Parent dépressif

Parent dépressif
Thursday 09 April 2009

Bonjour Mme Miller,

Ma thérapeute m’a conseillé votre livre ‘’notre corps ne ment jamais’’ il y 2 jours à peine. Je l’ai littéralement dévoré et ce fut une révélation pour moi. D’ailleurs, j’ai bien l’intention de le faire lire à ma sœur qui souffre elle aussi depuis des années de problèmes de dépression et d’angoisse.

J’ai toujours eu un vague sentiment de malaise face à ma mère que je n’arrivais pas à identifier et qui me tourmentait. Jamais je n’aurais pu imaginer que ce sentiment était causé par le fait que je ne l’aimais pas vraiment. Comment une fille pouvait-elle ne pas aimer sa mère ? Ce n’était même pas inconcevable pour moi, ça ne m’avait même jamais effleuré l’esprit. J’avais déjà eu cette impression mais elle était aussitôt repoussée et une autre cause de mon malaise recherché puisqu’il était impossible qu’une fille n’aime pas sa mère. À présent, c’est très clair, je n’aime pas vraiment ma mère. Un peu peut-être (surement, c’est à voir) mais pas vraiment. J’ai de la gratitude sans plus. Depuis l’enfance ses étreintes me répugnent et je me forçais pourtant à les recevoir pour ne pas la peiner en me sentant coupable de ne pas ressentir ce que j’aurais dû ressentir. En plus du sentiment de culpabilité, il y avait ce sentiment de ne pas me respecter.

Avec mon père ce fut très différent. J’ai passé ma vie à courir après son amour et à être en amour avec lui. C’était un homme indépendant, très très peu affectueux et lorsqu’il l’était, on sentait son malaise. Ce n’est que dernièrement que j’ai commencé à lui en vouloir pour cela.

Pour résumer mon enfance et celle de ma sœur, ma mère a eu des épisodes dépressifs toute sa vie. (Je vais maintenant dire ce qu’il ne faudrait pas que je dise car même si je suis triste pour elle ça ne change rien à ma colère envers elle et à ce que moi j’ai vécu. Elle a été agressée sexuellement par ses frères lorsqu’elle était enfant et lorsqu’elle l’a dit à sa mère, celle-ci ne l’a pas cru. Elle a donc enduré jusqu’à ce que ça cesse). Elle s’enfermait dans sa chambre pour pleurer pendant des heures et des jours parfois. Mon père nous disait alors ‘’votre mère est fatiguée’’ alors que nous savions inconsciemment qu’il y avait plus que cela. Parfois, elle ne prenait même pas la peine de passer sa détresse dans l’intimité. Elle le faisait dans le salon. Ca me dévastait et me terrorisait. A 7, 8, 9, 10 ans, lorsque ta mère est complètement dépassée par sa détresse et sa tristesse, tu as l’impression qu’un grave danger te menace. Naturellement, pendant ses périodes dépressives, ma mère s’occupe moins de nous. L’ambiance dans la maison devient lourde et triste et un sentiment de danger flotte dans ma tête. Ma mère n’a jamais été capable de parler d’émotions et de nous aider avec nos problèmes émotionnels. Lorsque nous pleurions, elle nous prenait dans ses bras très (trop ?) fort et prenait un air dévasté (au lieu d’un air compatissant). Elle était trop compatissante et partageait trop notre douleur. Ceci avait pour effet de nous faire croire qu’effectivement, ce que nous vivions était un drame même lorsque ce n’en était pas un. Si nous avions peur, elle avait peur avec nous puisqu’elle avait peur de tout. Ma mère fume. À tous les 8-10 mois depuis que j’ai eu 12 ans, elle croit qu’elle a le cancer. Sa vie s’arrête donc pendant 1-1/2 mois le temps que dure les examens et l’attente des résultats. Elle devient alors angoissée, maussade et absente. Ma sœur et moi avons donc été victime de ses dépressions et angoisses toute notre jeunesse. Mon père avait quant à lui le réflexe de tout minimiser. Ce que nous vivions n’était jamais grave et nous dramatisions tout. Il ne nous comprenait jamais.

J’ai été une enfant colérique, agressive, violente, anxieuse, mal dans ma peau. Je battais ma sœur, frappais ma mère et traitais toute ma famille de tous les noms. J’étais une enfant méchante et horrible et j’en souffrais beaucoup mais en même temps ‘’j’aimais’’ faire souffrir les gens. Je me vengeais.

Ni ma sœur, ni moi n’avons été sexuellement abusées ou battues. Mes parents ne nous giflaient pas. Une seule fois je crois, mon père m’a jeté dans les escaliers parce que je l’avais traité de maudit con devant mes amies. Et ma mère s’est emportée une fois et ma frappé avec une cuillère en bois. Mon père m’a traité à quelques reprises de maudite folle lorsque je faisais mes crises de rage mais j’étais vraiment comme folle… Mais je me rappelle que ça me blaissait quand même que mon père me traite de folle alors qu’il aurait dû se rendre compte que j’étais malheureuse à en mourir. En somme, je n’en veux pas à mon père pour la fois des escaliers ou à ma mère pour la fois de la cuillère. Je leur en veux de m’avoir élevé dans un milieu instable. J’en veux à ma mère de ne pas avoir essayé de s’en sortir en consultant. J’en veux à mon père d’avoir toujours minimiser la situation. De ne pas m’avoir aidé ou fait consulter un thérapeute lorsqu’il était clair que j’avais des problèmes. Eux me disent que ce n’était pas si pire que cela…

Ou commence la maltraitance ? Pleureur et être malade n’est pas de maltraiter ses enfants. Suis-je trop sensible ? Est-ce que je m’apitoie comme mes parents me le disaient souvent ?

Maintenant, je cours acheter vos autres livres 🙂

Merci beaucoup et félicitations pour votre travail révolutionnaire. Beaucoup de succès pour vos projets à venir !
Réponse de Brigitte :

En lisant votre lettre il est facile de sentir combien l’ambiance de votre famille est lourde d’angoisse, étouffante d’ennui et pesante de solitude. Votre enfance a été réduite au service de la dépression de votre mère et de l’incompétence de votre père, il n’y a aucune place pour l’attachement, RIEN n’existe pour vous sentir en confiance et en sécurité. Malgré cela vous êtes arrivée à survivre dans votre révolte agressive qui hurlait de souffrance et que personne n’a voulu voir. Il est tout à fait compréhensible de ne pas avoir de sentiment d’amour pour des parents qui n’ont pas assumé leur fonction et qui ont exigé de vous de les comprendre et les soulager. Quand un enfant doit avoir pitié de la souffrance de ses parents, il ne peut pas vivre son enfance et c’est une grande maltraitance qui a des conséquences multiples sur son devenir d’adulte. BO