Dépression récurrente

Dépression récurrente
Tuesday 22 May 2007

Bonjour,

Je vous ai écris en décembre, et vous avez intitulé ma lettre “sortir de la prison de son enfance”. Je déplore de n’avoir pas connu vos ouvrages auparavant. Pourquoi ne m’en a t’on jamais parlé ? J’avais simplement lu il y a quelques années “Parents toxiques” de Susan Forward, à cause du comportement du père de mon fils, dont j’étais séparée, et qui me harcelait en utilisant mon fils. Cela m’a permis de mieux en parler avec mon fils, mais aussi de reconnaître que moi aussi, j’avais été élevée par une mère toxique et destructrice, mon
père étant absent/parti, et que cela était la cause de ma souffrance.
Depuis, j’ai commencé à m’écouter, car des souvenirs obsessionnels de mon enfance me tracassaient depuis toujours, images et mots. J’essayais alors de penser à autre chose, en vain.
Après avoir lu plusieurs de vos ouvrages récemment, depuis quelques mois, je prends conscience des diverses facettes de la violence reçue : mots cruels, manipulation, humiliations, tentatives de destruction, bouc émissaire, béquille… et j’en passe. Ma mère était médecin, vraiment toujours au bord de la dépression ou dans un état que je ne comprenais pas (elle à fait une TS récemment et est tombé ensuite dans un état de délire très important) : à 12 ans, elle m’a repris chez mes grands parents, chez qui je vivais avec mon cousin depuis toujours. Personne ne m’a consulté. Mes grands parents n’ont pas manifesté le moindre regret, ni mon cousin, qui pour moi était comme un frère. J’ai cru que je n’étais rien pour eux, et j’ai refoulé mon chagrin. Soi disant, ils n’ont rien dit pour ne pas que j’aie encore plus de chagrin. Mais ils m’ont laissé avec elle : sa propre mère devait savoir qu’elle était perturbée… mais peut être que cela arrangeait mes grands parents… Ainsi, ils étaient tranquilles, moi j’étais là ! et puis ils avaient peur d’elle, je crois !
Très mûre pour mon âge, j’ai soutenu ma mère en permanence : chaque jour, elle me révélait les cas de patients les plus lourds qu’elle avait eu à traiter, leurs maladies, leur vie difficile… J’avais l’impression de devenir le réceptacle des malades de toute la ville. Je marchais voûtée, comme sous un poids trop lourd, à 12 ans déjà. Elle, elle n’avait pas les épaules pour ce métier !
En dehors de cela, nous ne voyions presque personne et vivions en vase clos… ou presque. Habitant en dehors du centre ville j’étais isolée de mes camarades d’école, loin de chez ma grand mère. Si je manifestais le désir de la voir, ma mère me disait : “On ne va pas encore aller chez eux, c’est morne, j’ai pas envie !” d’un ton sec et cassant, qui n’admettait pas de réplique. Je me taisais : pour moi, c’était bien plus joyeux là bas que chez nous, où il n’y avait aucune joie. La seule musique autorisée : musique classique d’une tristesse
à mourir (qui aujourd’hui me file le cafard).
À côté de cela, ma mère ne me laissant aucune intimité (dans la salle de bains) et me dévoilant la sienne sans aucune pudeur… Même dans les actes les plus intimes (toilette, il fallait même que j’assiste à la pose de ses tampons, elle ne voulait pas s’en cacher et s’en vantait devant sa sœur, de ne rien cacher à sa fille). Me demandant de lui imposer les mains parce que je la soulageais de ses migraines. Une fois elle avait mal au bas ventre et m’a demandé d’y poser mes mains et une fois fait, elle les a descendu plus bas… j’étais
écœurée… Je ne savais que penser… Elle m’utilisait, et de façon malsaine. De plus elle me parlait toujours de sexualité d’une façon malsaine et voyeuse (au-delà de mon âge, par exemple une amie à elle s’était faite violer, elle me l’a raconté à 13 ans, avec les détails…).
Quand j’ai eu dix-huit ans, j’ai eu des sentiments pour quelqu’un : elle s’en est rendu compte et elle m’a prise contre elle et m’a caressé les bras en me disant qu’il allait me caresser comme ça… etc. ça n’a jamais été au-delà de ça mais c’était déjà horriblement malsain.
Quand j’ai eu mon fils, elle a agi comme s’il était à elle. J’ai piqué un jour une très violente colère contre elle et ai arraché mon fils de ses bras, et elle a usé de son autorité de médecin pour m’emmener à l’hôpital psychiatrique, et je suppose, tenter de me faire enfermer. Elle avait rencontré quelqu’un qui voulait un enfant : il y avait le mien, c’était pratique ! Heureuement, le psychiatre qui m’a reçu a vu clair ! Je n’avais que 19 ans…
De tout cela je n’ai vraiment pris conscience que très récemment, de ce comportement destructeur et trouble. Je vais beaucoup mieux, et j’avais vu une psychologue après la tentative de suicide de ma mère il y a deux ans, pendant quelques mois. Celle-ci m’a aidé (même si elle minimisait certaines choses et tout n’était pas revenu à ma conscience). Mais j’ai déménagé et je ne vois plus cette psy. Je prends conscience de tout ce qui m’est arrivé, mais j’ai du mal à me débarrasser d’un sentiment dépressif récurrent, j’ai l’impression de n’être rien, d’avoir une estime de moi vraiment très basse, et même si j’ai beaucoup avancé dans ma vie depuis quelques mois, je ne comprends pas pourquoi cette dépression revient (car j’ai l’impression d’avoir pris conscience de ce que j’ai subi…). J’ai une grande tristesse depuis toujours et je m’isole parfois (même si j’essaie de lutter contre moi même pour ne pas le faire) ; en bref, je souffre beaucoup. Je n’arrive pas à rencontrer quelqu’un, sauf des hommes qui profitent de moi. D’ailleurs j’ai renoncé. J’ai aussi une grande fatigue, j’ai l’impression de rester engluée (par je ne sais quel côté) dans un cauchemar.

De surcroît, ma grand-mère adorée ne comprend pas pourquoi j’ai coupé les ponts avec ma mère, elle minimise, me dit qu’il faut supporter ses défauts (ses défauts !). Cela me met dans une rage folle et une douleur de ne pas être comprise, de me heurter à un mur de mauvaise foi, et de voir ce que j’ai subi nié, et nié avec force conviction.
Je ne comprends pas ce que signifie cette profonde tristesse qui s’empare parfois de moi, de dépression (encore aggravé par le moindre signe de rejet, qui peut me laisser plusieurs heures prostrée, immobile, si c’est quelqu’un que j’apprécie). Et cette fatigue ?
Sinon, votre site et vos écrits, ainsi que les témoignages m’aident beaucoup. Mais ensuite, je retombe parfois. Que faire ?Merci d’avance de votre écoute… Je n’ai jamais dit tout cela… Cela fait du bien de constater l’intérêt, la compréhension, l’humanité et la compassion dont vous faite preuve à l’égard de tous… Vous
pouvez republier cette lettre.

S.A.

Réponse de Brigitte:

Vous avez pris en charge la dépression de votre mère avant même votre naissance pour vous retrouver ensuite confiée à vos grands parents qui visiblement n’avaient pas plus de compétence qu’elle. Cette réalité est sans aucun doute très douloureuse, les seules personnes qui vous ont récupérée alors que votre propre mère ne voulait pas de vous, vous ont aussi profondément blessée. Toutes vos illusions d’enfant isolé jadis et totalement dépendant d’eux, s’écroulent pas à pas sous vos pieds, leur absence de lien après vous avoir gardée douze ans et leur manque de compréhension aujourd’hui face à votre souffrance sont le reflet de la tromperie que vous avez vécue auprès d’eux. Vous avez eu le courage de regarder la réalité de votre mère en face, en regardant celle de ceux qui vous ont donné les soins jusqu’à vos douze ans, votre dépression fera place à un grand sentiment de liberté. BO