La gifle du professeur

La gifle du professeur
Tuesday 19 February 2008

La gifle du professeur

La mise en garde à vue du professeur qui a frappé un élève de sa classe a suscité de très nombreuses réactions, la plupart indignées non par la gifle mais par l’attitude de l’enfant, et de son père qui a porté plainte .
On peut aisément imaginer que si le responsable du coup avait été un autre élève, la portée de l’événement aurait été différente. Le fait que la gifle ait été donnée par un professeur dans un espace où les enfants sont censés se trouver en sécurité lui donne une autre ampleur.

Une solidarité quasi unanime
La quasi unanimité des réactions de solidarité à l’égard du professeur peut en partie s’expliquer par la difficulté réelle et croissante de l’exercice du métier. L’émotion et le soutien des enseignants prend aussi sa source dans le vécu de nombre d’entre eux, confrontés quotidiennement à la violence, à la solitude et à l’abandon de l’institution. On pourrait sans doute établir le même constat pour nombre d’élèves, mais là, point de pétition à l’horizon pour le dénoncer.

Une école hors de la loi ?
Deux pédopsychiatres ont pris position dans ce débat, Marcel Ruffo dans le Journal du Dimanche du 3 février 2008 et Caroline Eliachef dans sa chronique sur France Culture le 5 février 2008. La manière dont ils abordent la question et la vision qu’ils proposent de la place de l’enfant dans l’école et dans la société me semblent poser problème.
En effet,leur position conduit à considérer le professeur uniquement comme victime et par un basculement étonnant à attribuer la transgression de la loi à l’enfant tout en dénonçant l’attitude du père qui a porté plainte.
Caroline Eliachef, dans sa chronique radiophonique, interroge :
« Pourquoi cette affaire n’a t-elle pas été traitée entre le prof, l’élève et le directeur de l’établissement puis avec les autres élèves qui ont assisté à la scène. En sortant l’affaire de l’école, on a brouillé tous les repères. »
Mais de quels repères est il question ? Quels repères les enfants vont ils pouvoir construire s’ils constatent qu’un adulte qui transgresse la loi n’est pas amené à en répondre devant la justice ? Quelle confiance pourront ils avoir dans une institution qui pratiquerait une sorte de loi du silence et serait autorisée à se faire justice elle même ?

Prendre acte de la transgression
Quand à la position de Marcel Ruffo, elle me semble à la fois confuse et très contestable. Son propos qui s’appuie sur un discours lénifiant sur l’école aboutit à dénaturer le sens et la portée à la fois de la parole de l’enfant et du passage à l’acte du professeur.
M. Ruffo qui se dit du côté de l’école déclare : « en traitant son enseignant de « connard » ce jeune garçon détruit le trésor qui lui est proposé. »
Prétendre que le « jeune garçon » par sa réaction, a visé l’école, ce « trésor » est au mieux un contre sens au pire une dénaturation du sens de la parole de l’enfant, sans aucun doute maladroite.
Il est tout à fait légitime de penser que c’est plutôt parce que cet enfant a une certaine estime de l’école et sans doute aussi une attente à son égard, qu’il a réagi de cette manière. Son propos est certes insultant, mais il est d’abord une réaction de colère à ce qu’il a vécu comme injuste dans l’attitude de son professeur.
Par contre, dans ce conflit entre un adulte et un enfant, la réponse du professeur pose problème pour deux raisons, d’une part parce qu’elle est une violence faite à l’enfant et d’autre part parce qu’elle est une transgression de la loi. C’est ce second aspect, qui est ignoré par M. Ruffo quand il dit : « Il aurait fallu s’arranger en interne, redire la loi à ce préadolescent et rappeler sa mission à l’éducateur. »
C’est donc à l’enfant qu’il faut rappeler la loi. D’une certaine manière, ce déni de la transgression de l’enseignant prive ce dernier de la possibilité de comprendre son acte et d’y réfléchir. Ainsi, en renvoyant toute la culpabilité sur l’enfant, il évite toute réflexion sur la violence des adultes lorsqu’ils sont confrontés à des situations difficiles avec leurs élèves, ou avec leurs enfants.

Respect n’est pas soumission.
« Je pense que le métier des parents une fois pour toutes consiste à imposer le respect des profs à leurs enfants. » déclare M. Ruffo.
Mais le respect s’impose t-il ? N’est il pas d’abord une valeur qui s’acquiert et surtout se partage ? « On est respecté si on est respectable » écrit justement B. Defrance. N’y a t-il pas confusion entre respect et obéissance, voire soumission lorsque M. Ruffo affirme encore : « la dignité c’est le respect de l’autre et l’adaptation à l’autorité »
Quelle conception de l’enfant sujet nous dévoile un tel cheminement de pensée, qui de la révolte d’un enfant conduit à prôner l’adaptation à l’autorité comme vecteur de la dignité humaine. Voilà bien une vision de l’enfant et de l’humain aux antipodes de celle que nous défendons dans notre travail et dans nos engagements citoyens.

Le 19 février 2008
Jean Pierre Thielland
Psychopédagogue Chalon sur Saône.

AM: Je vous remercie beaucoup pour votre lettre et la réponse aux pédopsychiatres qui montrent si clairement et sans aucune réflexion leur opportunisme et leur lâcheté. Apparemment ils ne s’en rendent pas compte, sinon ils auraient eu honte de s’articuler de cette façon là. Malheureusement, ils ne sont pas des exceptions, c’est vous qui semblez l’être.

Réponse de Brigitte:
Le Docteur Ruffo nous montre encore ses frasques dans ses propos sur la transgression de la loi des enfants. Alors que dans 17 pays d’Europe (mais pas en France) la loi contre les châtiments corporels sur les enfants est signée, il semblerait que nos éminents pédopsychiatres français qui sont censés défendre justement la cause des enfants veulent le contraire!!
Comment peut on prétendre aider psychologiquement un adolescent ou un enfant si personne, même un “spécialiste”, ne s’intéresse aux vraies raisons de leur désarroi? BO