Les professeurs des écoles face à la réalité

Les professeurs des écoles face à la réalité
Tuesday 11 March 2008

Brigitte, Madame Miller,

je suis jeune enseignante en milieu dit « difficile ». Tous les jours, je suis confrontée à la violence et la souffrance de mes élèves, ils sont nombreux, très nombreux.
Je sens bien pendant mes cours cette souffrance qui s’exprime sous de très multiples formes dont la violence, souvent dirigée contre d’autres élèves, parfois contre moi, même si elle reste verbale.
Régulièrement, je ne peux pas faire cours comme je le souhaiterais, dans un climat calme et serein. Les élèves plus disciplinés et attentifs en pâtissent toujours et moi aussi. Je suis souvent dépassée par les « surprises » qui m’attendent chaque semaine et chaque heure de cours, je ne sais pas comment agir sans
« sévir » et la seule possibilité que m’offre un établissement comme le collège est la retenue, la « colle » (qui parfois peut être une occasion de discussion mais qui reste une punition) ou d’autres sanctions plus dures. En fait, je crie parfois, suis amenée à exclure des élèves de ma classe de temps en temps et mets des retenues
souvent, pourtant, je ne suis pas d’accord avec ces pratiques mais je ne sais pas faire autrement. Comment pouvoir discuter et désamorcer une situation de crise avec un ou plusieurs élèves quand toute la classe est là et au mieux, attend, au pire profite de la situation?
Nombreuses sont mes classes qui sont bruyantes, agitées et peu travailleuses, gérer un groupe d’élèves qui sont tous ici avec leurs lourdes valises affectives devient alors un voeu pieux. Les moments de calme sont rares, courts et précieux mais la plupart du temps, je rentre épuisée de ma journée, pompée par l’énergie qu’ils me prennent chaque jour.
Ma mission est d’enseigner ma discipline et de transmettre des savoirs et je ne peux tout simplement pas la remplir avec ces élèves. J’aimerais pouvoir faire plus ou mieux mais je ne sais pas comment m’y prendre. Il est arrivé que des élèves avec qui j’avais des problèmes se calment et travaillent mieux après une discussion
individuelle mais le temps me manque, l’énergie parfois aussi et « l’accalmie » passe vite devant les difficultés qu’ils rencontrent hors de ma classe. Je ne parle pas des grandes difficultés scolaires de ces élèves qui
sont flagrantes et TRES inquiétantes.
J’aimerais sincèrement faire plus ou mieux, mais là, je suis totalement démunie. Souvent, je me souviens de mon passage au collège,ce fut une période difficile dans ma vie ou j’étais souvent brimée par les autres élèves et montrée du doigt pour mes différences mais ma réalité n’a rien avoir avec celle qu’ils vivent dans le collège où j’enseigne aujourd’hui.
Je comprends leur mal être mais dans quelle mesure je peux le prendre en compte dans ma classe sans sortir de mon rôle? comment le faire avec 25 à 30 élèves?
je suis très seule face à cette situation, j’ai besoin d’aide et je ne la trouve nulle part…
Réponse de Brigitte:

Hélas c’est une bien triste réalité que vivent les enseignants qui sont lucides comme vous. Vous êtes confrontés à la souffrance qu’ils endurent à la maison par des traitements totalement dépourvus de tout sens et qu’ils remettent en scène sur le lieu scolaire. Les professeurs ignorants leur en rajoutent à outrance par des sanctions toujours plus humiliantes et rabaissantes et d’autres comme vous, essaient d’éviter au mieux les dégâts en prenant le temps de comprendre avec eux ce qui ne va pas. Et vous avez raison que pendant ce temps l’enseignement ne se fait pas, en tout cas au rythme que vous souhaiteriez qu’il soit fait. Mais comment faire dans une société qui ne veut rien savoir sur cet état de fait??
En privilégiant le côté relationnel il serait possible d’installer un lien de confiance avec les élèves ce qui pourrait leur donner le goût de l’apprentissage, cela marcherait sans doute si toute l’équipe des enseignants comprenait qu’elle est devant le résultat de la violence éducative. Sans être rééduqué émotionnellement, ils ne peuvent pas être enseignés intellectuellement, les émotions refoulées les parasitent trop pour se concentrer et apprécier ce que vous leur apprenez.
Continuez à croire que les punitions augmentent leur souffrance et amplifient leur vengeance, ça, c’est un message qu’ils peuvent comprendre et surtout travailler sur votre propre histoire pour trouver un bon et constructif positionnement auprès d’eux. Vous pouvez aussi vous protéger en vous faisant muter dans une école avec des enfants moins perturbés. Bon courage à vous. BO