C’était moi la mauvaise
Wednesday 02 December 2009
Bonjour Alice, bonjour Brigitte,
Tout d’abord, je voudrais remercier Brigitte pour sa réponse juste et franche dans la lettre intitulée « peut-on croire en ses rêves ». C’est vrai qu’en la relisant, la réponse me paraît maintenant évidente, mais être tenaillée par la peur et l’horreur de ce genre de vécu peuvent pousser à tous les refoulements…
Comme tout le monde ici, je poursuis mon chemin qui n’est pas toujours facile, toutes ces émotions refoulées sont douloureuses quand elles remontent à la surface, et on ne peut résoudre le problème d’une enfance dévastée en quelques semaines…
Malgré tout, quand l’enfant intérieur est enfin écouté, on se met à avoir un tel sentiment de révolte devant ses propres blessures (je fais maintenant des rêves où je pleure devant une petite fille mutilée, torturée au point d’en être handicapée à vie, et je ne sais comment la soigner) qu’on voudrait aussi aider les autres enfants, ceux qui sont devenus grands, ceux qui sont enfants actuellement, et ceux à naître. Et là, comme vous le savez, on rencontre des difficultés décourageantes parfois.
Je fais déjà pas mal de « phobie sociale », j’ai peur de sortir de chez moi par exemple, peur que quelqu’un m’agresse, dans la rue je marche vite de manière à croiser le regard de personne, et parfois je ne peux sortir pendant plusieurs jours de chez moi sauf en cas de nécessité. Mais d’avoir vu que la plupart des gens tiennent des discours honteux sur l’enfance et sur leur propre vécu me fait perdre une confiance en l’humanité qui n’était déjà pas bien grande à la base (personne ne m’a vraiment aidée durant mon enfance, y compris ceux de ma famille qui étaient pourtant au courant de tout).
Par exemple, j’ai discuté avec quelqu’un qui s’était pris des gifles, des coups de pieds, des coups de ceinturons. Non seulement il ne se reconnaissait pas comme un enfant battu (alors que l’assistance a pourtant failli l’enlever à ses parents), mais en plus il remercie son père de lui avoir fait autant de mal. Pire, il compte élever ses enfants de la même manière, disant que les gosses d’aujourd’hui mériteraient des baffes et des fessées. J’ai prié le ciel qu’il n’ait jamais d’enfants. Toute la soirée j’ai essayé de lui faire comprendre que s’il était violent aujourd’hui, s’il se sentait en permanence en colère, s’il ne parvenait pas à exprimer ses émotions amoureuses, c’était à cause de cette enfance, ces mauvais traitements. Mais rien à faire, et pourtant il semblait heureux quelque part de pouvoir en parler à quelqu’un car il m’a bien signifié que c’était la première fois qu’il en parlait autant.
Mais seulement voilà, à chaque fois il soutenait que la violence éducative est nécessaire et bénéfique. Et à chaque fois, c’était comme si on m’enfonçait une lame dans le ventre en me disant « tes parents ont eu raison de te battre ».
Ce n’est pas la première personne qui me tient ce genre de discours. Et j’ai l’impression angoissante qu’en tant qu’ancienne enfant battue, je ne serai jamais écoutée, ou si peu, par des gens qui préfèrent se leurrer sur la souffrance des enfants et la leur. Souvent on préfère me dire que je me plains sans cesse et que je devrais oublier tout ça plutôt que de regarder les choses en face : avoir été battu est un réel traumatisme qui nous poursuit à vie.
Depuis, ma phobie sociale augmente. Je sursaute à chaque bruit, je vis les volets fermés, me disant que peu de gens sont de toute façon capables d’être compréhensifs envers eux-mêmes et envers les autres. C’est comme si des tortionnaires en puissance arpentaient les rues.
Je sais bien que ce sont mes parents à la base qui ont mis en moi cette peur de l’autre car ils n’ont jamais été dignes de confiance, et que le monde n’est pas si laid en vrai, mais j’aimerais tellement que les gens se rendent compte à quel point maltraiter un enfant est quelque chose de parfaitement ignoble…
Vu votre propre enfance, j’aimerais savoir comment vous faites pour ne pas vous sentir démoralisée par cette indifférence et cette cruauté envers les enfants dont fait preuve notre société… Moi ça me renvoie à mes propres souffrances à chaque fois.
Merci de ne jamais vous décourager.
Réponse de Brigitte :
Comme la grande majorité des gens vous êtes probablement confrontée à la PEUR de révéler la vérité, comme si la petite fille de jadis percevait la réalité de la barbarie de ses parents et que pour cela elle allait le payer de sa propre vie. C’est certainement la raison pour laquelle vous avez la sensation d’être transpercée par une lame quand vous faites preuve de lucidité et que personne ne veut comprendre et encore moins savoir. Ainsi, vous êtes reléguée à l’impuissance du petit enfant et préférez penser que vos parents avaient toutes les bonnes raisons de vous maltraiter.
Votre vie d’aujourd’hui est dirigée par cette culpabilité d’avoir été une mauvaise fille, quand vous serez certaine que vous aviez des MAUVAIS PARENTS, vous pourrez sortir de chez vous la tête haute et pleine de liberté. BO