Ecrire à sa mère

Ecrire à sa mère
Thursday 09 April 2009

Bonjour Alice Miller et Brigitte,
D’abord merci pour votre aide inestimable qui m’a permis de comprendre mes souffrances et celles de ma fille de 10 ans et d’amorcer un processus de guérison. Je consulte quotidiennement votre site depuis neuf mois et j’ai lu presque tous les livres d’Alice Miller.En regardant la vidéo de Brigitte, j’ai fondu en larmes pour la petite fille que j’étais et qui a tellement souffert dans le silence et la solitude. Enfin, j’entendais des mots qui parlait de cette souffrance muette qui a ravagé mon corps pendant des décennies et qui a miné ma relation avec ma fille unique.
Je ne me suis jamais senti aimée par cette mère narcissique qui se réfugiait derrière son pouvoir et manipulait sans vergogne mes sentiments en me reprochant constamment de ne pas la comprendre et de ne pas l’aimer.
Cette mère qui à 20 ans s’est retrouvé enceinte hors mariage( mais fréquentant officiellement mon père depuis longtemps )et dont la mère très catholique lui a conseillé l’avortement en 1964 ! Pour sauver les apparences : un mariage précipité avec mon père réticent qui restera quand même et qui l’aimera jusqu’à sa mort, accomplira ses devoirs de père de famille, lui procurera une vie aisée et avec qui elle fera deux beaux garçons. N’empêche, mon destin était scellé : j’étais à l’origine de son malheur : avoir des enfants si jeunes qui l’ont empêché de vivre sa jeunesse. Je le paierai cher mais le mieux c’est que je ne devrais m’apercevoir de rien : elle seule a été la pauvre victime.
Me réveiller, nourisson, quand je dormais pour me peser et me donner à manger et ne rien me donner quand je réclamais ,selon les directives du médecin, ont été un cauchemar pour elle ! Me laisser à sa mère à l’âge de trois mois toute la semaine entière, parce qu’elle travaillait, pendant ma première année, un déchirement ! Surtout que le week-end quand elle me récupérait, j’avais été soi-disant gâtée, alors elle ne s’en sortait pas ! Quand elle m’a reprise à un an, elle a interdit à sa mère de revenir me voir, elle avait besoin de son bébé rien qu’à elle ! Elle ne supportait pas le lien qui s’était tissé inévitablement entre nous !
Pendant des années je l’ai entendu me raconter mon histoire de son point de vue à elle et je compatissais, la pauvre ! Aujourd’hui en le racontant je pleure en pensant à cette petite fille ballotée, abandonnée par sa mère sans repères et comment croire que j’ai pu être gâtée par sa mère qui lui avait conseillé d’avorter et qui a connu la pédagogie noire et me l’a sûrement appliqué. Je tremble en en parlant. Personne ne m’a jamais dit que ce devait être terrible pour ce bébé de ne pas savoir où était sa mère et pourquoi elle l’abandonnait toutes les semaines.
Et puis j’ai des ressentis d’attouchements sexuels alors que je n’étais qu’un bébé. Récemment je me suis demandé si mon grand-père aurait pu faire ça, je n’ai pas éclairci ce point encore mais bizarrement, évoquer la possibilité a soulevé des symptômes que j’ai connu régulièrement dans ma vie : éruptions cutanées, intestins détraqués, sentiments d’angoisse. J’ai traîné toute ma vie des sentiments de honte et de dégoût de moi, l’impression d’être un objet sexuel dans ma vie sexuelle. Et me dire que oui peut-être j’ai vécu ça m’a permis de stopper les symptômes qui se sont déclarés après mon interrogation. Je n’en suis pas encore persuadée, j’aimerais en être sûre mais comment l’être quand les évènements ont eu lieu si jeune ?
Je me souviens très bien de mon petit lit et quand ma mère me couchait le soir : elle m’attachait ! Je me rappelle mes paniques, mes “crises de larmes et ma terreur : je me débattais et mon petit corps était épouvanté, je l’appelais, je la suppliais mais rien ni personne pas même mon père ne venait me voir. Je devais avoir deux ans et la rage me faisait me débattre tant et tant qu’il m’arrivait parfois de me sortir du lit avec mon matelas sur le dos ! Pour ramper jusqu’à leur lit. Des années plus tard quand j’en ai parlé à mes parents, mon père avec tout son cynisme me raconta la suite en rigolant : “alors on te ramenait en donnant des coups de pied dans le matelas !”. Et ma mère de rajouter sans compassion que les ceintures pour m’attacher dans mon lit étaient vendues dans le magasin pour bébé du coin.
Je me souviens d’avoir été toute petite l’objet de moqueries : tous les deux riaient volontiers de moi. Qu’elle m’attachait aussi les mains pour me faire manger de force parce que j’étais anorexique (?) à deux ans ! J’ai éte si bien dressée à force de brutalités et d’intimidations que je ne me souviens pas d’autres évènements traumatisants jusqu’à l’âge de 11 ans. Là mon corps de jeune fille pubère la déstabilisait, elle n’avait que 20 ans de plus que moi et faisait très attention à son apparence. Elle était jalouse du lien affectif avec mon père et me giflait quand j’avais l’audace de lui tenir tête à table. Elle était comme une furie, elle se jetait sur moi et me tapait devant mes frères et mon père qui n’intervenait pas. Il venait me consoler après quand je me réfugiais dans ma chambre et me demandais de la comprendre. La comprendre ! Je me suis ruinée ma vie pour la comprendre, ne pas lui faire de mal et cette peur d’elle incontrôlée qui a entaché tous mes échanges d’adulte avec elle ! C’est toujours moi qui crée des problèmes, qui n’est jamais contente, elle est tellement gentille, à faire des efforts et ce qu’il y a de mieux pour moi, pourquoi je cherche tout le temps à la contrarier ?
Depuis neuf mois, à 44 ans, je ne veux plus lui parler et je ne me suis jamais sentie aussi bien. Libre et libérée de mes sentiments de culpabilité, de ma dépression, des herpès labials géants récurrents, de mes crises de panique et surtout , surtout, j’ai arrêté de reporter sur ma fille toute la rage, la violence que ma mère m’a inoculé au plus profond de mon être. Ma fille, que j’ai fait souffrir à qui j’ai demandé tout ce que ma mère m’avait toujours refusé : du soutien, de la compréhension, ma fille que j’ai tapé quand elle faisait des “crises” de rage et que je n’arrivais plus à me contenir, alors je la tapais pour qu’elle se calme ! Quelle horreur ! J’ai tout mis à jour grâce aux livres d’Alice Miller, j’ai compris mon histoire, je console la petite fille que j’étais, je la laisse parler. Je me nourris des courriers de votre site. Je suis sortie de l’aveuglement et je crois que je suis en train de sauver la relation avec ma fille. Je lui ai fait le courrier où je lui explique que j’étais une mère incompétente, mais que désormais, elle peut compter sur moi . Je me suis engagée à ne plus jamais lever la main sur elle et je tiens ma parole depuis neuf mois.
Je vis des crises de rage énorme, cela fait mal, je suis très triste parfois et certains évenements me déstabilisent. Mais grâce à vous à votre travail, je sais que je ne suis pas seule et je sais “que la compassion, l’honnêté et le courage existent “. Enfin je me comprends et je comprends mieux les messages de mon corps. L’avenir m’avait toujours semblé menaçant, un sentiment de confiance m’accompagne maintenant et c’est merveilleux.
J’ai néanmoins une question : aujourd’hui je me sens plus forte et je suis partagée entre le désir d’écrire à ma mère pour lui dire tout mon ressenti (que je n’ai jamais osé lui dire et que j’aimerais vraiment lui faire entendre) et obtenir aussi des réponses qui me permettraient d’aller plus loin et en même temps je ne suis pas sûre que je peux renouer un contact. Je crois que j’ai réussi en neuf mois à créer un espace pour moi où je me suis délivrée de son emprise et à m’éloigner d’une source de danger réel pour mon Moi profond et véritable. Est-ce que cette envie de dialoguer avec elle ne cache-t-elle pas une culpabilité inconsciente -mécanisme ancré au plus profond de moi – de lui faire du mal avec mon silence ? Et le fait de penser qu’une possibilité de dialogue avec une personne comme elle peut- il être une illusion ?
Vous pouvez publier mon courrier. Merci encore pour votre travail exceptionnel et bienfaisant.
Bien à vous.

Réponse de Brigitte :

Vous avez fait un ENORME travail en regardant en face la cruauté de votre mère, en sortant de sa dépendance, d’ailleurs tout votre corps vous en témoigne sa gratitude en vous libérant de ses symptômes. La méchanceté de cette femme et sa totale hypocrisie ne vous donneront pas plus d’informations que vous ne savez déjà. Vous vous êtes délivrée de son emprise, lui écrire serait sans doute vous y livrer à nouveau. BO