Dépendre des cruautés de son passé

Dépendre des cruautés de son passé
Tuesday 09 September 2008

Il y a si longtemps, trop longtemps que je recherche un forum où déposer mon fardeau…
J’espère que vous aurez le courage de me lire, d’aller jusqu’au bout de l’horreur avec moi. Et que quelqu’un pourra m’apporte sa lumière pour me donner la force de continuer d’avancer.

Alors voilà, j’ai 30 ans, et une longue histoire semée d’embûches et de violences familiales (torture, violences, abus sexuels…) qui me donne l’impression d’en avoir 60… ou d’avoir toujours 5 ans.
Je suis la cadette d’une famille méditerranéenne, catholique et pratiquante U(ceci est un détail important), arrivée par surprise après une grossesse non désirée, pratiquement 10 ans après mon frère aîné. Dès le début, j’ai été un bébé facile pratiquement sur tout: sage, calme et jamais malade.
Mais j’avais des problèmes à m’alimenter: je n’avais pas faim, je refusais mon biberon, je m’endormais pendant la tétée, j’avais des nausées…

L’alimentation c’est sacré dans une famille comme la mienne. Et les repas sont un des piliers centraux de cette culture. M’alimenter a été un des premiers lieux de maltraitance sévère.

Quand j’étais encore bébé et que je prenais le biberon, ma mère pouvait me maintenir la tête pour me forcer à boire. J’ai encore la sensation affolante d’étouffer. En âge de m’asseoir sur une chaise haute, elle m’attachait les jambes et les bras, me tirait la tête et les cheveux, me bouchait le nez pour me forcer à avaler. Pas question de recracher (gifle sur la bouche) ou de pleurer (gifle, tirer les cheveux, me secouer comme un prunier). En grandissant, elle a ajouté des violences psychologiques: mots humiliants, menaces, violence verbale, chantage. Pour me forcer à manger, elle utilisait tout. Elle m’interdisait de sortir de table ou m’enfermait dans les toilettes. Puis j’ai grandi, suis devenue ado. Elle a cessé de me torturer physiquement, mais les manipulations et violences verbales ont continué encore longtemps après.
Mes problèmes alimentaires perdurent aujourd’hui, et s’accompagnent souvent de problèmes hépatiques et digestifs. Sauf que plus personne n’est là pour me forcer à manger si je n’ai pas faim, et que si je vais chez mes parents elle n’a plus ce moyen de pression sur moi, même si elle essaie toujours….

Avoir été lue m’encourage à essayer de continuer à avancer dans l’horreur.
Quand j’étais enfant, ma mère travaillait à la maison. Elle faisait de la couture et elle m’a très vite appris des rudiments pour que je puisse l’aider.
La couture a été le deuxième lieu de violences jusqu’au début de l’âge adulte, quand j’ai quitté la maison à 20 ans.
Une violence sournoise, qui ne laissait souvent pas de traces, violence secrète la plupart du temps. Mais bien plus douloureuse que les gifles ou les coups. Torture morale et psychologique, manipulation ,chantage, menaces… ma mère était le meilleur dictateur qui soit.
Quand je devais aider ma mère à la couture, que de fois j’ai été blessée et humiliée, traitée de tous les noms, injuriée, rabaissée à une moins que rien, une incapable, une imbécile, une nullité. Elle me répétait si souvent que j’étais mauvaise, méchante, que j’étais un fardeau, un poids mort, que je devrais être morte, qu’elle ne me voulait pas, qu’elle aurait souhaité que je ne sois jamais venue au monde….. Elle demandait si souvent à Dieu ce qu’elle avait bien pu faire pour mériter une fille comme moi…

Ca se passe de commentaire…

Que de fois j’ai tremblé comme une feuille quand je sentais monter sa colère, parce que je ne savais jamais ce qui allait me tomber dessus: les mots acérés et blessants ou les coups. Je ne me souviens plus du nombre de fois où elle m’a menacée de sa règle, de ses ciseaux, où elle a lancé sur moi tout objet qui se trouvait à portée de sa main…. du nombre de doigts coincés exprès dans un tiroir ou dans une porte, d’aiguille ou d’épingles enfoncée sur les doigts, des fois où j’osais m’enfuir et où elle me poursuivait dans l’appartement, prise de folie, brandissant un cintre ou une règle au dessus de ma tête, et moi terrorisée, cherchant vainement un refuge et la suppliant de ne pas me frapper. Je ne sais plus le nombre de fois où elle m’a giflée, arraché les cheveux, tiré les oreilles ou m’a secouée comme un prunier parce que j’avais osé verser une larme.
Je n’avais pas le droit de pleurer.

J’essayais alors, de faire tout ce qu’elle me demandait pour lui faire plaisir, pour l’apaiser, et d’enfermer mes larmes à double tour dans une cage, à l’intérieur de ma poitrine. Mais c’était difficile, plus j’avais peur, plus j’étais bloquée et commettais des fautes.
Que de fois aussi j’ai espéré du secours de mon père quand il était là, ou des voisins qui entendaient sûrement ma mère me hurler dessus. Mais ma mère terrorisait toute la maisonnée. Jamais mon père n’a osé s’interposer pour me protéger. Il préférait aller se planquer à l’abri dans une autre pièce.

C’est un lâche.
En grandissant, ma mère n’a pratiquement plus eu besoin de me frapper pour me terroriser dès qu’elle se mettait en colère. Les menaces, en mots ou en gestes et les violences verbales me suffisaient, et si j’oubliais ou me révoltais ( ado par exemple) elle me le rappelait de façon cuisante. Et j’avais appris depuis longtemps à ne plus verser une seule larme.
J’ai été si bien dressée d’ailleurs que j’ai aujourd’hui encore du mal à pleurer.

Merci à vous de m’apporter votre compassion et vos mots réconfortants.
Quand je suis envahie par ces souvenirs-là, les 2 choses m’écœurent, l’alimentation et les souvenirs. Me rappeler tout cela me donne la nausée, parfois j’ai la sensation d’étouffer comme si j’y étais encore…
Oui je vois encore mes parents, mais je dose la fréquence, et le temps que je passe chez eux en fonction de comment je me sens. Il y a des périodes où je ne veux ni les voir, ni leur parler. Ma mère pleurniche alors et se demande ce qu’elle a bien pu faire pour que je sois aussi méchante. Elle a nié en bloc les violences qu’elle m’a faite, ou elle m’a accusée de l’avoir poussée à bout…
Il y a des périodes où on se dispute âprement, je ne la laisse plus me faire du mal sans bondir, toutes griffes dehors. Et puis il y a des périodes plus tranquilles, où on peut presque se parler normalement. Tant que je ne les vois que quelques heures par ci par là ça va. C’est mon père qui casque tout à présent. Tant pis pour lui.
Je suis soulagée d’avoir pris mon envol et d’être partie de la maison même si je ne savais pas encore voler.
Je n’ai pu compter que sur moi et sur mes ”parents” intérieurs durant des années. Et ce n’est qu’à présent adulte que je peux compter sur d’autre.

Aujourd’hui je ne suis pas en forme.
Beaucoup de choses de mon passé sont remuées par un souci de santé. Je me sens perdue, désécurisée, déprimée, angoissée.
Aujourd’hui il m’est douloureux de vivre. Remuer ces blessures mal cicatrisées fait mal.
Ma mère a tout fait pour me détruire, pour m’empêcher d’exister. Elle voulait de moi un objet, une marionnette qu’elle pouvait manipuler selon ses envies et ses humeurs, qu’elle pouvait utiliser quand elle en avait besoin, et remettre sur une étagère quand elle n’en voulait pas. Elle ne voulait pas d’un être vivant bien réel, et surtout pas ayant des émotions propres, des sentiments, des pensées, des désirs différents d’elle. Elle a tout fait pour me forcer à être selon ce qu’elle souhaitait de moi et pour détruire systématiquement chaque étincelle de ma vie propre.
Mais elle n’a pas réussi. Pas vraiment. Le drame des enfants maltraités, c’est qu’ils survivent la plupart du temps. Tant bien que mal. Et s’accrochent à ce qu’ils peuvent. Moi j’ai été longtemps comme un fantôme de fille: timide, effacée jusqu’à être transparente, craintive, ne parlant presque pas, ne pleurant jamais, ne se défendant pas contre les violences de ses camarades de classe…
J’avais trouvé un moyen de survie en me dissociant en plusieurs personnalités intérieures de tous âges et des 2 sexes. J’en avais toujours une de réserve prête à faire face aux situations. Que de personnalités furent créées par des violences, ou pour essayer désespérément, encore et encore, d’être la petite fille que maman pourrait enfin aimer… Que de personnalités étaient là pour me protéger… Parce que, tout au fond, tout au fond de mon être, j’étais là, moi. Une petite braise allumée sous la cendre qui s’accrochait à la vie.
Il m’a fallu attendre mes 14 ans pour que le feu recommence à s’allumer, grâce à l’intervention d’une enseignante. Je m’en souviens comme si c’était hier. J’ai émergé, comme réveillée d’un profond sommeil, complètement paumée, complètement amnésique…
Aujourd’hui encore je me bat pour apprendre à vivre. Pour trouver l’unité et l’harmonie. C’est diablement difficile de faire ça à 20, à 30 ans… Aujourd’hui encore je souffre de troubles de la personnalité.
Aujourd’hui je suis déprimée et j’ai la nausée de part tant de souvenirs remués. Je suis envahie d’émotions étouffantes, de larmes (je pourrais pleurer durant des heures, si cela voulait seulement sortir…) de colère et de rage impuissante. Je suis malheureuse, je ressens le manque, l’absence, le néant absolu des enfants qui n’ont pas eu de parents.
Cela est d’autant plus fort que j’ai rencontré il y a quelques années une thérapeute qui est devenu ma maman de substitution. Grâce à elle, j’ai reçu tout ce que je n’avais pas eu enfant: de l’intérêt sincère, de la tendresse, de l’amour inconditionnel. J’ai reçu une place d’être vivant à part entière, un être vivant avec sa propre personnalité, infiniment précieux dont on peut être fier, Grâce à elle j’ai commencé enfin à vivre, pas à pas. J’ai du tout apprendre de a à z, comme un jeune enfant apprend à marcher et à parler. Oui je peux dire que j ‘ai du apprendre à parler, je ne parlais plus vraiment, j’ai du apprendre la tendresse, je ne savais pas ce que c’est, j’ai du apprendre à pleurer, sans que cela me terrorise, j’ai du apprendre à exprimer mes émotions sans être envahie par elles. J’ai du aussi apprendre à faire confiance et à me sentir en sécurité, j’en ignorais totalement l’existence, apprendre à me connaître, à me laisser grandir, peu à peu.
Aujourd’hui à 30 ans, je pense avoir un âge intérieur et les besoins affectifs d’une ado de 13 ans, même si je ne me lasse pas de recevoir encore et encore des câlins et de la tendresse…
Merci de m’avoir lue, encore…
Réponse de Brigitte:

Pourquoi vous retournez chez cet individu qui vous a torturée sadiquement tel un dictateur durant toute votre vie? Elle vous a attachée pour enfourner la nourriture dans votre bouche en vous tirant par les cheveux et vous frappant, elle vous séquestrait dans les toilettes, elle vous mutilait les doigts en y enfonçant des aiguilles dedans et en les coinçant dans les tiroirs, elle vous a cognée de toute sa haine, humiliée telle une serpillière et malgré tout ça vous restez en contact avec elle??? Que faut-il qu’elle fasse en plus de nier tout ce qu’elle vous a fait, voulez-vous lui laisser le reste de votre vie?

La détresse et la dépression qui alimentent votre vie aujourd’hui ne sont que le poison de cette dépendance à cette femme, vous pouvez vous libérer de cet enfer en renonçant à elle et en considérant cette petite fille qui a tant souffert. BO

Je suis bouleversée par votre révolte et votre indignation en réaction à mon témoignage. Ca me fait du bien mais j’ai besoin de préciser certaines choses.J’ai travaillé dur pour me libérer de l’influence ma mère. Je crois que j’y suis arrivée, ou je n’en suis pas loin. Je travaille en ce moment à la réparation des dommages qu’elle a causé en prenant soin de la petite fille blessée. C’est cela qui me déprime et qui est difficile. Et fort malheureusement pour moi ma mère n’est pas la seule en cause dans mes traumatismes du passé. J’ai passé par toutes les émotions possibles et imagibables mais sans doute pas encore assez de colère et de révolte, là je vous remercie d’en avoir pour 2. Je pense que je suis sur le bon chemin. Je gère la distance avec ma mère, et je trouve que je me débrouille plutôt bien, compte tenu de mon histoire, même si j’ai beaucoup galéré au début et coupé les ponts à plusieurs reprises. Il lui est désormais presque impossible de me faire du mal, de quelque façon que ce soit. Notre relation a évolué avec les années. Elle ne s’est pas bonifiée avec le temps, mais, même si ça a nécessité un gros travail, je lui ai appris à me respecter. Je lui ai imposé des limites et qu’elle doit respecter que si elle veut garder contact avec moi. Etonamment elle y parvient presque toujours. Parfois je ne lui parle pas durant des mois, parfois je lui téléphone une fois ou deux dans un mois, pour donner des nouvelles, parfois je vois mes parents quelques heures et cela se passe bien. Et si j’avais des enfants, je ne m’aviserais jamais de les lui confier.
Bien à vous

Réponse de Brigitte:

Quand on sort de la dépendance affective d’un parent qui n’a eu de cesse que de vous tourmenter, l’enfant de jadis se sent soutenu et compris ce qui l’amène aussi à se sentir plus fort et plus libre. Il est tout à fait normal de rencontrer des peurs pour vouloir rester fidèle à ses vrais sentiments puisque il nous a toujours été défendu d’être libre dans ce que nous ressentions vraiment. Quand vous n’aurez plus peur de vous éloigner définitivement de cette mère si méchante et sans faire AUCUN COMPROMIS vous serez définitivement libérée de ce qui vous déprime. BO