Impuissance à l’école

Impuissance à l’école
Saturday 03 October 2009

Madame,

Un immense sentiment de solitude m’envahit face à la maltraitance psychologique à l’école. Comment faire ? Comment agir pour aider les enseignants de mon secteur*, à prendre conscience d’une éthique de responsabilité face à la vulnérabilité des enfants qui leur sont confiés, quand cette éthique est totalement absente de la formation professionnelle. Aujourd’hui, alors qu’une grande campagne d’information est lancée contre la maltraitance des personnes âgées, c’est le silence face à la maltraitance de l’enfant sous terreur, à l’école. Je me refuse à être complice du sadisme inconscient de collègues psychorigides, mais je me sens aujourd’hui totalement impuissante. Il me semble que l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République semble avoir autorisé certains enseignants à adopter sa vision du tout répressif. Libérés par un discours aux antipodes de l’empathie et de la bienveillance, beaucoup se sentent soutenus et encouragés dans un comportement pulsionnel et violent, dont je suis témoin jour après jour. Au secours, Alice, la pédagogie noire est de retour !

Hier matin, j’ai été témoin, de ce qui était à mes yeux une faute professionnelle grave. Dès 8h30, une jeune enseignante de CE1, pulsionnelle et peut-être stressée par son retard, s’énerve après un de ses élèves et, l’abandonnant, seul, dans l’escalier, lui crie : « Je ne veux plus te voir. File en Petite Section ! » Je pense que sous l’effet de la colère, l’enseignante a pris conscience qu’elle était allée trop loin, quand, essayant, quelques instants plus tard, de revenir vers l’enfant pour verbaliser ce qui venait de se passer, et surout ne pas le laisser seul, Petit Poucet abandonné, je ne le vois plus dans le couloir. J’apprendrai à la récréation, par un directeur, soucieux de prouver qu’il avait bien le pouvoir sur l’enfant, qu’il l’avait accompagné lui-même, dans la classe des petits, à l’école maternelle voisine. Là, pédagogie noire oblige, (nous avons déjà essayé en vain**, il y a quelques années, en tant que membres du RASED, d’informer notre hiérarchie de ces abus de pouvoir de l’adulte sur l’enfant), le garçonnet de sept ans a pu être humilié à souhait, par des collègues psychorigides, convaincus du bienfait de la méthode répressive.

Quand je suis intervenue pour dire que cette punition était humiliante pour l’enfant, je me suis heurtée au tollé des enseignants, solidaires du directeur. J’ai ressenti un profond sentiment de solitude et compris que tout le travail d’Alice Miller autour de l’enfant sous terreur, ne pouvait être, ici, ni reconnu ni entendu.

Intervenant l’après-midi, dans une autre école de mon secteur, où sévit une rigidité encore plus sadique, j’entendais les hurlements d’une directrice, qui, tel un chef militaire, s’adressait à ses élèves, comme l’autre à son armée et je n’avais, écoeurée et découragée, qu’une envie : quitter l’Education Nationale. Je n’ose pas imaginer ce que peuvent ressentir et vivre les enfants, qui ne savent pas qu’ils auraient le droit de ne pas subir cette violence morale. Un cauchemar ! Beaucoup, l’année dernière souffraient d’ailleurs de maux de tête et de ventre. Comment aimer l’école quand y règne un tel climat de violence ? Comment réussir à apprendre, la pensée inhibée par la peur ? Je sais que je dois réagir et ne sais pas encore comment. Au mieux, les enfants changeront d’école, mais les enseignants restent et continuent de sévir. Mon témoignage se veut l’expression de mon impuissance. Vos livres (dont La connaissance interdite et Le drame de l’enfant doué) m’ont tellement aidée, lors d’une analyse jungienne à reconnaitre votre parole comme l’expression de mon propre vécu intérieur. Soyez en ici infiniment remerciée.

NS

* Je suis enseignante spécialisée dans un Réseau d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté ( RASED).

** Notre geste a été vécu par les enseignants comme une délation et nous nous sommes heurtées à l’hostilté de nos collègues.

Réponse de Brigitte :

Malheureusement la pédagogie noire n’est pas de retour, elle n’a jamais cessé d’exister et elle est même encouragée et recommandée par la plupart d’entre nous et notamment les parents d’élèves. Si nous avions trouvé la solution pour arrêter ce carnage, nous serions enchantées de vous la communiquer mais cela fait plus de trente ans qu’ Alice Miller essaie d’atteindre des oreilles bien pensantes même au niveau gouvernemental et qu’elle ne tombe que sur des cœurs de pierre totalement hermétiques à la détresse de nos chers enfants. Je comprends tout à fait votre désarroi face à autant d’ignorance et votre révolte tellement saine et justifiée mais je suis aussi démunie que vous pour sensibiliser les masses sur ce sujet qui est pourtant de la plus haute importance. BO