L’importance des émotions

L’importance des émotions
Friday 19 May 2006

Bonjour,

J’ai suivi une thérapie avec une thérapeute qui m’a accompagnée pendant quatre années et nous avons travaillé sur les émotions et j’ai pu sentir et sortir des émotions qui étaient restées bloquées en moi. J’ai pu par exemple ressentir pour la première fois toute la détresse ressentie pendant les trois années d’école où j’étais régulièrement humiliée par des camarades qui déversaient sur moi l’humiliation qu’ils vivaient chez eux où le père était très violent.

Je tiens à préciser pour les gens qui n’ont pas suivi de thérapie que j’avais le souvenir intellectuel précis des scènes mais que cela ne suffit pas. Il faut pouvoir y trouver les émotions qui vont avec : j’ai beaucoup pleuré : colère, détresse. Tout ne doit pas encore être sorti car quelquefois, quand j’évoque une scène très pénible, j’ai encore la gorge qui me serre et des larmes dans les yeux.

Je vous écris aujourd’hui pour vous livrer un petit témoignage. Je suis secrétaire sociale dans un Service Social. Ce matin, nous avions une réunion pour parler de certaines situations suivies par des assistantes sociales. Une assistante sociale évoquait le cas d’une petite fille de 10 ans qui disait qu’elle ne se sentait pas aimée par ses parents depuis la naissance de sa petite sœur il y a 5 ans.

A un moment, l’assistante sociale a raconté que la petite fille lui avait rapporté que son instituteur l’avait humiliée devant ses camarades en lui disant : « si tu étais ma fille, je te claquerais ».

La discussion s’engage entre mes collègues, certaines disant que cette petite fille avait dû être très provocatrice. Et moi, prenant la défense de la petite fille (que je ne connais pas) en disant qu’effectivement, j’estimais qu’elle avait été humiliée. Les autres me rétorquant qu’elle « s’était sentie humiliée », ce qui est différent. Une collègue (qui n’est pas un bourreau et qui présente des qualités humaines indéniables) a même dit : « les enfants ne supportent plus rien aujourd’hui ».

Je voulais évoquer cette petite scène car moi qui ait fait un travail sur moi, je m’identifie à l’enfant et il est évident que cet instituteur pratique la pédagogie noire et que cette petite fille a raison quand elle évoque qu’elle a été humiliée. Mais je crains qu’elle ne subisse un dressage et qu’elle refoule tout cela dans son inconscient. Mes collègues se sont, elles, identifiées à l’instituteur en trouvant que sa réflexion était tout-à-fait justifiée. Rien ne les interpelle. Je me demande comment elles réagiront lorsque les sévices corporels seront interdits comme en Suède. Cela n’est jamais évoqué autour de moi.

De mon côté, je n’ai pas insisté. J’ai dit que l’attitude de l’instituteur était irrespectueuse. Malheureusement, j’ai deux handicaps qui m’empêchent de poursuivre le débat. Etant secrétaire, je ne suis pas reconnue comme professionnelle de l’éducation (avec toutes ses faces perverses) et je n’ai pas d’enfant. Donc incompétente pour donner un avis sérieux. Puisqu’il n’y a que des psychologues ou psychanalystes qui ont des avis « sérieux ». Les études sont une très belle défense.

Heureusement, moi, j’ai pu retrouver la petite fille que j’étais, très seule et mal comprise et je vais beaucoup mieux. Je n’ai pas fini le chemin mais au moins je suis sur le bon chemin et je ne suis pas partie dans les méandres de toutes les théories de la psychanalyse ou autres. Les émotions, c’est la vie, ne l’oublions pas. J’ai eu la chance de rencontrer une thérapeute compétente. J’avais 32 ans en 1992 et je n’avais vu personne d’autre avant. J’ai pu découvrir Carl Rogers, Alice MILLER dont je n’avais jamais entendu parler. La seule chose dont je souffre un peu, c’est le peu d’échange que je peux avoir avec mon entourage. C’est comme si j’avais découvert un trésor et que je n’arrivais pas à partager ma découverte. J’ai rencontré il y a un mois une enseignante qui suit une psychanalyse depuis 10 ans. Quand je lui ai parlé des thérapies émotionnelles, j’ai senti un léger mépris. Une psychanalyse, c’est quand même plus sérieux, pense t-elle. C’est une enseignante agrégée en lettres avec beaucoup de culture. Evidemment, je n’ai pas pu et pas voulu non plus entrer dans le débat. Je n’étais pas là pour « vendre » la thérapie émotionnelle. Après 10 ans de psychanalyse, on ne change pas d’avis comme cela. En 2006, beaucoup de gens pensent encore que la psychanalyse, c’est sérieux et que les psychothérapies sont réservées à ceux qui ne sont pas capables de suivre une psychanalyse. En tout cas, je suis contente de ne pas très bien comprendre cette théorie (sauf le refoulement, le transfert) puisqu’elle m’aurait peut être apporté des connaissances mais je ne serais pas libérée de mes chaînes.

Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.
J’aimerais avoir votre avis.
Merci
AM: Je vous remercie pour votre lettre et je vous félicite de pouvoir sentir l’injustice contre l’enfant, cette empathie est plutôt rare, même chez les thérapeutes qui n’ont pas découvert les douleurs de leur enfance. Comme nous étions battus enfant, presque nous tous, nous avons appris très tôt de ne pas sentir notre douleur et de nous identifier avec l’opinion des adultes, de nos parents, de nos éducateurs, que l’enfant a besoin des coups et d’humiliations. C’est cette voix que vous avez entendue dans cette réunion, la voix des adultes qui ne savent pas qu’ils ont gardé la peur des petits enfants, des nouvelles punitions, la peur qui ne les laissent pas voir et sentir leur souffrance, qui les empêche de voir les choses les plus évidentes. Il leur a fallu perdre leur empathie innée pour survivre. Heureusement que les exceptions rares comme vous existent déjà.

Réponse de Brigitte

Votre remarque sur les émotions que l’on peut exprimer chez le thérapeute est très importante, parce qu’effectivement il n’est pas suffisant de savoir ce que nous avons vécu dans notre enfance pour se libérer.

Il est absolument nécessaire de sentir combien il était douloureux d’être si injustement traité et cela passe par différentes émotions. De cette façon seulement nous rencontrons cet enfant blessé que nous avons été et nous pouvons le comprendre et même dialoguer avec lui. De plus nous nous approchons de lui, de plus il amplifie le lien de confiance avec nous même.

Cette démarche développe la compassion que nous avons perdue, parfois dans les premières semaines de notre existence et pas à pas nous pourrons la retrouver si justement nous prenons au sérieux la souffrance de jadis.

Si nous considérons ce que nous avons vécu comme des injustices, cela est déjà un grand pas mais il n’est pas suffisant pour ne pas répéter consciemment ou pas tant que nous n’avons pas de l’empathie avec cet enfant que nous avons été. Ce n’est qu’avec cet empathie pour nous-même, que nous pouvons avoir un regard bienveillant sur les enfants.

C’est le travail émotionnel qui permet cet accès à nous même et c’est pourquoi vous êtes indignée devant l’attitude de cet instituteur, cela n’a rien à voir avec le fait que vous ayez des enfants ou pas, vous avez été une enfant vous même et cela vous donne toute la compétence pour sentir la position de l’enfant et vous rendre compte qu’il s’agit véritablement de pédagogie noire.

Quant on a trouvé un trésor comme le votre on peut avoir envie de le partager avec notre entourage et c’est légitime, mais très souvent nous sommes confrontés à la même déception comme par le passé, de n’être pas entendu et pas compris. Il est plus facile de mettre les chaussures de nos bourreaux que de sentir la souffrance de la victime de jadis.

Bonne continuation, Brigitte.