S’éteindre à la vie

S’éteindre à la vie
Thursday 25 October 2007

Très chères Alice et Brigitte,

Je tiens tout d’abord à vous remercier pour le travail remarquable que vous faites pour dénoncer toutes les formes de maltraitance sur les enfants, ainsi que les conséquences sur leur développement et sur leur comportement devenus adultes.

Je veux vous faire part de mon témoignage, de la découverte grâce à la thérapie de l’origine de mes blessures et souffrances qui m’handicapent tant dans ma vie de tous les jours, et des interrogations qui me hantent aujourd’hui.

Il y a quelques années, à l’âge de 44 ans, j’ai décidé de démarrer une thérapie, quand j’ai commencé à prendre conscience de mon mal être et de ma non vivance. J’étais très introverti et je ne laissais paraître aucune émotion. Je faisais tout pour disparaître, passer inaperçu, j’étais incapable de demander de l’aide ou quoi que ce soit, même de passer un simple coup de téléphone. J’étais incapable de la moindre communication, de la moindre compassion, totalement impuissant et sans réaction, figé, quand on me posait une question ou qu’on me demandait mon avis.

Par ailleurs, je n’ai aucun souvenir de mon enfance, si ce n’est l’impression de n’avoir pas vécu d’enfance, ni d’adolescence.

J’ai suivi une thérapie émotionnelle. Je me suis d’abord retrouvé confronté à ma naissance. J’ai découvert que ma mère ne m’attendait pas et ne voulait pas de moi. Elle a appris que nous étions deux dans son ventre une semaine avant d’accoucher. Mon frère jumeau est né normalement. Quand est venu mon tour, elle n’avait plus de force et on a dû l’endormir et me chercher avec les forceps. Je suis resté trois semaines à la maternité en couveuse. Durant ces trois longues semaines, ma mère n’est pas venue me voir. Quand je suis rentré à la maison, j’ai passé six mois à pleurer toutes les nuits. Mes parents m’ont laissé pleurer, ma mère ne m’a jamais pris dans les bras, jamais réconforté. Je suis resté seul et j’ai du me résigné à me taire, à ne rien réclamer.

Au cours de séminaires de thérapie, mon corps a réagi violemment à des histoires de viols, je me rejetais en arrière, apeuré, terrorisé, ma main essayait de repousser quelque chose ou quelqu’un. Puis j’ai déclenché une rectocolite hémorragique. Les saignements sont devenus de plus en plus importants après chaque séance de thérapie. Mon corps m’a montré sans équivoque que j’avais été abusé. J’ai revécu dans mon corps l’abus, l’impuissance et la terreur du bébé abusé. Quand j’ai recontacté cette terreur, les symptômes de ma rectocolite ont disparu le lendemain même et ne sont jamais revenus, sans avoir suivi le moindre traitement médical.

Mon corps m’a également rappelé une tentative d’étouffement pour me faire taire bébé.

Plus tard en poursuivant ma thérapie, j’ai découvert que c’est mon père qui est responsable de ces violences et abus sur moi.

Je me suis confronté, non sans peur, à mes parents pour leur dire ce que j’avais découvert. Ils ont nié en bloc, mais avec une telle hargne et en usant de tous les arguments imaginables que leur culpabilité ne fait pour moi aucun doute. Et je suis convaincu que ma mère sait elle aussi ce qui m’est arrivé.

Depuis, j’ai rompu tout contact avec eux. Ils ont monté mes frères contre moi, je suis devenu pour tous, le paria, le fou, l’ensorcelé, l’embrigadé dans une secte.

Aujourd’hui, je suis confronté à des mélanges de sentiments tels que culpabilité, honte, haine, colère, doutes.

La haine et la colère envers ces êtres qui ont bousillé à jamais ma vie, qui m’ont retiré toute velléité de vie dès ma naissance, et qui n’ont eu aucun remord, aucune empathie pour ce qui m’est arrivé et qui continuent de me maintenir dans la peur, dans la terreur et dans la solitude. Je sens cette colère présente en moi, mais je n’arrive pas à l’exprimer, à la faire sortir. Comme si j’étais interdis de colère. J’ai une capacité effarante à tout accepter, tout endurer sans me mettre en colère, sans élever le ton.

La culpabilité dont je n’arrive pas me défaire, je me sens coupable de ce qui m’est arrivé, même si je sais consciemment que ce n’est pas vrai.

Les doutes qui m’assaillent régulièrement, est-ce que tout ce que j’ai découvert est réel, est-ce que ce n’est pas mon inconscient qui me joue des tours. Je sais que je peux faire confiance à mon corps, mais je n’ai aucun souvenir, je voudrais tant avoir une preuve intangible de tout ça.

Tous les jours, je peux constater l’ampleur des dégâts des maltraitances subies au cours de mes premières années de vie sur mon comportement et ma vie d’adulte. Je me rends compte à quel point je vis quotidiennement dans la peur et la terreur, dans la crainte permanente de ce qui pourrait m’arriver si je ne fais pas ou si je ne réponds pas ce qu’attend l’autre en face de moi.

Je ne vis pas, je subis la vie. Je ne suis pas moteur de ma vie. Je laisse les évènements se dérouler en spectateur et je ne fais rien pour changer les choses. Je me sens prisonnier à jamais.

La thérapie que j’ai suivie m’a permis de mettre à jour mon histoire et de commencer à m’approprier ma vie, mais que le chemin est long et tortueux. Et que le bout du tunnel est loin !

Vous démontrez dans vos écrits que le cerveau de l’enfant se structure durant les trois premières années de vie. Dans mon cas, je me demande si mon cerveau n’a pas été endommagé irréversiblement par les maltraitances que j’ai vécues bébé. Est-ce que je pourrais réellement m’approprier ma vie un jour, est-ce qu’il me sera possible d’arriver à exprimer les sentiments de joie, d’empathie, d’amour, qui sont enfouis si profondément en moi ?

Merci pour votre empathie et votre aide.

Bien amicalement
AM: J’étais très touchée par votre lettre, elle est si franche, si honnête et si claire. Il n y a pas le moindre doute à mon avis que votre cerveau fonctionne parfaitement, mais, jusque là, il a toujours dû vous protéger de vos parents atroces qui étaient pour vous un danger permanent dans votre “tunnel”. En nous écrivant cette lettre vous avez déjà trouvé la sortie, vous avez compris que leur pouvoir sur vous n’existe plus dès lors que vous cessez de douter que votre mémoire ne vous raconte que la RÉALITÉ. Il est possible que toutes vos thérapies vous aient permis de ressentir vos émotions qui ont soulagé le corps (d’où la guérison du saignement), mais elles ne vous ont pas permis de vous révolter contre la cruauté de vos parents parce que c’est ça qui fait peur aux thérapeutes d’habitude. Alors ils vous ont laissé dans les doutes et dans la crainte que vous avez peut-être inventé quelque chose, parce que les parents ne peuvent pas être si cruels. Comme vous pouvez le constater sur ce site il n y a pas de limite à leur cruauté. Félicitations d’avoir décidé de la VOIR et d’en PARLER en ÉCRIVANT.

Réponse de Brigitte:

Le bouleversement que l’on ressent en imaginant la détresse de ce petit bébé abandonné à lui même est déchirant d’émotions. La sincérité de votre récit montre combien la vie vous habite encore même si vous avez perdu l’espoir qu’elle puisse se manifester dans vos attitudes. Cette mort que vous ressentez dans votre quotidien est certainement réelle parce qu’elle obéît au plus grand désir de votre mère, huit jours avant votre naissance: que vous SOYEZ MORT!! Son effroyable dureté vous a imposé de vous taire, de ne pas déranger, de rester muet durant des mois après votre venue et aujourd’hui vous lui obéissez encore parce que cette mémoire archaïque est inscrite au plus profond de vous. Vous pouvez faire naître cette vie qui est, sans aucun doute, chez vous en DÉSOBÉISSANT à votre mère. A chaque fois que vous oserez prendre la parole pour dire ce que vous pensez, ce que vous ressentez, vous SORTIREZ de son emprise et surtout vous ne laisserez plus SEUL ce petit bébé comme elle l’a fait. A chaque fois que vous vous interdisez de réagir, vous traitez le petit enfant de jadis comme elle l’a fait, inconsciemment vous répétez la cruauté que cette femme vous a fait subir.

Il est venu le temps maintenant de rencontrer ce petit bébé pour lui redonner la vie tel que vous l’espérez. Toutes les fois où vous ferez un pas en prenant la parole, même si elle est maladroite, vous enlèverez petit à petit le bâillon qui lui ferme la bouche pour le laisser enfin crier toute la rage qu’il a emmagasiné d’avoir été cruellement abandonné. BO