été et du coup c’est moi qui suis faible et sans défense. Dès que je suis
plus forte et que je prononce les mots qu’elle ne veut pas entendre, elle me renvoie ma froideur et je n’aime pas être une personne froide 😉 Après coup, je lui ai envoyé une lettre dans laquelle je suis redevenue la femme que je suis aussi. Je ne suis pas du tout prête à leur pardonner. Je ne leur veux aucun mal. Je veux vivre ma vie en paix. Votre ouvrage “Notre corps ne ment jamais” m’a aidé une première fois a enfin entendre ce que je pensais déjà depuis toute petite : je ne suis pas obligée d’aimer mes parents. Cela a été un tel soulagement de lire ces mots, de les voir écrits “noir sur blanc” par une autre personne.
J’ai repris la lecture de ce livre avant-hier soir alors que je sombrais une fois de plus et il m’a donné le courage de dire le lendemain à ma mère que je n’avais pas envie de la voir. J’espère que j’aurais assez de courage pour tenir car je sais que mon corps aura encore plus mal et je ne veux plus le faire souffrir.
Merci Alice Miller d’avoir le courage d’oser vous “opposer” à la morale… Je vis dans mon corps à quel point c’est dur mais quel soulagement ensuite !

AM: Je vous remercie pour votre lettre. Elle montre la peur immense de l’enfant qui aimerait juste dire la vérité à sa mère: “Maman, je ne souhaite pas te voir, cela me fait mal”. Rien que cela. Et la peur menace, même si la mère n’insiste pas. Mais vous avez réussi quand même. Je pense que votre corps vous remerciera.

Réponse de Brigitte:
Vous n’êtes pas froide, au contraire, il faut avoir un grand coeur pour vous protéger et vous respecter comme vous le faites, c’est pourquoi votre corps n’aura pas besoin de vous faire souffrir, autant de temps que vous lui resterez fidèle. Quand on a été abandonnée à la naissance, au moment où le lien se crée avec sa mère et que l’on a été battu ensuite par cette même femme pour vous annuler totalement, alors cette terreur de l’enfant impuissant nous habite pendant longtemps. C’est pourquoi le chemin est long pour se défendre ensuite en tant qu’adulte. Vous faites preuve d’un grand courage pour prendre soin de vous et de vos enfants et vous en serez forcément récompensée. BO