L’institution ou les parents?
Friday 08 December 2006
Bonsoir Alice Miller,
Aprés avoir lu le témoignage intitulé “Violence réflexe”, où une mère raconte que sa fillette a pris l’habitude de la mordre et que lorqu’elle en a parlé à un docteur, celui-ci lui a conseillé de “sévir” et de “ne pas se laisser mener par sa fille”, je constate que le docteur ,d’ emblée,incite la mère à frapper son enfant.Ce genre d’attitude de la part d’un “professionnel” qui incite les parents à des formes de maltraitance me rapelle ma propre éxperience: je vous avais envoyé le témoignage “Maltraitance Institutionnelle”,et je voudrais revenir sur ce sujet : quand je me suis retrouvée adolescente, plaçée, contre mon gré,dans cette institution où les éducateurs étaient cruels,agressifs et humiliaient constamment les adolescents, mes parents,d’emblée,ont été montés contre moi par le discours de l”équipe thérapeutique”de l’institution,qui leur a déclaré que j’étais une adolescente “manipulatrice”,qu’il fallait me contraindre pour mon bien et ne pas se laisser influençer ni “manipuler” par moi…Mes parents qui étaient faibles et influençables,désemparés façe à mes difficultés,se sont donc laissés volontier “mener” par le discours de l’institution en laquelle ils avaient décidés d’accorder une confiance absolue et aveugle…Désormais,mes propres parents refusaient systématiquement de m’écouter,de me croire,d’entendre mes plaintes,et j’entendais mon père répéter ” ils ont bien vu que tu es une manipulatrice !”
Lorsque j’éssayais de convaincre ma mère,au départ, que je n’étais pas faite pour être plaçée dans un tel endroit, mon père l’incitait à ne pas m’écouter ni me croire en lui affirmant:” Il ne faut pas se laisser influençer par elle, il ne faut pas la laisser saper notre confiance en l’institution !” et mon père me déclarait régulièrement: “je refuse de discuter avec toi”.
L’institution avait attribué à mes parents une image de pauvres” parents- victimes” et les avaient convaincus que j’étais une “manipulatrice” qu’il ne fallait pas croire.Ces psychiatres,assistants-sociaux,éducateurs et autres membres d’une équipe de soin avaient entièrement et radicalement détruit la confiance qui pouvait éxister entre mes parents et moi,nous avaient divisés par leur discours au point que mes parents,devenus complètement dépendants de la parole du milieu psychiatrique,ne voulaient et ne pouvaient plus me croire. Voilà le glorieux travail de discorde et de destruction totale de la confiance entre parents et enfant qu’avaient accompli cette “équipe de soin”.Mes parents qui jusque là m’avaient considérée comme ce que j’étais: une adolescente en grande souffrance,plongée dans un état dépréssif, et qui ne parvenait pas à s’intégrer et donc à s’adapter à une scolarité normale,me voyaient maintenant comme une personne dont il fallait se méfier,et qu’il fallait refuser d’écouter et refuser de croire: ma parole,mes plaintes,n’avaient plus aucun poids,aucune valeur à leurs yeux.
Les éducateurs,à partir d’intérprétations stupides,avaient déclaré que, par mes propos et mes comportements ,,je ne cessais de vouloir diviser les adultes,et saper leur autorité,les montant les uns contre les autres,alors que j’étais tout simplement une adolescente qui essayait de se défendre par tous les moyens des railleries des éducateurs,de leur jugement malveillant, de leur agréssivité et leur autoritarisme.
J’étais traumatisée, choquée,et je me sentais, à juste titre,terriblement trahie par mes propres parents,tout en ayant conscience de leur crédulité et de leur ignorance.
Mes parents croyaient devoir se protéger de moi et de mes prétendues “tentatives de manipulation”,sans se rendre compte un seul instant qu’ils se laissaient influençer de façon nocive et destructrice par les interprétations stupides et absurdes de ces “thérapeutes” qui déformaient la réalité,déformaient mes propos et ceux de mes parents et avaient ré-interprêté n’importe comment toute l’ histoire de notre famille et des origines de mes problèmes. Ils nous avaient transformés,mes parents et moi,en véritables ennemis,et à présent je me méfiais de mes parents qui avaient une mauvaise opinion de moi , tandis qu’eux de leur côté se méfiaient de moi en étant persuadés que j’allais tenter de les diviser…
J’ai plus tard demandé à mes parents de me raconter de quelle manière se déroulaient les entretients réguliers qu’ils avaient avec une sorte de conseiller éducatif, (un assistant social je crois),qui leur demandait de raconter leur vie,de parler de leur enfance, de leurs relations avec leurs parents,puis de parler de moi et de ma propre enfance. Je n’ai certes pas été surprise d’apprendre que cet homme avaient éssayé d’inciter mes parents à me rudoyer,me jetter dehors le matin quand je refusais de sortir pour me rendre à l’institution,et même qu’il avait éssayé de les inciter à me frapper.Cela n’avait rien d’ étonnant, puisque dans l’institution elle-même beaucoup d’adolescents subissaient régulièrement d’agressives menaçes de coups de la part de certains éducateurs,souvent de façon parfaitement gratuite.
Les éducateurs étaient bien sûr incapables de prendre conscience que leurs comportements étaient une succession d’abus et de brimades et que c’était leur agressivité permanente qui avaient déclenché chez moi des réactions de révolte,de haine et de colère qu’ils interprétaient comme des tentatives pathologiques de “manipulation des adultes”…Au départ j’avais tenté de me confier à mes parents,de me plaindre,mais ils étaient devenus si “fanatisés”par le discours institutionnel qu’ils me firent comprendre qu’ils refuseraient catégoriquement de m’écouter, et je me murai alors dans un silence total…
Trés influençés par les “bons conseils”de l’institution,mon père s’était mis à me hurler dessus gratuitement (exactement comme le faisaient les éducateurs),à me menaçer de me frapper (je devinais que mon père cherchait maintenant une occasion,un prétexte pour me donner des coups) et sous l’influence de l’institution qui avait réduit mon état à une grossière caricature et à une interprétation fausse et complètement déformée, il me répétait que si j’avais des problèmes,c’était parce que je n’avais pas reçu “assez de gifles”…
L’atmosphère familiale avait toujours été désastreuse car dans mon enfance mes parents se disputaient en permanence,et ma mère était si dépréssive que tous les membres de la famille en étaient rendus malades.Mais à présent c’était cette institution de soin et sa pédagogie noire qui avait rendu l’ambiance pleine de haine et d’agressivité,et de violentes disputes éclataient en permanence.Mon état était de plus en plus dépréssif mais l”équipe de soin” de l’institution répétait à mes parents que je n’allais pas si mal et que” je jouais bien evidemment la comédie”…Mes parents,persuadés par l’assistant social ,qui leur répétait que je “simulais” en grande partie cet état de dépréssion,étaient de plus en plus agressifs et de plus en plus cruels avec moi,surtout mon père,car l’assistant social lui rabachait à chaque entretient qu’un père doit savoir imposer son autorité paternelle et contraindre ses enfants par quelques coups quand c’est nécéssaire, par des cris,des menaçes, et que “c’était une trés bonne chose que les éducateurs aient réussi à me faire peur “…
J’avais constaté à quel point mon père était tombé dans un état de dépendance totale vis à vis du discours de l’institution et du discours de cet homme ignorant et stupide qui donnait à mes parents des leçons sur l’ Autorité Sacrée que doit avoir Le Père façe à ses enfants:Mon père,qui répétait tout ce que cet homme lui racontait sans jamais envisager de remettre en question quoi que ce soit de ces leçons d’ Autoritarisme, était devenu lui-même comme un enfant docile et obéissant façe à cette institution exactement comme le sont les enfants faibles et soumis,sans aucun libre-arbitre et aucune possibilité de se rebéller .
C’était bien sûr en permanence le même discours fait de pédagogie noire et de” fascisme éducatif ” que tenaient cet assistant social, comme les éducateurs : “La Parole des éducateurs devaient compter plus que tout et ne jamais être remise en question”;” si j’avais des difficultés ,leurs origines venaient du fait que mes parents avaient été trop laxistes avec moi et ne m’avaient pas assez donné de claques” ( je cite ); ,je cite les propos d’une éducatrice :”personne ne la touche jamais,ne lui donne jamais de gifles ,et c’est bien dommage!”, ect .Si une adolescente se risquait à critiquer une éducatrice,celle-ci lui rétorquait immédiatement d’un ton glaçial:”je sais trés bien ce que j’ai à faire!” ,et il n’était pas question de protester .Si un adolescent osait éssayer de faire valoir ses droits en protestant quand un éducateur le menaçait de coups,l’éducateur hurlait:” tiens, je vais me gêner !”
Les adolescents étaient réellement privés de tous leurs droits,et s’ils revendiquaient quoi que ce soit,les éducateurs les faisaient taire.,leur criaient dessus ou réduisaient à néant leurs protestations en se moquant d’eux et en les tournant en dérision,ce que ces sadiques adoraient faire,et qu’ils présentaient comme une “méthode éducative”.
Bien entendu, les éducateurs étaient protégés par le fait qu’ils utilisaient rarement la violence physique,ce qui les mettait à l’abri d’éventuelles plaintes.D’ailleurs,quand il y avait des abus de la part de certains éducateurs, parmi les plus agressifs,et qu’ils en venaient à frapper certains adolescents ,par exemple d’un coup de poing en plein visage,le psychiatre chef de service les couvrait et les protégeait systématiquement.Quand je pense que ce psychiatre est considéré comme particulièrement “éminent” et réputé et qu’il fait des conférences sur la psychanalyse et la maladie mentale alors qu’il tolérait tant de brimades,de cruautés et de comportements intolérables de la part des éducateurs qui travaillaient pour lui,,je me sens révoltée et dégoutée par cette société où,comme vous le disiez dans vos livres, on protège les forts et les puissants et on ne laisse aucun droit, aucune liberté de parole ou de plainte aux faibles…
Si j’écris ce courrier,c’est parce que je voudrais que le plus de gens possibles prennent conscience qu’il y a dans le milieu psychiatrique et institutionnel qui prend en charge des enfants et des adolescents à problèmes des abus inimaginables,des interprétations absurdes et déformées qui enferment les gens dans des diagnostics entièrement faux,et énormément de psychiatres,ou autres professionnels du soin et de l’éducation qui sont prêts à donner à des parents désemparés des conseils dangereux et néfastes, et qui ne vont pas hésiter à pousser les parents à frapper leurs enfants pour “rétablir leur autorité”,ou même,sans les frapper,à les traiter mal…
Les parents ne devraient jamais accepter cela.
Je peux affirmer,pour avoir vécu personnellement cette éxpérience,que de tels conseils sont nocifs et dangereux, et n’ont strictement rien à voir avec la psychologie de l’enfant ou de l’adolescent, ni avec la “thérapie” ou la connaissance du psychisme humain,et que ces conseils ne font que prouver l ‘éxtrême ignorance du psy ou de tout autre professionnel qui incite les parents à faire preuve de brutalité,ou à crier,hurler et menaçer pour faire peur à leur enfant récalcitrant.
S’il y a une chose essentielle que je souhaiterai dire aux parents dont les enfants ont des problèmes psychologiques et qui sont plaçés dans des lieux de soin, c’est de savoir que la maltraitance éxiste dans certains établissements, ( tout comme dans certaines écoles,ect…) et qu’il ne faut jamais laisser le discours de psychiatres ou d’éducateurs étouffer la parole d’un jeune, amener les parents à penser que leur enfant est un menteur ou un manipulateur qui tente de les tromper s’il se plaint,ou, même s’il ne se plaint pas ouvertement, manifeste des signes de souffrance,des pleurs,de l’agressivité,un état dépréssif,ect. Les parents ne devraient jamais accepter de croire que les professionnels du soin ou de l’éducation détiennent la vérité,et qu’il faut leur accorder une confiance aveugle.La première parole qui devrait compter,c’est celle de l’enfant ou de l’adolescent.
Mes parents allaient régulièrement à ces “entretients thérapeutiques” avec ce conseiller,mais les pièces où avaient lieu les entretients étaient dans un bâtiment séparé des autres,si bien que les parents ne voyaient jamais de quelle façon les éducateurs traitaient certains jeunes,les rudoyaient,leur hurlaient dessus ou les humiliaient par des moqueries.Le psy chef de service avait d’ailleurs fait remarquer froidement aux parents qu’ils n’avaient en aucun cas à se rendre sur les “lieux de soin” de l’établissement, et les parents restaient donc dans l’ignorance des brimades que subissaient leurs enfants.Je me souviens d’un élément trés important qui montre bien comment réagissaient les éducateurs: à un stade j’étais devenue si dépréssive que mes parents m’avaient fait consulter notre médecin géneraliste.Cette doctoresse m’avait trouvée dans un état si inquiétant: dépressive,ne parlant pas,apathique, qu’elle avait apellé l’institution pour se plaindre et n’avait pas hésité à critiquer cet établissement si “respectable”.J’avais constaté à quel point les éducateurs étaient furieux qu’une personne éxtérieure ne faisant pas partie du milieu psychiatrique se soit permis de remettre en question leur comportement.Un des éducateurs avait fait remarquer que cette femme” s’était mêlé de ce qui ne la regardait pas…” Il ne fallait surtout pas se mêler de ce qui se passait dans l’institution,surtout quand on n’était pas d’accord …A cette époque, je ne me rendais pas compte que j’avais énormément de chance que cette “simple doctoresse” se soit “mêlé de ce qui ne la regardait pas”,car en montrant à mes parents qu’elle n’était pas d’accord elle leur avait permis de comprendre qu’ils ne devaient pas faire confiance à l’institution,et pouvaient se permettre de douter,et de ne pas accepter sans réfléchir tout ce que l’ équipe thérapeutique” leur racontait..J’ai réfléchi à tout ça , plus tard, en devenant adulte, et je pense aujourd’hui qu’il y a tellement de brimades et de mauvais traitements, psychologiques ou physiques ,dans le milieu institutionnel,que tous les enfants ou adolescents qui sont plaçés dans ce milieu devraient avoir la possibilité de se confier à un adulte qui ne soit surtout pas lié à ce milieu lui-même, et n’y travaille pas, un adulte qui soit prêt à remettre en question et à désapprouver le comportement des psys et des éducateurs en sachant vraiment ce qu’est la maltraitance,et qui puisse jouer un rôle de témoin éclairé et déceler dans le récit de l’adolescent qu’il est victime de harçèlement moral,de négligence,de paroles ou de comportements humiliants ou même de violence physique…
AM: Nous publions votre témoignage éloquent sur les institutions brutales qui vous ont fait sans doute beaucoup de mal. Mais j’ai l’impression que vos plaintes vous permettent de voir vos parents comme les pauvres victimes de ces institutions. Cette vue vous permet de ne pas sentir la rage contre vos parents qui vous ont livré à une institution si brutale sans vouloir la discerner. Vous pouvez continuer à faire votre thérapie de cette façon mais votre corps et la petite fille qui connaissent les cruautés de ses parents ne se sentiront pas libérés si l’adulte en vous ne prend pas le courage de les écouter. Votre peur de voir la cruauté de vos parents montre comment la petite fille a souffert AVANT d’être envoyée à l’institution, et pour libérer votre corps des symptômes il faut SENTIR la colère qu’elle a du réprimer à l’époque, LONGTEMPS AVANT L’ADOLESCENCE, pour ne pas être battu.
Réponse de Brigitte:
L’incompétence de cette institution est totalement réelle mais le lien de confiance entre vous et vos parents n’a pas été détruit par son personnel, vos parents ont du chercher dans cet endroit la nourriture qui leur permettait d’alimenter leurs convictions à votre égard. Les disputes conjugales permanentes et la dépression de votre mère ne pouvaient laisser aucun espace à l’enfant que vous étiez et vous n’aviez pas d’autre choix que de vous réfugier à votre tour dans cet état dépressif. Dans cette désastreuse ambiance familiale, n’importe quel enfant aurait été en péril comme vous l’avez été et c’est parce qu’ils ne supportaient pas l’état dans lequel ils vous avaient mis qu’ils se sont débarrassés de vous en vous confiant à cette maison de “redressement”. Votre père ne pouvait probablement pas tolérer deux personnes dépressives sous son toit, d’ailleurs l’intervention de votre doctoresse qui a alerté vos parents, a t-elle permis de vous retirer de cette maison ou n’a-t-elle qu’éveillé leur soupçons?
Tous les entretiens thérapeutiques entre vos parents et le milieu psychiatrique montrent qu’ils ne pouvaient pas ignorer les brimades que vous subissiez, le plus douloureux est certainement d’ouvrir les yeux sur cette partie de votre existance.BO