Etre en contact avec un enfant maltraité

Etre en contact avec un enfant maltraité
Thursday 15 November 2007

Bonjour,

Je me permets de vous écrire, car je me trouve actuellement dans une situation impossible dont je ne vois pas l’issue, et tandis que j’y pense et en pleure ce sont vos mots qui me reviennent.

J’ai bientôt 24 ans, et je commence à peine à me remettre d’une enfance et adolescence emplies de violences parentales. Plusieurs thérapies et beaucoup d’efforts de survie m’ont permis de construire petit à petit un environnement sain dans lequel prendre soin de moi et panser mes blessures. Je vois maintenant le chemin parcouru et j’apprends à me rapprocher de mon immense souffrance. J’ai commencé à vous lire, et ça a été une étape décisive.

Je me retrouve aujourd’hui dans une situation impossible. Je donne des cours de musique en marge de mes études, et m’occupe en ce moment d’un petit de 7 ans, à l’intelligence vive, empli de désir d’apprendre, très attachant. Un beau lien de complicité s’est tissé entre nous ! Il se réjouit chaque semaine de son cours, me gratifie de toute sa bonne humeur et de sa motivation. Il a beaucoup de facilité, fait de grands progrès, je suis persuadée qu’il est en bonne voie pour utiliser tout son potentiel. Je suis tellement heureuse de voir sa joie !

Il est fils unique et j’ai dès le départ remarqué les très grandes attentes de son père (travailleur de la classe ouvrière) envers lui. Il me demande sans cesse quels sont les progrès de son fils. Travaille-t-il assez ? Est-ce qu’il avance bien ? Est-ce qu’il est vraiment doué ? Lorsque j’acquièce, je vois ses yeux briller d’une satisfaction personnelle. Je complimente généreusement le petit, tout en reposant les limites de la situation réelle (il faut du temps pour intégrer les notions musicales, etc.)

Aujourd’hui, pour la deuxième fois, après avoir essayé de se contenir, mon élève a fondu en larmes dès son arrivée. Je vois bien qu’il a confiance en moi, et il m’explique qu’une fois de plus son père l’a grondé, qu’il ne comprend pas, que c’est violent. De fil en aiguille, je découvre que son père lui met une pression impossible par rapport à la musique (alors qu’il n’y connaît rien, et ne sait donc pas ce qui est réaliste), qu’il le tient par divers chantages, qu’il semble hurler et punir au quart de tour – en l’occurence, simplement car son enfant a refusé de travailler des morceaux supplémentaires aux devoirs, car il ne comprenait pas les nouvelles notions. J’apprends aussi qu’il bat son fils à coup de chaussure, le fait chuter en lui saisissant la jambe, etc. La situation semble très violente, et quand je demande au petit ce que fait sa mère là au-milieu, il me répond : “Ma mère, elle me protège”.

Je ne sais pas quoi faire. Cette situation me renvoie totalement à mon histoire, à mon impuissance d’enfant face à la violence démesurée des parents. J’en ai pleuré toute la soirée. Je me retrouve chez mon élève, qui à 7 ans analyse déjà une telle situation, car l’intelligence est sa seule arme. Je revis la douleur de mon histoire. Mais que puis-je faire ? La première fois qu’il a pleuré, nous avions convenu ensembles que j’expliquerai à son père son émotion face à la pression. Le petit m’apprend aujourd’hui qu’il s’est fait d’autant plus gronder après ma remarque. Que puis-je donc faire pour le mieux de cet enfant ? Je lui ai parlé comme à un petit adulte aujourd’hui, franchement, selon mon expérience. Je lui ai dit qu’avec les années il se sentirait plus fort et capable de se défendre. Je lui ai également dit que dans l’immédiat, le plus simple serait d’obéir le plus possible à son père. Je dois vous avouer qu’hormis sa grande intelligence, je ne perçois pas de solutions pour lui. Sa mère pourrait peut-être agir, mais elle semble totalement soumise au noeud de violence.

Je vous écrit donc afin de vous demander conseil, s’il vous est possible de me répondre. Je suis consciente que cet événement me fait vivre une grande part de ma propre histoire. Je ne peux toutefois pas rester inactive devant une telle situation. Quelle est la meilleure attitude à adopter ?

Si vous décidiez de publier ce courrier, je dois vous demander de bien vouloir ne pas citer mon prénom.
Je vous remercie de m’avoir lue !
Bien à vous.

AM: Je comprends que ce père vous fasse peur. Mais en tant que professeur de son fils vous êtes une autorité pour lui, ne l’oubliez pas. Vous pouvez lui dire qu’il ne faut ABSOLUMENT pas battre son enfant s’il souhaite obtenir des bons résultats. Un enfant battu a peur et dans cette situation son cerveau est bloqué. Alors en le battant le père reçoit exactement le contraire de ce qu’il aimerait avoir. Il veut avoir un fils doué mais en lui faisant peur il risque d’avoir un fils tout à fait bloqué et malade.

Réponse de Brigitte:

votre attitude de témoin lucide pour cet enfant est déjà une grande aide pour lui, parce qu’il sait que le comportement de son père est violent et que cette violence n’est pas normale. Vous pouvez aussi lui dire que n’importe qui serait enragé d’être ainsi traité par un père comme ça ou une mère qui ne réagit pas, ce qui lui permettra plus tard de na pas avoir peur de se défendre et de ne pas se culpabiliser de ressentir cette rage. BO