Les violences invisibles

Les violences invisibles
Friday 25 November 2005

Bonjour,

Je suis loin d’avoir tout lu de vous, mais cela m’apporté beaucoup.

Je me demande si vous pourriez orienter vos réflexions sur les violences cachées, sournoises, psychologiques, chantages affectifs, et les rapprocher du vécu de l’interdit par l’enfant.

Il me semble que l’enseignement de l’interdit à l’enfant peut se faire dans une certaine violence, mais pas forcément visible.

Serait il possible qu’un livre vienne révéler ces traumatismes, à chacun de ceux qui ne voient pas de violence éducative dans leur propre enfance, ceux qui n’ont pas été vraiment battus, ceux qui n’ont pas ces choses à raconter qui font un cauchemard quand on s’en souvient.

Est il possible que ces processus que vous expliquez fort clairement avec de nombreux exemples « frappants », chacun puisse comprendre qu’à son échelle il les a vécu, sans que cela ait été spectaculaire ?

Je pense que le « vécu de la blessure a toujours la même intensité quel que soit l’évènement : celui d’une vérité douloureuse. Que la violence faite soit énorme ou minime, une violence faite c’est toujours « trop » pour celui qui la subit.

Je ne sais pas si vous expliquez déjà cela dans vos écrits.

Je pense que beaucoup de gens, pour ne pas voir ces violences qu’ils ont subies, mettent une distance entre leur cas et des cas plus extrêmes.

Pour moi, il me semble que les conséquences sont les mêmes, que ce soit un coup physique ou un regard noir.

Si un livre existait pour dire : nous avons tous traversé l’enfer pendant l’enfance, comment en sommes nous sortis, comment certains ne s’en sortent pas, ce serait un beau cadeau de plus pour l’humanité.

Merci pour celui que vous avez déjà fait.

« oliveor »

A.M.: Vous avez parfaitement raison, et je parle presque dans chaque de mes livres des blessures psychiques, verbales. Mais je mentionne souvent les chatiments corporelles pour montrer que MEME dans les cas spectaculaires, quand tout le monde voit les crimes et la perversion des parents, la victime elle même d’habitude minimise les coups reçus et nie la douleur. Alors elle le fera autant plus, bien-sûr, là, où il s’agit de blessures INVISIBLES. (cf. mon dernier article sur la culpabilité)

Réponse de Brigitte:

Je trouve votre témoignage fort intéressant parce qu’effectivement il y a des personnes qui disent avoir vécu « une bonne enfance » parce que exempte de coups mais qui malgré tout ne sont pas libres dans leur vie d’adulte d’être ce qu’elles souhaitent vraiment sans en être consciente parce qu’elles ont appris très tôt à composer avec ce qu’elles avaient.

C’est dans ce malaise que l’on peut constater que notre enfance n’a pas été aussi « idyllique » que l’on pourrait le croire, un enfant qui a été respecté en vivant ses propres émotions sans en être humilié, banalisé ou rejeté devient un adulte libre d’exister tel qu’il est parce qu’en ayant appris à être avec lui même, il a accès ensuite à ses besoins, tout est clair pour lui.

Il y a des personnes qui ont grandi sans fessée, mais dans ce lot, il y en a peu qui ont pu exister comme elles étaient vraiment sans être corrigées par des comportements manipulatoires et souvent pervers de la part des parents, on entend souvent « il n’avait pas besoin que je le tape, un simple regard suffisait ». Récemment encore, lors d’une émission de radio à grande écoute une psychologue préconisait la punition ‘intelligent » sous forme de rendu de services domestiques ou de verbes à copier plusieurs fois parce qu’il est important que l’enfant comprenne qu’il a fait quelque chose de mal. Cette prescription est validée par des psychologues dans le but de donner une « bonne éducation » à son enfant et d’éviter des futurs délinquants qui brûleraient des voitures…. Après ça comment peut on s’y retrouver?

Dans tous les cas de figure, le comportement du parent est acheté par l’enfant comme juste et adéquat, c’est pourquoi il est très difficile même quand on a été battu de reconnaître que l’on a été maltraité et encore plus inconcevable de parler de maltraitance quand on nous a fait vivre dans la confusion.

C’est ce qui entraîne certaines réactions violentes vis à vis des travaux d’Alice Miller, parce que nous nous sommes anesthésiés de nos véritables sentiments pour survivre, amputé de notre discernement et de notre lucidité, nous préférons dénoncer ces agissements comme salutaires plutôt que destructeurs, nous n’avons pas conscience d’être abîmé .

Cordialement Brigitte