Les méchants existent
Tuesday 03 March 2009
Bonjour Alice et Brigitte,
J’apprécie et soutiens de tout cœur votre travail, votre parole si juste, et la lecture des livres d’Alice m’a beaucoup aidée. Pourtant, encore aujourd’hui, à l’âge de 34 ans, je souffre du regard que mes parents, mes sœurs et certaines personnes de ma famille posent sur moi : je suis censée être l’égoïste, la capricieuse, celle qui écrase les autres et envahit toujours, celle qui n’a pas d’égards, la sans-gêne, la narcissique, l’égocentrique, celle qui profite et abuse des autres, la tyrannique, la colérique, celle qui exige et intellectualise, la déséquilibrée, la névrosée, celle qui complique tout, avec laquelle on ne peut pas être naturel, qui passe tout au crible de l’analyse, celle qui est sadique, irrespectueuse, celle qui a des problèmes relationnelles avec les autres, qui ne les acceptent pas tels qu’ils sont.
Vous ne pouvez pas savoir comme tout cela me fait souffrir encore aujourd’hui. Petite, j’ai paraît-il un jour dit à mon père « c’est l’immeuble où j’ai beaucoup souffert » en montrant l’immeuble où nous avions vécu, et cela les avait fait beaucoup rire, c’était même devenu une blague familiale, à laquelle, j’ai ri pendant des années avec eux. J’étais celle dont on riait de la maladresse, de l’étourderie. Enfant puis ado, j’avais inconsciemment forcé le trait pour m’attirer l’intérêt et la sympathie de ma famille. Ce sont des choses qui ont cessé de me faire rire depuis longtemps. Encore aujourd’hui, si j’oublie ou que j’abîme quelque chose, c’est la preuve de ma désinvolture et de mon irrespect envers les autres. Quand je vais passer du temps chez mes parents, les actes manqués redoublent, je casse, je perds, j’oublie, c’est un désastre, et ça leur donne raison. Pourquoi mon inconscient leur donne toujours raison ? Quand ma mère m’humilie en me reprochant mon désordre (malgré tous mes efforts), j’explose de rage et tout le monde me regarde comme une folle enragée. Quand j’essaie de communiquer avec eux, avec toute la douceur et tout le respect possible, juste pour leur dire ce qui me blesse, ils réagissent comme s’ils étaient mes victimes : ils me reprochent alors de vouloir les forcer à des relations non spontanées, ils me disent que je suis encore une ado en crise, qu’ils pensaient que c’était réglé, comme s’il s’agissait d’une maladie, et mon père me répond : « nous sommes étonnés car nous croyions que tout cela allait mieux et était réglé! Nous aimerions ne pas avoir à calculer nos réactions par rapport a notre fille; nous aimerions l’aimer et la chérir naturellement avec le tact dont nous sommes capables(mais sans passer nos réactions a travers la grille analytique) ». Pour moi, c’est donc qu’ils me demandent de me taire, de tout subir sans rien dire, de ne pas avoir à faire attention à moi. S’ils ne peuvent pas m’aimer et me chérir, c’est à cause de moi.
Je sais que c’est idiot de ma part de chercher éternellement à me faire respecter d’eux, du moins me protéger : maintes fois j’ai tenté d’avoir un peu de contrôle sur cette relation, maintes fois j’ai tenté de me protéger, mais je ne vois toujours pas comment : si je coupe les ponts avec mes parents, je sais ce qui m’attend, j’en ai déjà fait l’expérience : je vais me bouffer de tristesse et de culpabilité, j’aurai un sentiment d’échec total. Mais si je continue à les voir, même rarement, même peu de temps, je vais sentir peser ce regard négatif sur moi et cela me fait enrager. Que faire ? Ils considèrent que j’ai ces défauts-là, moi je trouve que ce sont des défauts abominables, mais ils disent m’aimer par ailleurs et me reconnaissent des qualités, parfois contradictoires avec mes défauts : il paraîtrait selon ma mère que j’ai un « bon fond », que je suis belle, et intelligente (comme quoi un horrible défaut peut aussi être une qualité !) talentueuse. J’ai aussi senti de l’admiration et de l’étonnement. Au fond, j’ai parfois l’impression d’un amour très narcissique…
J’ai passé ma vie à me demander si j’étais une personne bonne ou mauvaise, à douter que je puisse mériter d’être heureuse, de réussir, ou même d’exister. Ils disent m’aimer, mais je ne sais pas comment on fait pour aimer quelqu’un dont on pense qu’il est abusif, irrespectueux ? Je pense que tout ce qu’ils me renvoient depuis l’enfance, ce sont des projections, leur propre rejet d’une part d’eux-mêmes (d’ailleurs ils sont eux-mêmes très irrespectueux, égocentriques, sans égard et peu d’empathie…). Ce besoin aussi de se placer en victimes, d’inverser les rôles : c’est moi qui les rejette, moi qui les juge, moi qui les tyrannise, moi qui les tourmente. Je voudrais tellement ne plus souffrir, je voudrais que ça s’arrête, je voudrais juste vivre ma vie, me sentir innocente et utile, j’envie les gens qui vivent sans en douter. Pensez-vous qu’il soit possible d’avoir tous les défauts qu’ils me prêtent et d’être néanmoins une personne « aimable » ? Je ne me reconnais pas dans ce portrait désastreux qu’ils se font de moi, sauf pour l’égocentrisme : je reconnais que je suis égocentrique, quoique de moins en moins, dans le sens où j’ai longtemps désespérément cherché à savoir ce que je ressentais, forcément, à force d’être coupée de soi-même, on est bien obligé de se recentrer et de se boucher les oreilles pour limiter les interférences, mais c’est plutôt une conséquence douloureuse d’avoir toujours été disqualifiée par mes parents dans mes perceptions propres : pour eux, il n’existe que leur point de vue. Tout autre point de vue est inadmissible. Vous me direz, c’est donc qu’eux-mêmes ont été disqualifiés dans leurs perceptions dès l’enfance. Certes, et c’est pourquoi je ne les prends pas pour de grands affreux coupables : les méchants, ça n’existe pas. S’ils ne le savent pas, moi je le sais, du moins intellectuellement. Ils n’en sont pas moins, de fait, des parents toxiques dont je veux réussir à me protéger, pour pouvoir vivre enfin. Il faudrait que j’arrive à être convaincue dans toutes mes fibres que je suis innocente, gentille, bénéfique, même si, comme tout être vivant, il m’arrive aussi d’être blessante, inévitablement mais que ce n’est pas si grave. Dites-moi quelque chose qui puisse m’aider ! Merci.
Réponse de Brigitte :
Alors à vous de choisir entre culpabiliser et être triste de ne plus voir vos parents qui vous traitent d’égoïste, de capricieuse, d’envahissante, sans égard, sans-gêne, narcissique, égocentrique, profiteuse, abuseuse, tyrannique, colérique, exigeante, déséquilibrée, névrosée, sadique, irrespectueuse……….. Et sentir la rage de vous trahir en continuant à les voir au risque de tomber malade. Contrairement à ce que vous dites, les méchants existent dès lors qu’ils refusent de voir d’où vient leur méchanceté et c’est le cas de vos parents qui préfèreront continuer de vous accabler plutôt que de sentir qu’ils ont souffert. Vous n’êtes pas obligée de SUBIR leur aveuglement et leur déni. BO