La séquestration de Natacha

La séquestration de Natacha
Friday 15 September 2006

Bonjour Madame Miller

En ce moment nous entendons beaucoup parler de l’histoire de Natacha qui a été enlevée à l’âge de dix ans en Allemagne, par un homme qui l’a séquestrée chez lui pendant huit années. Nous avons pu voir une interview diffusée sur beaucoup de chaînes télévisés et à chaque fois je suis frappée devant l’ambiguïté de l’attitude de cette fille qui paraît pourtant si sympathique et touchante.
Pour une jeune fille de dix huit ans, qui est restée huit années coupée du monde son vocabulaire très élaboré est étonnant et surtout son dévouement à vouloir créer une fondation pour les femmes violées du Mexique, alors qu’elle sort elle-même depuis tout juste un mois d’une séquestration. Comment peut-elle penser à vouloir faire des actions pour le malheur des autres, alors qu’elle vient de subir un énorme traumatisme?
Comment peut-elle être au courant de ce qu’il se passe dans le monde, alors qu’elle en était coupée depuis huit ans.
Elle dit aimer beaucoup sa mère et pourtant elle ne veut toujours pas vivre chez elle et refuse totalement de voir son père. On aurait pu penser que sa vie s’était arrêtée à dix ans et qu’elle aurait gardé un mental de petite fille qui aurait eu besoin de ses parents à ses côtés pour pleurer d’avoir été séparée d’eux, crier de rage contre son agresseur, trembler de peur de mourir. Au lieu de ça, on voit une femme pleine de projets et d’ambition pour le futur.
Comment peut-on être aussi coupé de soi-même après un tel traumatisme, et apparaître sur des plateaux télé avec maturité, intelligence et bienveillance pour autrui? Serait-il possible que les thérapeutes aient influencé sa pensée?
Merci de m’éclairer sur cette surprenante attitude et pour toute la lumière que vous faites jaillir pour nous aider à nous sortir de nos souffrances.
PB

AM: Merci pour votre lettre, je partage vos doutes. Il est fort probable que les thérapeutes se sont donnés beaucoup de peine pour amener Natacha au présent et la faire oublier dès que possible son terrible passé. C’est le but de la thérapie d’aujourd’hui: penser positivement, tourner la page, oublier le passé etc. Mais cette jeune femme a un corps (comme nous tous d’ailleurs) qui ne va pas la laisser se duper. Tôt ou tard il lui rappellera qu’il faut pleurer ou peut-être crier de rage dans les bras d’une personne compatissante et de prendre soin de la douleur immense de Natacha avant qu’elle puisse s’occuper honnêtement des autres, par exemple des femmes au Mexique. Elle ne doit pas perdre cette occasion aujourd’hui, même si il y a autant d’intérêt pour elle et son histoire. Espérons qu’elle trouve au moins une personne lucide qui puisse l’accompagner dans sa douleur, dans sa vérité, sans la pousser à oublier son enfer de HUIT ans, presque la moitié de sa vie.