Arranger son passé à la mort du parent

Arranger son passé à la mort du parent
Tuesday 20 September 2005

Bonjour Madame,

Ayant commencé à lire vos livres il y a quelques temps, j’éprouve envers vous un sentiment de reconnaissance, car ce que vous dites m’éclaire, me renforce, romps un certain isolement.
Ci-dessous un petit poème que j’ai écris quelques mois après avoir appris que ma sœur avait été victime d’un inceste de la part de mon père. Révélation qui m’a obligée à revoir l’image arrangée de mon père que j’avais réussi à préserver, suite à son décès il y a quelques années. Cela m’a permis de reconnaître la violence psychologique subie lors des trop nombreuses cuites de mon père. De reconnaître la menace de mort physique qu’il nous a fait courir lorsqu’il nous
recherchait, ma mère, ma sœur et moi, armé d’un fusil de guerre, souvenir de son passage dans les FFI, ou qu’il tirait à la carabine dans notre cuisine.
Et d’autres évènements bouleversants pour notre famille. Avant de lire vos ouvrages je ressentais, un peu obscurément, ce que je dis dans ce texte poétique, et j’étais assez seul. J’en ai écrit d’autres. Je vais continuer à lire vos livres car ils font écho, et un écho lumineux car éclairant, à ce que j’ai pu comprendre de l’histoire de ma famille et de toutes les difficultés existentielles que nous avons connues ma sœur et moi (et tous les autres, dont nos parents bien sûr) et que nous connaissons encore. En particulier le droit de dire sa souffrance me paraît un droit fondamental de la personne, malheureusement la plupart du temps il n’est pas respecté et accordé. Il y a bien des murs à démonter afin que l’homme accède à la liberté et à la possibilité de vivre et d’être heureux.
Pour votre admirable et courageuse entreprise : Merci du fond du cœur !
Bien à vous.

Chanson de la Peur

On me voulait aligné
Dans la ligne de mire
Comme un pantin désarticulé
Et on m’a eu
Dans le ligne de mire
Comme un pantin désarticulé de peur

Quand je leur demande de m’aimer
Sans que je meure de cet amour
Ils me disent « C’est impossible ! »

Et il n’y a plus de silence
Il n’y a que du bruit
Et ce n’est pas celui de nos vies
Ce sont nos sentiments qui s‘entrechoquent
Contre nos envies
Où le mur de la peur résiste infiniment
A nos rêves érotiques

Alors le vent de septembre sèche nos sueurs aigres

A la frontière de ma chair
Des assassins passaient de temps à autre
Me tirer quelques balles
Parfois des chasseurs distraits
Me décochaient quelques flèches
Et je n’y survivais qu’en me suicidant
Et il n’y avait plus de clameur
Plus de cri inutile
Plus de douleur
J’étais tranquille et clos

Ma vie antérieure, c’est hier,
Quand je frissonnais
Maintenant je rassemble les morceaux
De mon vase brisé
Maintenant je nettoie
Mes paradoxes les plus beaux
Pour en faire un bouquet
Pour orner le banquet
Où je convierais mes amis à boire
A la santé de cette nouvelle vie

Maintenant je sonne mon cor
A l’oreille du silence
Qui nous a maudit
Je vois la vérité comme
On voit la passion de l’autre
Quand il tient ses cuisses écartées

Maintenant l’angoisse cède à la joie
Doucement
Petit à petit
A l’angle de mon existence
L’angoisse est plus fragile que l’espoir
Bientôt les complications habituelles
De cette fausse vie
Et du faux amour
Ne parviendront même plus à
Masquer la forêt
Au regard du passant amoureux

Toi, le petit enfant,
Voici mes mots de colère pour toi
C’est le présent de ma force retrouvée
Trempée de ma révolte
Voici ta liberté

Alors des adultes viendront
Avec des haches et des baillons
Pour nous tuer
Avant que nos vies acérées ne les détruisent
Mais la peur sera dans leurs yeux

P.S. : Vous pouvez utiliser ce message et/ou le poème si vous en avez
l’usage.
je choisirais Christophe comme
pseudonyme.

Réponse de Brigitte:

Je me permets de réagir à l’honnêteté que vous avez eue en ouvrant vos yeux sur la réalité de ce père terrifiant tel un terroriste déchaîné sur ses otages et qui jubile dans ses délires alcooliques en profitant de sa petite fille et de votre impuissance.
C’est d’autant plus difficile pour certain d’entre nous quand le parent est décédé, car la peine s’installe vite et nous idéalisons le « pauvre disparu », celui qui nous a jamais dit je t’aime et à qui on à jamais pu le dire.
En allant vers la vérité de cette enfance tragique cette obscurité dans laquelle vous vous étiez assiégé s’estompera pour vous retrouver enfin et plus vous sentir seul parce que vous serez avec vous-même.
Le plus long chemin est de rester avec soi-même car il y a la tentation de comprendre ce pourquoi ils nous ont fait tant souffrir, ce pourquoi ils n’ont pu nous aimer et donner les circonstances atténuantes à nos bourreaux. Là est le piège de s’éloigner de soi et de payer le prix cher, car le corps, lui, ne pardonne pas.
Avec toute ma sympathie.
BO