La violence invisible

La violence invisible
Saturday 17 May 2008

Bonjour Alice,

Comme je suis heureuse de pouvoir vous écrire aujourd’hui et quel chemin parcouru grâce à votre expérience et celle de tous ces gens qui écrivent sur votre site!

En vrac, je suis heureuse d’avoir trouvé enfin pourquoi les livres de Boris Cyrulnik ne me touchent pas en profondeur. Bien sûr, je suis en accord avec son analyse des enfants résilients en cas de traumatisme majeur mais quelque chose ne résonne pas en moi. J’ai trouvé ce quelque chose sur votre site. La grande différence entre ce dont il parle et les enfants maltraités c’est que “les autres”, “le monde extérieur à la famille”, par son silence permet la souffrance et donc empêche la résilience (si j’ai bien compris le sens de ce terme).

Par contre je trouve que l’on parle beaucoup de violence physique, d’inceste mais peu de violence morale et d’indifférence dans vos livres et sur le site. Or, ces deux là, peuvent générer bien des dégâts. En fait, je regrette qu’ils ne soient pas plus souvent montrés du doigt car c’est seulement il y a quelque jours que l’on m’a enfin dit que l’indifférence est une violence extrême faite à l’autre. C’est ce que je ressens au fond de moi depuis longtemps mais je suis toujours restée seule avec ce ressentit.

J’ai grandit dans une famille à trois étages: arrière-grands-mères, grands parents, parents et fratrie (sur le tard). Nous vivions tous dans la même maison. Les relations entre nous étaient plus que complexes. Je me suis retrouvée à jouer le rôle de maman de mes parents -bouclier humain entre les générations-. Garde malade de mon oncle, maman de mon frère (j’avais 10 ans quand il est né), j’ai subis les attouchements de mon grand-oncle. Et tout cela dans le désintérêt le plus total. Avec mon lot de culpabilisation du style “arrête de faire la sainte nitouche ton pauvre oncle!” etc… Des violences verbales de ma grand-mère extrêmement dures, des coups de mon grand-père quand je désobéissais. Et dans tous ça, l’indifférence de mes parents que je protégeais malgré tout bec et oncle contre mes grands-parents qui les rabaissaient, les dénigraient, les frappaient même (c’est arrivé peu de fois mais ça m’a profondément marquée). Et mes parents m’engueulaient quand j’avais réussi à déstabiliser l’un des patriarches. Je subissais la nudité de ma mère, les caresses de mon père sur ma mère en public.

Je me suis mariée sans amour mais je voulais construire une histoire sans conflits! NOUS avons eu deux enfants et J’AI divorcé il y a deux ans. C’est seulement il y a quelques jours que j’ai réalisé avec ma psy. combien le divorce et le mariage que je pensais réussis ce sont mal passés.

Dans la société, l’indifférence à l’autre est souvent prise pour de la Zénitude, voire de l’ouverture d’esprit. L’extérieur a mis les tords de mon côté car il n’y avait rien à reprocher à mon Ex. Pas de disputes, pas de coups, pas d’insultes -le calme plat-. Mais une grande indifférence dont j’ai pris la mesure avec le divorce. Sauf pour les questions financières, il était d’accord sur tous les possibles: rester ensemble et faire semblant (alors que nous n’avions plus de rapports sexuels depuis 2 ans), rester ensemble et que j’ai un amant, le divorce… Je n’avais personne en face de moi, une ombre auprès de laquelle j’ai vécu 10 ans. Quelqu’un qui ne vit que pour l’image qu’il donne aux autres et les autres entrent dans son jeu et lui donne raison.

Pour moi, c’est extrêmement violent, c’est une négation de mon statut d’être humain et qui plus est d’être humain en souffrance. C’est pourquoi je tiens à témoigner. Il n’y a pas que la violence physique qui soit terrible (je l’ai vécu, elle terrifie -elle me terrifie encore la nuit-) mais le déni de l’autre est pour moi encore pire car le persécuteur passe pour quelqu’un de merveilleux, d’une Zénitude extrême. Il est prit en exemple pour son comportement et ça, c’est terrible à vivre au quotidien. C’est une sorte de monde à l’envers dans lequel j’ai l’impression de marcher à contre-sens. A l’intérieur de moi je sais que ce sens là est juste et que les autres se trompent car ils ne voient qu’une image. Heureusement, aujourd’hui j’ai deux amis fidèles qui sont plein de bon sens et qui m’apportent, en plus de ma psy, la confiance que demain sera différent d’hier.

D’ailleurs, en parlant de psy., je voudrais mettre les gens en garde contre des thérapeutes peu regardant qui essaient de profiter de la détresse de leur patient pour les mettre dans leurs draps. J’ai vécu ça et c’est extrêmement perturbant. On est fragile, on fait confiance et ensuite des signaux commencent à s’allumer de tous les côtés mais on ne peut en parler à personne, pas de preuve et c’est Vous qui êtes en thérapie non le thérapeute. Alors pendant longtemps j’ai douté de moi, de mes signaux de détresse de plus en plus forts, tout un temps j’ai cru que je devenais schizophrène mais pour une fois dans ma vie je me suis écoutée et je suis partie. Et encore aujourd’hui je reste persuadée que j’ai bien fait. Il faut être très vigilant dans le choix du thérapeute il peut faire autant de bien que de mal…
Chaleureusement.
Réponse de Brigitte:

Votre témoignage est plein de bon sens sur tous les points et vous avez grandement raison sur la souffrance qu’occasionne la violence invisible. Se retrouver face à l’absence d’une personne présente, c’est terrible parce que derrière ce mur de “pseudo gentillesse”, se cache l’indifférence et souvent même beaucoup de violence. Je parle de mur parce que se sont des personnes intouchables et inaccessibles, rien ne les perturbe, elle sont toujours d’accord avec tout et tout le monde, bref la personne parfaite à l’image de ce qu’ont fabriqué les parents, obéissant et qui ne se plaint jamais. Cela dit, ce n’est sans doute pas pour rien que vous avez choisi “une ombre” pour passer 10 années de votre vie avec le désir de construire une histoire sans conflit. La question à vous poser est : “qu’est ce que je crains si mes idées et ma façon d’être vraiment, provoquent un conflit? Vous trouverez sans doute comment vos parents agissaient avec vous quand vous n’étiez pas comme ils voulaient. BO