Le corps dit et le mental fait taire

Le corps dit et le mental fait taire
Sunday 04 October 2009

Madame,

Je ne me suis jamais – jusqu`à hier soir, quand j`ai lu un de vos livres – considérée une enfant maltraitée. J`avais assumé que mes parents ne m`avaient pas aimée, ne s`étaient jamais occupée de mes besoins, ne m´ont jamais soutenu, ont toujours essayé de me rabaisser etc. Le mot « maltraitance « me faisait plutôt penser aux sévices physiques continus, dont je considérais n`avoir pas été victime. Peut-être parce j`ai toujours été brimée mais mes parents n`ont jamais réussi à me casser. Évidemment, après avoir lu votre livre j`ai été obligée de reconnaître que j`avais été plusieurs fois sauvagement battue par ma mère et peut-être aussi par mon père.

Je me suis toujours révoltée contre la méchanceté gratuite de mes parents, surtout de ma mère, celle de mon père était peut-être moins flagrante parce qu`il était presque toujours absent. Je ne les jamais idéalisés, même étant adolescente. Je les détestais. J`ai toujours su qu`ils étaient monstrueux et une fois j`ai même pensé dénoncer ma mère à la police – quand elle m`avait battue à coups de ceinturon sur le visage. Je ne l`ai pas fait car à l`époque je me faisais encore des illusions par rapport à mon père, en pensant qu’ il prendrait ma défense, s`il avait été là, mais par la suite j`ai eu de cruelles déceptions et ai été plusieurs fois trahie aussi par mon père. Dès que j`ai pu, j´ai quitté la maison pour aller faire des études dans la capitale. Ensuite j`ai quitté mon pays et maintenant cela fait plus de 20 ans que je vis à l´étranger et ne revois mes parents que très rarement (à intervalles de 3 voire 5 ans).

J`ai une sœur aînée que vit elle aussi à l`étranger. J`avais un frère, aîné aussi, qui s’est suicidé en 2003. Il vivait près de mes parents, dans la même ville.

Maintenant je suis en analyse mais je ne sais pas si cela me fait vraiment du bien. En réalité, j`ai décidé de demander de l`aide parce que j`avais changé une troisième fois de pays, j`avais un nouveau travail, dans lequel je ne me sentais pas très bien mais que je voulais garder, et la relation avec mon mari, mauvaise depuis le début, se rompait définitivement. En plus mes parents ont vieilli et me réclamaient. Encore une fois j`ai trouvé cela révoltant mais puisqu`ils sont affaiblis et ma sœur, avec qui ils ont une meilleure relation, vit sur l`autre hémisphère il n y`a que moi sur qui ils comptent s’il se passe quoi que ce soit.

Cet été je me sentais obligée d`aller les voir parce qu`au printemps ma mère s`était cassée une jambe et un peu avant, en décembre, elle s`est fait opérer d`une bêtise mais en a fait tout un plat pour essayer de me manipuler – je suis allée en toute tranquillité aux sports d`hiver.

Mais en été j`étais paniquée à l`idée d`aller les voir. Ma sœur me le demandait, car elle vit trop loin, et d`un autre côté je voulais faire de petits cadeaux aux voisins de mes parents – car ils n`ont pas d`amis – qui ont été très gentils et les ont aidé dans cette mauvaise période (mon père s`est aussi retrouvé hospitalisé quand ma mère avait une jambe plâtrée). Enfin, je me sentais comme un monstre incapable de secourir deux vieux. C`était une source d`une grande, grande douleur, ne pas avoir de sentiments pour mes parents.

J`étais prise de panique parce que d`abord je ne sentais rien et puis retourner à la maison c`était comme retourner dans l`enfance, quand j`étais sans défense et ne pouvais rien contre la toute-puissance de mes parents. En plus faire la petite fille gentille alors que je les déteste c`était au-dessus de mes forces. Et cela me faisait pleurer. J’étais très, très triste. Mais pourquoi ? Car je sais affronter mon père et ma mère. Je l`ai toujours fait. Mais cela se passait au prix de très violentes disputes et je n`ai plus envie de vivre dans la violence. J`ai appris la gentillesse et la sérénité mais quand je me retrouve avec mes parents tous les vieux démons reviennent. Ce n`est que de la violence verbale. Je ne veux pas passer mes vacances à cela, je n`ai plus envie de me crisper à cause d`eux. J`ai droit au repos et à des choses agréables. Et ils me harcèlent dans des courriels avec la même question : Quand viendras-tu.

Finalement je ne suis pas allée les voir en été – je suis allée en dans mon pays mais pas dans ma ville natale sous prétexte que la distance était longue et les routes mauvaises. Je me sentais coupable, évidemment. Mes amies, avec qui j`ai fait un stage de yoga, en étaient bouleversées. Elles ont toutes des enfants âgés de 20-30 ans. Ça fait peur.

Mais où je veux en venir, demanderez-vous. Je pense que je n`ai jamais refoulé mes vrais sentiments envers mes parents. Et pourtant je ne suis pas heureuse. Je voudrais pouvoir les voir et ne pas en souffrir, ne pas pleurer. Je n`ai pas peur d´eux. Mais comment faire ? Je ne veux plus me sentir coupable. Je ne leur parlerai jamais de la grande rancune que j`ai envers eux car ils ne comprendront jamais. Ils me font plutôt pitié mais mêlée de mépris. On n`a qu`à écouter leurs commentaires sur la mort de mon frère, à laquelle ils ont grandement contribué. Comment faire pour ne pas être malheureuse et déprimée car je pense – même si je ne l`avoue pas – que je voudrais avoir une famille. Avant je pensais que cela n`était pas possible, qu`il était impossible d`avoir une famille qui n`écrase personne. Maintenant j`ai vu que c`est possible mais je n`ai jamais eu une relation équilibrée avec un homme. Soit les hommes sur lesquels je tombe ne sont pas disponibles émotionnellement, soit il le sont mais veulent une relation simple alors que mon truc ce sont des relations difficiles. Bref, je n`ai jamais eu une relation saine avec un homme.

Je pense évidemment que cela garde un rapport avec la relation inexistante avec mon père. Mais comment, quel genre de rapport ? Et comment faire pour changer cela ? Est-ce que jamais dans la vie je ne connaîtrai l`amour que je mérite juste parce que mon père ne m`aimait pas ?

J`en parle à ma sœur mais elle ne me comprend pas, elle est heureuse en couple, a un garçon de 12 ans jamais battu, mais elle est un peu comme ces gens dont vous avez parlé dans votre livre et qui ne comprennent pas comment Dalida a pu se donner la mort. Ma sœur ne comprend pas pourquoi je suis parfois déprimée, elle dit que je devrais être comme une fontaine de bonheur parce que, selon elle, je n`ai aucune raison d`être malheureuse : j`ai un travail stable et bien payé, je peux voyager, je suis indépendante, intelligente, pas mal physiquement, très ouverte, généreuse, curieuse. Et alors, étant comme je suis je ne mérite toujours pas l`amour.

Ma sœur a pardonné à mes parents et ne comprend pas pourquoi je ne suis pas capable de faire la même chose.

J`ai peur de la solitude. Je suis quelqu`un de solitaire et en même temps sociable. Je suis très communicative, je noue rapidement des contacts et en même temps j`ai besoin de la solitude. Seule je ne m`ennuie jamais. Je pense que je suis très courageuse car je pars seule en vacances, même si cela n`est pas toujours agréable. L`idée que dans 2 mois c`est Noël m`angoisse déjà. Je pourrais aller voir ma sœur, avec qui j`ai plutôt bons rapports, mais c`est trop loin. Je prends du plaisir à faire des choses toute seule mais est-ce qu`il s`agit de cela ? Chacun dans son coin ? Je VEUX partager des choses avec quelqu`un. Évidemment, pas avec n`importe qui, comme fait une de mes amis et cela me fait beaucoup de peine car je la vois dépérir.

Je sens que si je continue comme cela va mal se terminer. Je tiens le coup pour l`instant mais ça va pas bien. Je pleure beaucoup, j`ai des problèmes musculaires, je suis deux fois par an en traitement à cause de cela mais en même temps je ne me laisse pas faire, je fais des exercices de yoga – pas de méditation que je trouve dépourvue d`intérêt. Les exercices m`aident beaucoup pour soulager les douleurs de dos. Ici, c`est la province – pas évident si l’on avait vécu dans de grandes capitales. Mais j`essaie, je ne me rends pas mais je vais peut-être dans la mauvaise direction ?

Je ne sais pas si vous pouvez répondre à mes questions, dans la mesure où vous vous occupez de la maltraitance des enfants, je ne sais même pas si de telles réponses existent. Dois-je poursuivre l’analyse ou je n`en ai pas besoin ? Comment faire pour ne plus pleurer ?

Merci
AM: Pouvoir pleurer est un cadeau mais il faut trouver la raison de cette tristesse. Or, il semble que vous êtes en train de fuir ces raisons.

Réponse de Brigitte :

Vous faites partie de ces rares personnes qui ont eu la chance de sentir très tôt la réalité de leurs parents, d’ailleurs, vos sentiments envers eux vous ont toujours guidée vers une vision juste de ce que vous pouviez supporter de ces personnes qui vous ont sauvagement maltraitée. Encore aujourd’hui il est impensable pour vous de leur en parler car ils ne voudraient rien savoir.

Votre corps a tout compris et il fait tout pour vous convaincre que vous avez RAISON de ne pas pardonner ce qui est IMPARDONNABLE, mais vous voulez le faire TAIRE en lui disant que votre sœur a réussi à le faire et que dans le fond vous êtes une méchante fille qui n’arrive pas à aimer ses parents. Vous êtes restée figée dans la culpabilité du petit enfant qui n’arrive pas à sortir ses parents de leur mal être et qui les font être méchants avec vous. Bien sur que vous pleurez et que vous êtes triste, malgré toute l’énergie que vous mettez pour les satisfaire ils vous traitent avec mépris et violence. Quand vous cesserez de LUTTER contre vos sentiments, vous vous libèrerez enfin de cette culpabilité pour être sure de mériter l’amour d’un homme comme vous le souhaitez vivement. Bonne continuation à vous, BO