Oser dénoncer les terreurs parentales
Sunday 12 August 2007
Réponse: en danger depuis le berceau
En lisant le rapport de vos expériences traumatisantes, j’ai dû penser à mon propre père et aux événements d’il y a quelques années. J’ai aujourd’hui 26 ans et je me sens toujours persécuté des ombres du passé. C’est bizarre, mais je connais très bien l’idée que mon développement s’est arrêté vers 17 ans. A cette époque, il s’est en effet passé quelque chose d’atroce ce dont je me souviens encore exactement :
Chez nous, c’était toujours mon frère qui se rebellais. Il est plus âgé que moi d’un an et demi. Nous avions tous les deux de nombreuses discussions avec mon père, où celui-ci tenait toujours à avoir le dernier mot. Il nous a toujours ‘demandé’ « On s’est bien compris ? » et il fallait qu’on dise oui. Je me souviens encore à quel point j’avais du mal à prononcer ce « oui », c’était le sentiment de trahir moi-même. C’est surtout dans la gorge que ce soi-disant accord faisait mal. Mais je ne voulais pas risquer de contredire, parce que j’ai vu comment cela peut finir. Une fois, mon frère en avait du marre, de ces faux accords perpétuels ! Il a osé insulter mon père de « trou de cul » et de lui dire « ta gueule », je crois. Mon père était au bord d’une explosion émotionnelle, mais avant de tabasser mon frère, il voulait se rassurer de sa loyauté et répétais « C’est pas sur ce ton que tu parles avec moi !! » J’ai déjà vu la rage incontrôlée surgir dans son visage. Mais mon frère ne le regardait pas, il lui avait tourné le dos, il rangeait quelque chose dans un tiroir de cuisine. Par chance, ou par circonstances hasardeuses, ma mère était placée entre les deux, étant assise à la table de cuisine, comme mon père d’ailleurs. Mon père insistait, mais mon frère ne lâchait pas de sa position, il s’opposait à tel point de « donner son accord » que mon père prit finalement sa tasse de café bien remplie qu’il jeta sur lui. Je dois répéter que mon frère lui tournait le dos d’une distance d’au maximum 2 mètres !!
La tasse, jetée dans une rage folle, n’est pas arrivée dans le dos de mon frère, mais sur le front de ma mère qui était en face de mon père.
Tout d’un coup, il semblait que chacun s’était apercu de la portée de la situation, comme si nous avions été dégelés, sortis d’une situation de tous les jours qui s’était alors changée en tragédie. Ma mère commenca à hurler, et je voyais seulement qu’un jet de sang jaillissait de son front. Elle insultais mon père, elle y a mis tout son désespoir et sa colère pendant que moi, je restais cloué, paralysé sur le seuil de la cuisine. J’avais tout observé, j’avais bien ingurgité ce qui peut se passer quand on contredit à mon père. Puis, ma mère devait se coucher sur le sol de notre cuisine, épuisée de sa plaie qui voulait pas cesser de saigner. Quelqu’un m’a ordonné d’aller chercher un gros chiffon dans la salle de bain pour couvrir la plaie, mais étant y arrivé, j’avais déjà oublié ma tache, je ne sentais qu’une grosse peur que ma mère n’aille mourir, nous laissant seuls avec ce monstre de père imprévisible, irascible et ulcéré de tout.
Ma mère n’est finalement pas morte, mais dans notre famille, rien ne s’est changé. Je dirais même que la tension a encore augmenté parce que tout le monde avait vu de quoi mon père est capable quand « ce petit enfant n’obtient pas ce qu’il veut »… Trop vite, il s’est excusé auprès de moi et auprès de chacun d’autre sans me donner le sentiment que cela ne se reproduisait plus. C’était une fausse excuse parce que j’avais déjà senti que je DOIS lui pardonner, une autre fois où j’était forcé de donner un accord contre mon gré.
Mon corps a réagi violemment. Dès ma petite enfance, je souffre de l’asthme, mais le même soir de cet incident dans la cuisine, j’ai commencé à avoir des troubles respiratoires jamais connus. Jusque là, je pouvais bien oublier mon asthme pendant la journée, mais maintenant, c’était comme si mon asthme me poursuivait à chaque instant ! Je croyais à l’idée que je dois respirer activement, sinon mon système respiratoire arrêterait sa fonction. Cette idée s’est vite avérée vraie, puisqu’à chaque fois que j’observais ma respiration sans rien faire, elle s’arrêtait ! Ce trouble m’accompagne encore aujourd’hui, n’ayant toujours pas trouvé de solution à ce phénomène.
Je vois que je cède trop à une idée de contrôle, comme je contrôle ma respiration à chaque pas. J’aimerais bien refaire confiance à mon corps, sachant que pour tout ce qu’il me fait il y a des raisons précises. Je vois l’idée abstraite d’une telle confiance, mais la peur de « ne plus fonctionner normalement » est trop grande. Vaut mieux le contrôle… Des années plus tard, j’ai subi les premières attaques d’angoisse, où la peur d’étouffer s’était encore accentuée. Là, j’avais déjà complètement perdu la confiance en mon corps, je voyais qu’il me joue de mauvais tours et je souhaitais en avoir un autre.
Maintenant je vois que les réactions de mon corps suivent aussi des règles. J’aimerais bien mieux comprendre ces règles du co-fonctionnement entre traumatismes et la facon dont ils sont mémorisés dans le corps. Peut-être que mon corps attend que je sois enfin prêt à laisser entrer dans ma conscience ce qui s’est vraiment passé ? Si c’est le cas, j’ai encore beaucoup de chemin à faire.
Comme vous l’écrivez, je me suis aussi posé la question de savoir si cela n’aurait pas valu mieux de me rebeller contre mon père, de libérer ma rage à la place de la diriger contre moi-même. Je déteste ma lâcheté et parfois je souhaite d’être plus violent, agressif, extroverti. Est-ce que cela sert à quelque chose quand on se défoule quelque part ? Je crois même pas mais c’est la convoitise d’un attribut dont je ne dispose pas. Je me considère comme une personne peut-être pas timide mais qui ne touche jamais à un seul cheveu de quelqu’un. Par peur d’être confronté à des conflits, par peur de ne plus être aimé. C’est pourquoi je souhaite d’être plus « agressif », parce que j’en ai marre d’être dépendant de la bonne volonté des autres. Je ne veux pas jouer une comédie pour qu’on m’aime, et pourtant je le fais. J’espère quand même que la confiance en moi s’accroît chaque jour et qu’un jour, je serai capable de regarder la vérité droit dans les yeux, sans « mais », sans « je le sais mais je le SENS pas », sans « je l’ose pas encore… » !!!
C’est incroyable combien il y a de parallèles entre nos histoires qui se sont passés dans deux pays différents et dans deux familles qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre.
En effet, mon père m’a forcé aussi de finir mes repas. En plus, il m’a dicté même la quantité. Ma mère a récemment raconté que je n’ai jamais bien mangé. J’ai toujours préféré toute sorte de choses sucrées, mais les repas âpres ou amers n’étaient pas de mon goût. Or, nous avons vécu en Allemagne de l’Est et la gamme n’était pas immense. Je me rappelle que nous avons toujours mangé du céleri, des carottes, du choux croûte, des pommes de terre. Peut-être que j’ai pas bien mangé mais mon père voulait vraiment dicter la quantité de mon repas. Ma mère a essayé d’intervenir en disant que je peux décider de cela moi-même et il a répliqué que ca serait le comble qu’un enfant puisse décider de combien il veut manger… A la fin, il m’a forcé de finir le repas. Je me souviens de la phrase, on ne sort pas de la table avant d’avoir fini son repas. Il était interdit de parler à la table, tout suivait les mêmes règles qui avaient régné chez mes grand-parents de côté paternel.
Je ne sais même pas comment le conflit éternel s’est terminé dans des cas spéciaux, comme ma mère a toujours essayé d’intervenir, du moins à partir d’une époque où nous avons déjà été plus âgés. Je sais aussi que dans ma petite enfance, ma mère acceptait encore plus, parce qu’elle aussi vient d’une famille trop marquée par le moral chrétien.
Il était donc une loi divine de finir son repas, comme le dit la bible ! On mange ce que vient sur la table…Dans cette sorte d’éducation, mon père voulait que nous apprenions à estimer la nourriture. Combien de fois nous a-t-il répété que les pauvres enfants en Afrique n’avaient rien à manger. Comme si cela aiderait quelqu’un en Afrique qu’un enfant en Allemagne ne jette pas le reste de son dîner.
Le résultat est que je mange peu et pas très régulièrement aujourd’hui. Je fait une taille de presque 1m80 mais mon poids est entre 58 et 62. C’est pas beaucoup mais je veux pas continuer à me forcer à manger. Parfois, j’ai des désirs fous de manger p.e. tas de chocolat ou de pizza. Chez mon père, il était interdit aussi de manger une « spécialité » comme ca. Il fallait qu’on accompagne une tranche de salami d’une tranche de pain. De même pour un simple œuf !! Jamais de fromage sans pain. Quand j’étais en France, j’ai vu partout comme les gens mangeaient une pièce de fromage comme ca. On peut objecter que nous étions pauvre, mais cela n’a jamais servi de justification.
Si mon père avait dit doucement, mon petit, j’aimerais bien te permettre le plaisir de manger un salami entier comme ca, mais nous avons pas assez d’argent….
Je m’en doute qu’il nous a interdit exactement les mêmes plaisirs dont il était privé pendant sa propre enfance. Il s’agit pas d’une tranche de salami sans pain mais il s’agit du crime de dicter à ses enfants des règles sans la moindre explication compréhensible. Il a toujours considéré les enfants comme « pas mur » et « agissant à courte vue ».
Une de ses phrases préférées était « tu comprendras plus tard » ou « un enfant ne peut pas regarder si loin qu’un adulte ». N’est-ce peut-être pas un hasard que je suis vite devenu myope ? Je crois que c’était déjà à l’âge de 8 que j’avais besoin de mes premières lunettes. Jusque là, je me considérais d’assez beau, mignon, mais avec ces lunettes trop grosses, cela a complètement changé. Quand je parle aujourd’hui avec mon frère de notre passé, il n’oublie presque jamais de souligner que nous nous sommes changés en « handicapés mentaux » avec ces lunettes. Cela me fâche toujours quand il le dit, parce que je vois sa manque de respect de l’enfant qu’il était. Il dit ca comme si c’était normal de se moquer de soi-même. Je vois désormais la cruauté dans cette sorte d’humour qui a peut-être été la seule possibilité de survivre à une situation menaçante. C’est pas mon truc de critiquer tout le monde, mais quand ma propre dignité est en jeu, je peux pas en rigoler. L’exemple de mon frère montre que j’ai longtemps agi de la même manière et que nous avons appris de ne pas protéger notre dignité, ou encore pire, de la bafouer par nos propres mains….
Contrairement à votre père, le mien ne s’est jamais vanté de ces « succès d’éducation ». Si je lui demandais aujourd’hui pourquoi il m’a forcé de finir mon plat, il pourrait pas y répondre, il aurait du mal à se souvenir. Il refoule tout, son propre passé et le passé avec sa famille. Il ne peut jamais me donner de réponse, et j’ai essayé à plusieurs reprises de le confronter à ses traitements cruels. Il n’est plus violent aujourd’hui, il est plutôt lâche, petit et sans pouvoir.
Il peut même aller si loin de présenter ses excuses. C’est une de deux stratégies. L’autre consiste à me reprocher mon ton brutal, parce que de temps en temps, je pouvais pas me contrôler. Mais même les reproches de ma part m’ont nul aidé, je me suis toujours épuisé devant lui, espérant de trouver une solution ensemble. Comment donc trouver une solution avec un père qui n’est pas conscient de sa propre cruauté, qui agit dans l’influence des affectifs, qui ne s’excuse que quand on le pousse à le faire ? Je sais que c’est pas possible ! Le premier pas de ma nouvelle stratégie consiste à me concentrer sur tout ce qui est en moi est de repousser l’idée de devoir, un jour, présenter mes sentiments à mon père. Ce n’est pas le premier objectif.
Ce qui m’aide toujours, c’est l’imagination que mon père soit mort. Et s’il était mort, voudrait cela dire que je ne puisse plus jamais revenir sur MON passé ? Décidément pas.
N’est-ce pas un drame que nous sommes enfants des pères qui agissent comme des aveugles, mais vraiment tellement aveugle qu’ils sont convaincus d’avoir agi « bien » en nous battant, nous menaçant, nous intimidant, nous posant des règles et des interdictions, nous faisant la morale ?!?! Qui réitèrent que ce traitement nous servirait encore dans un monde où ce n’est selon eux que les plus forts (ou dans mon cas les plus pieux) qui survivent. Dans mon cas, mon père ne me voulait jamais préparer pour ce monde cruel, mais il voulait me rabâcher du respect devant Dieu dans le seul but de vivre sur terre ainsi que l’on puisse entrer dans le ciel après la mort. Je vois comment c’est difficile de se débarrasser de cet enseignement, parce que chaque enfant croira très longtemps que le monde entier fonctionne selon les lois qu’il a connu dans sa famille. Et moi aussi, j’ai longtemps cru que c’est normal d’être comme mon père, loyal envers la bible, avec succès au boulot et jamais intéressé à ses propres sentiments. J’ai abandonné ce « parcours » pour de bon il y a quelques semaines et c’est pourquoi je suis tellement présent au forum d’Alice Miller ces derniers temps. Je suis à la recherche de personnes qui sont différents, et qui peuvent me donner la preuve que je suis pas fou en ayant ces problèmes physiques et émotionnelles. Je suis à la recherche de la cause de ces problèmes, et c’est nécessaire de puiser encore plus profondément je crois. Il y a quelques années, j’ai dit à voix haute, « papa, toute est de ta faute » ce qui m’a pas aidé comme j’ai continué à me culpabiliser par le dialogue intérieur. Chaque jour, le défi de m’intéresser aussi à moi et de soutenir surtout mon corps recommence.
AM: Je vous remercie de votre lettre et pour vos exemples si éclairants. Vous avez tout à fait raison: Forcer un enfant à manger tout ce qu’il y a dans son assiette en disant que les enfants d’Afrique sont affamés est stupide et ridicule. Néanmoins, cette sorte d’éducation est pratiquée dans le monde entier. Et si l’enfant intelligent, comme vous l’étiez sans doute, ose discerner cette absurdité on le frappe pour manque de respect. C’est comme ça que l’enfant apprend qu’il est DANGEREUX de se servir de son propre cerveau. 30 ans plus tard (pour éviter la peur mortelle) il se servira du cerveau de son papa, pas seulement à table avec ses enfants mais aussi dans la vie publique où il n’osera pas discerner les absurdités des candidats présidentiels représentant l’autorité paternelle. Parce que le petit garçon effrayé qui n’a pas pu grandir en sécurité, vit toujours dans l’adulte. Vous décrivez très clairement comment votre père a réagi avec violence extrême quand votre frère n’a pas écouté ses sermons. Avec toutes ces expériences votre peur de dire la vérité est tout à fait compréhensible, vous n’êtes pas lâche mais vous avez besoin de dire encore plus que cela, et vous avez commencé à le faire en écrivant ici. Je vous félicite d’avoir autant osé.
Réponse de Brigitte:
Vous êtes loin d’être fou mais je comprends que les agissements sordides de votre père durant des années vous en fassent douter. Il n’y a pas pire torture que l’exploitation totale de la sensibilité d’un enfant et vous en êtes un rescapé qui a eu le courage de sortir la tête de l’eau pour ne pas vous noyer dans la morale et les croyances absurdes de votre père. Vos peurs d’étouffer et les symptômes qui en découlent sont le récit de votre histoire, il est possible qu’un homme aussi désaxé que votre père puisse vous faire taire de différentes façons, vous en étiez le témoin sur votre frère.
La mort de votre père ne vous empêcherait pas de revenir sur votre passé et heureusement parce que c’est justement la connaissance de ce passé qui vous permettra de sortir enfin du brouillard pour retrouver la clairvoyance de votre présent. Bravo pour votre courage. BO