Article:

Article:
Thursday 04 September 2008

Bonjour Alice, bonjour Brigitte

Au mois de juillet, très en colère en lisant un article publié dans le mensuel S!lence (« écologie, alternatives, non-violence ») où je trouve tout de même souvent des points de vue plus rassurants. J’ai envoyé un courrier à propos de cet article et j’attendais le numéro suivant pour savoir si ce courrier avait été publié, mais non. Voici l’article :

« RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET INCONSCIENT

Le réchauffement de la planète est comme son nom l’indique, un problème planétaire ; pour le résoudre, un difficile changement de mentalité s’impose, auquel de sérieux obstacles s’opposent. Parmi ces obstacles il y a ceux qui se posent au niveau inconscient et que la psychanalyse permet d’éclairer.

Il s’agit selon moi de la persistance généralisée de reliquats du stade captatif où l’individu, s’il ne se sent plus le centre du monde comme un bébé, n’en ramène pas moins tout à lui, à ses besoins immédiats, sans tenir compte des intérêts globaux auxquels il ne cède que suite à une épreuve de force, et du refus de la frustration qui en est l’origine. Essayons de voir comment ils se présentent.

Tenir compte de l’autre

Dans son évolution affective, le petit d’homme, commence effectivement par être le centre du monde, d’un monde entièrement mis à son service, d’un monde qu’il accapare, possède, surtout par l’intermédiaire de sa mère qui, après l’avoir porté, lui donne tout ce dont il a besoin. Dévouée à sa protection, elle cherche à lui épargner toute souffrance, toute difficulté, et c’est bien ainsi.

Cependant, cette position centrale, l’enfant va devoir la quitter petit à petit, car devenir adulte, trouver sa place dans la société (et cela peut inclure pour certains de trouver cette société insupportable), donner un sens à sa vie, c’est tenir compte de l’autre, c’est renoncer à être le centre du monde, à se l’approprier pour soi tout seul, c’est accepter une certaine frustration.

C’est l’acceptation de telles frustrations qui non seulement permet la vie collective, mais c’en est le fondement même.

Le fameux complexe d’Œdipe qui a fait couler tellement d’encre n’est pas autre chose, renoncer à être le seul, se soumettre à l’existence de l’autre, entrer en compétition avec lui, l’accepter, c’est cette acceptation qui permet d’aller jusqu’à l’amour d’autrui, jusqu’à faire comme idéal du moi, le don de soi, l’oblation, à trouver son bonheur dans le bonheur de l’autre, même si ce bonheur implique une frustration personnelle.

Le refus de la frustration

Or s’approprier individuellement, et refuser toute frustration est justement et paradoxalement devenu l’idéal proposé à l’homme d’aujourd’hui dans la réalité de sa vie sociale, au point que la réussite d’un homme ou d’une femme est mesurée à l’aune de ce qu’il possède, compte en banque, maison, voiture, piscine, bateau, même sa vie affective et sexuelle est souvent mesurée au nombre de ses conquêtes, à ses succès ou à ses prouesses sexuelles.

Ce besoin de posséder et de profiter sans entraves de la vie est appris fort jeune : l’enfant dès sa naissance est de plus en plus saturé de jouets, et très tôt, il a ses premiers téléphones portables, Playstation, ordinateur, TV, sans parler de la compétition pour les vêtements de marque. Les enfants sont éduqués dans l’esprit de la possession, et ils sont eux-mêmes souvent une possession, exhibés par les parents pour leur beauté, pour leur intelligence, au point que des concours de fillettes déguisées en stars sont organisés dans certains pays.

Ces jouets reçus en excès ne sont souvent pas des manifestations d’amour, mais des signes de possession de biens de la part des parents, on « montre » que l’enfant est « gâté », mais en fait il y a souvent là une incapacité à aimer, car en plus de la fierté d’exhiber les jouets de leurs enfants, ce que ces parents désirent c’est recevoir des manifestations d’amour de leurs enfants, ce qu’ils n’obtiennent pas, du moins à court terme, en imposant des limites à leurs désirs.

Les choses sont alors inversées, les parents agissant de peur de déplaire aux enfants, plutôt que les enfants pour faire plaisir à leurs parents.

Même l’Etat devient nourricier. Le rôle de l’Etat devient alors peu à peu de satisfaire les besoins de consommation des électeurs, parce que les élus sont choisis parmi ceux qui flattent le mieux ces espoirs de consommation.

Une planète maman à consommer sans modération

Lorsqu’il refuse ainsi toute limite à sa consommation, l’homme reste infantilisé et ne peut pas voir, ni même concevoir, qu’il puisse y avoir une limite à sa consommation du monde perçu comme une mère, qui l’entoure et dont il se nourrit, et refusant toute frustration, il ne peut accepter l’idée de renoncer à quoi que ce soit, même pas de ses déchets dont « quelqu’un s’occupera », comme jadis ses parents s’occupaient de ses langes ou lavaient son linge.

La planète n’est pas une personne

Respecter la planète ce n’est pas revenir à une conception animiste du monde qui attribue une « âme » à la nature, ce qui n’est que le reflet de l’impuissance de l’homme face à ce qu’il ne peut dominer. Il attribue alors une volonté aux forces et aux objets qu’il craint, volonté à laquelle il espère opposer une contre-volonté, par le sacrifice, le rituel, la magie. Cette conception magique du monde, pour émouvante et poétique qu’elle soit dans son dialogue imaginaire avec la nature, ne procure cependant que l’illusion d’un accord avec elle, même si dans les faits elle force à la respecter, du moins dans le cadre d’une civilisation non industrielle.

La science n’est pas toute-puissante

Il ne s’agit pas non plus de remplacer cette pensée magique d’un dialogue avec la nature par celle de l’illusion scientiste, d’une science toute-puissante qui pourrait « maîtriser » parfaitement la nature, pourrait « trouver » comment éviter l’effet de serre, comment éliminer les déchets, ou pourrait « produire » de l’énergie propre, à profusion et nous éviterait toute frustration, mais au contraire nous permettrait de consommer encore plus.

La science au service de l’autre

La science peut énormément de choses, mais son bon usage dépend de la capacité de l’homme à aimer, à tenir compte d’autrui, et pour résoudre le problème du réchauffement climatique, non plus un autrui limité à sa famille, son clan, sa culture, ou même son pays, mais étendu à l’humanité tout entière.

Respecter la planète implique la capacité d’accepter la frustration qu’il y a une limite à ce qu’il est possible de faire, à ce que la science peut faire, que l’homme n’est ni tout-puissant ni sans responsabilité.

Accepter un minimum de frustrations

C’est tout un conditionnement affectif inconscient à changer, passer d’une pensée partiellement infantile, orientée exagérément vers la captation, la consommation égoïste, à une pensée qui nous remet à une place excentrée, simples membres d’une seule humanité pour laquelle nous sommes prêts à accepter certaines frustrations, à faire certains efforts.

Les dégâts faits à la terre à cause d’une consommation effrénée sont une occasion de prendre conscience de notre refus infantile de la frustration, de la nécessité de grandir.

Devenir adultes en quelque sorte.

Et en adultes transmettre à nos enfants cet esprit d’humanité, respectueux de l’autre, de sa planète qui est aussi la mienne, esprit audacieux, optimiste dans la capacité humaine à développer une morale oblative, altruiste.

Jacques Janssens Psychanalyste, docteur ès sciences janssens.jps@skynet.be

Et voici le courrier que j’ai envoyé :

« Après lecture attentive de l’article de Jacques Janssens publié dans le S!lence n°359, page 46, intitulé « Réchauffement climatique et inconscient », je souhaiterais intervenir sur plusieurs points cruciaux :
1 – Je constate moi aussi l’attitude possessive et très matérialiste de certains parents à l’égard de leurs enfants, consistant à les gaver de biens de consommation, à les exhiber comme des objets, ce qui pourrait effectivement traduire une certaine impuissance à « aimer » ces enfants. Cependant cette juste observation contredit totalement le mythe de l’enfant « centre du monde », protégé de toute frustration, ayant une mère entièrement à son service. En effet, le nouveau-né dans une telle famille est traité comme un objet, entouré d’adultes qui ne prêtent aucune attention à sa personne réelle. Il est dès le départ particulièrement frustré car dans une situation de grande impuissance à faire entendre ses besoins, notamment affectifs. Extrêmement sollicité par son entourage il finit sûrement par céder à la conviction que le seul intérêt dans la vie est de posséder, de consommer, de se vivre comme l’objet de son entourage. Il subit d’autant plus que la consommation l’aliène. A partir de là, tant que personne ne lui donne la possibilité de ressentir ses vraies émotions, ses véritables besoins, il suit le processus auquel on l’a incité, avec sûrement les symptômes que l’auteur qualifie d’« infantiles ».

2 – Or a-t-on jusqu’à présent honnêtement eu la preuve que c’est le fait de n’être pas « éduqué » à la frustration qui rendrait l’être humain égoïste ?

Et si, au contraire, c’était le fait de n’avoir pas été respecté dans son intégrité, de n’avoir pas été entendu, aimé pour soi-même dès les toutes premières années de sa vie, mais au contraire d’avoir fait l’objet d’exigences égoïstes et possessives de la part des adultes, si c’était justement cela qui empêchait un être humain de s’ouvrir à tous les autres et de respecter la planète, le vivant ?!!

Maria Montessori a observé combien le tout petit enfant a soif d’autonomie et peut être sociable sans qu’on le dresse à cela.

Alice Miller a observé combien ses patients trouvaient la capacité d’un authentique don de soi à partir du moment où on les soutenait dans ce qu’ils ressentaient par rapport à de très anciennes frustrations liées à une éducation les voulant « aimants », « respectueux » et utilisant le chantage, la violence, la morale, ou tout autre moyen détourné pour en obtenir obéissance…

Janusz Korczak a observé combien les enfants peuvent être « adultes » quand leur intégrité est respectée, sans que quiconque cherche à les dominer, quand on leur fait confiance, que l’on croit à leur innocence, à un instinct altruiste qui ne s’enseigne pas mais se transmet par réciprocité !

Voilà pourquoi je tenais à intervenir : Si cette autre vision de l’humain est la bonne, cela change tout ! La façon dont nous pensons l’éducation, par rapport aux enjeux si graves aujourd’hui de la survie de l’humanité, est cruciale et peut amener exactement l’inverse de ce que l’on recherche consciemment.

Merci, donc, de ne pas tenir pour définitivement acquise la théorie freudienne des pulsions, de ne plus croire à un enfant aux instincts mauvais, tel que l’a cru Mélanie Klein, mais de réfléchir au danger de faire coller l’observation à des théories que l’on ne met pas en cause. »

Voila. Evidemment, je suppose que la proportion de personnes prêtes à remettre en question l’éducation violente (physiquement, psychologiquement) basée sur le mépris de l’enfant (et de l’enfance) n’est pas beaucoup plus importante que celle de l’humanité en général, ce qui explique que l’on n’ait pas jugé “crucial” ce débat…

Ce n’est que partie remise. Heureusement que vos actions noous aident à ne pas nous décourager!

Bien à vous.
AM: Bravo pour votre courage et votre lucidité! Mais il est triste quand même d’avoir besoin de courage pour dire et écrire des choses évidentes, justes, logiques et humaines. Il est choquant que l’on n’ait pas publié votre réponse.

Réponse de Brigitte:

Votre discernement est grand et votre réponse est excellente, elle mérite d’être présentée avec l’article pour des journaux à grand tirage ou d’autres sites Internet. Ca vaut vraiment la peine de le proposer, peut être qu’un jour quelqu’un entendra votre phrase si évidente: “l’enfant n’a pas d’autre choix que de céder à la conviction de se vivre comme l’objet de son entourage”. BO