Chronique de Pierre Goldman
Wednesday 18 January 2006
Bonjour,
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt depuis deux ans plusieurs de v! os livres (le drame de l’enfant doué, notre corps ne ment jamais, chemins de vie, la connaissance interdite).
Ce que vous dites concernant les enfants maltraités m’a fortement impressionné, car il renvoie chacun aux difficultés de sa propre enfance. Il permet également de voir autrement le comportement de personnes aujourd’hui devenues adultes mais qui ont gardé enfouies au fond d’elles des séquelles de leur enfance.
J’ai lu dernièrement un livre d’Antoine CASUBOLO intitulé La vie rêvée de Pierre Goldman qui m’a conforté dans la justesse de vos propos. Pierre GOLDMAN a défrayé la chronique en France dans les années 70, en étant fortement impliqué dans la mouvance d’extrême gauche, dans le banditisme, mais aussi dans le journalisme, avant d’être mystérieusement assassiné par un commando jamais identifié.
L’analyse faite par Antoine CASUBOLO, avec le recul du temps, de la personnalité et de la psychologie de Pierre GOLDMAN m’a donné en! vie de relire Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, livre que ce dernier avait écrit alors qu’il était en prison, présumé coupable de l’assassinat de deux pharmaciennes à Paris en 1969 à la suite d’un hold-up qui avait mal tourné. J’y ai lu la confirmation de votre hypothèse : l’enfant Pierre GOLDMAN s’est construit sur le mythe de parents héroïques résistants pour ne pas voir les manques que ces derniers lui portaient. Celui d’un père ne désirant pas son enfant à sa conception. Celui d’une mère préférant donner son temps au parti communiste polonais plutôt qu’à son fils de trois ans – il ne la reverra pas avant l’âge de douze ans. Celui d’un père venu kidnapper son fils pour l’empêcher de partir avec sa mère en Pologne, mais qui le confie à sa sœur plutôt que de le garder auprès de lui. Celui d’un père qui réintègre son fils dans son logement quand il se marie avec une autre femme que la mère de l’enfant. Celle enfin d’un père qui émancipe son fils à l’âge de dix-sept ans comme pour s’en débarrasser enfin définitivement. La révolte de Pierre GOLDMAN prend alors une autre signification : celle d’un jeune adulte qui s’était construit dans la mystification de sa propre histoire, s’identifiant totalement à ses parents jusqu’à se tromper d’époque. Cette hypothèse permet d’entrevoir tout autrement la vie d’adulte de Pierre GOLDMAN, sa fascination pour les armes, la violence…
J’écris une chronique, à peu près chaque mois depuis deux ans, envoyée par courriel à mes proches, sur des sujets qui me « motivent ». Celle de janvier parle de Pierre GOLDMAN et de vos analyses concernant la maltraitance. J’ai eu envie de vous la faire parvenir (ci-dessous), ce qui me donne par ailleurs l’occasion de vous remercier pour la qualité de vos livres, dont le contenu m’a particulièrement touché.
Bien cordialement,
C L
Ecris ton histoire toi-même
Je n’avais pas oublié son nom ni son histoire quand j’ai vu son visage en couverture d’un livre écrit dernièrement par Antoine CASUBOLO : « La vie rêvée de Pierre GOLDMAN » (1). Pierre GOLDMAN, ex-gauchiste, guérilléro, gangster, écrivain, musicien, taulard, accusé du double meurtre de deux pharmaciennes, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité puis acquitté lors d’un second procès, sauvagement assassiné en 1979 par un mystérieux commando intitulé « Honneur de la police » jamais identifié. Dans le contexte de l’après mai 68, il devenait une icône pour toute une génération de gauchistes, lui qui avait été soutenu par les plus célèbres d’entre eux : Krivine, Kouchner, Debray, Geismar et Serge July. A l’époque, j’avais lu avec empathie Les souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France (2) qu’il avait écrit en prison. Avec le recul, Antoine CASUBOLO fait une analyse qui n’est plus uniquement politique. Il cherche à comprendre la psychologie du personnage. Selon lui, Pierre GOLDMAN s’est totalement identifié à son père. « Tout au long des Souvenirs obscurs, à chaque page, entre les lignes, la douloureuse quête d’approbation, le désir maladroit d’accorder chacun de ses gestes, même et surtout les plus minables, avec les enseignements du combattant, témoignent du drame de Pierre Goldman» (3).
Ca m’a donné envie de relire les Souvenirs obscurs. J’y ai découvert Pierre GOLDMAN sous un nouveau jour. J’y vois maintenant une autre personne, qui m’avait totalement échappé il y a trente ans : le petit garçon qu’il fut, écartelé entre père et mère et se fabriquant une vie héroïque pour survivre à cette forme de maltraitance parentale. Celle d’un père ne désirant pas son enfant à sa conception. Celle d’une mère préférant donner son temps au parti communiste polonais plutôt qu’à son fils de trois ans – il ne la reverra pas avant l’âge de douze ans. Celle d’un père venu kidnapper son fils pour l’empêcher de partir avec sa mère en Pologne, mais qui le confie à sa sœur plutôt que de le garder auprès de lui. Celle d’un père qui réintègre son fils dans son logement quand il se marie avec une autre femme que la mère de l’enfant. Celle enfin d’un père qui émancipe son fils à l’âge de dix-sept ans comme pour s’en débarrasser enfin définitivement. La révolte de Pierre GOLDMAN prend alors une autre signification : celle d’un jeune adulte qui s’était construit dans la mystification de sa propre histoire, s’identifiant totalement à ses parents jusqu’à se tromper d’époque. Celui que j’avais pris pour un héros, pour qui Serge July disait dans l’éditorial de Libération le lendemain de sa mort « A sa manière brutale, entière, d’une seule pièce, Pierre Goldman était le plus pur d’entre nous. Celui qui avait été jusqu’au bout de ses fantômes.
Jusqu’au bout de ses fantasmes. » Celui-ci était également un enfant malheureux. Selon Alice MILLER, thérapeute qui a beaucoup écrit sur la maltraitance des enfants, lorsqu’un adulte nie obstinément le mal qu’on lui a fait subir quand il était enfant et qu’il continue à idéaliser les fautes commises par ses parents, il finit par glorifier le traitement qu’il a subi, la violence en tant que telle. « L’adulte dispose hélas de tout un arsenal de moyens pour nier les sévices subis dans son enfance et les répéter sur d’autres. Par exemple, leur donner un maquillage idéologique, si subtil qu’il pourra même les faire passer pour légitimes. » (4) Si l’on suit cette
hypothèse, Pierre GOLDMAN se serait dupé en idéalisant ses parents et leur vie de combattant pour masquer ce qu’ils lui avaient fait vivre (séparations, enlèvement, éloignements) et aurait lui-même reproduit sur d’autres les sévices qu’il avait subi (fascination pour les armes, agressions). « Qu’est-ce au fond que la haine ? poursuit Alice MILLER. A mes yeux, elle est la possible conséquence de la fureur et du désespoir de l’enfant méprisé dès avant l’acquisition du langage. Tant que sa colère envers son père ou sa mère restera inconsciente et niée, elle ne s’apaisera pas. Elle peut seulement se déplacer sur des boucs émissaires, qu’il s’agisse de ses propres enfants ou de prétendus ennemis. La rage transformée en haine qui peut se donner libre cours sous le masque de l’idéologie est particulièrement dangereuse, car elle est indestructible, réfractaire à tous les préceptes moraux et peut rester très forte la vie durant. » (5)
Il y a trente ans, en faisant cause commune avec Pierre GOLDMAN, j’avais participé à sa propre mystification. J’avais contribué à l’emmener irrémédiablement vers sa tombe, accompagnant la pulsion de mort qui ne le quittait pas depuis sa naissance. Et par la même occasion, j’avais accepté d’entrer moi-même dans une manipulation. Aujourd’hui, je ne cherche pas à « déboulonn! er » une icône pour la jeter aux orties. Je veux simplement me mettre en garde – et mes proches par la même occasion – contre les risques de manipulation dans lesquels nous pouvons facilement nous laisser piéger si l’on délègue à d’autres le soin de donner un sens à sa vie. Ce qu’a fait Pierre GOLDMAN en s’identifiant à son père. Ce que j’ai fait moi-même – en même temps que des milliers d’autres personnes – en acceptant de croire à son histoire mystifiée.
A l’occasion de la nouvelle année, et compte tenu de la période trouble que nous traversons, j’ai envie de dire à chacune et chacun : écris ton histoire toi-même.
C L
Le titre de cette chronique est emprunté à la chanson La religion de Jacques
DEBRONCKART
(1) Editions Privé. Octobre 2005. A. CASUBOLO est journaliste et documentariste
(2) Edition du Seuil – 1975, prochainement réédité
(3) La vie rêvée de Pierre GOLDMAN d’Antoine CASUBOLO p. 67
(4) et (5) Chemins de vie – Flammarion 1998 pages 215 et 218. Site Internet : www.alice-miller.com
Un documentaire inédit de 2005 réalisé par Michaël PRAZAN sur l’assassinat de Pierre GOLDMAN est diffusé sur France 3 ce vendredi 13 janvier à 23 H 30. Michaël PRAZAN est également l’auteur d’un livre publié aux éditions du Seuil en 2005 intitulé Pierre GOLDMAN, le frère de l’ombre.
AM: Je vous remercie pour votre lettre et suis contante de la pouvoir partager avec les autres. Si vous avez lu “Notre corps ne ment jamais” vous devez savoir que l’histoire de Goldmann n’est pas exceptionnelle, la fuite de la vérité vers les idéologies n’est qu’une des manières d’escaper la douleur qui semble insupportable. Une fois qu`’on a compris cette loi, la loi de l'”amour” des enfants maltraités pour leurs parents, payé si cher, on voit des exemples pareils partout. Mais il y a peu qui sont prets à vouloir comprendre la destructivité de cet attachement. Je vous felicite d’avoir ouvert vos yeux.