Merci!

Merci!
Wednesday 18 July 2007

Madame,

Je viens de découvrir votre site. Je n’ai pas encore lu vos ouvrages mais je le ferai sans nul doute.
En vous lisant c’est comme si j’avais enfin repris mon souffle après avoir cherché l’air pendant de si longues années.
Aujourd’hui j’ai 31 ans, je suis médecin, je vis avec un homme que j’aime, j’ai 2 enfants que j’essaie d’élever dans l’amour et le respect. Le tableau semble parfait…

Mon frère et moi avons vécu notre enfance dans la terreur de notre père. Jamais de violences physiques mais des années entières de destruction orchestrée avec soin et minutie. Il ne nous a jamais parlé que pour nous dire à quel point nous étions nuls, sans intérêt, sans volonté et j’en passe.
Des années de conditionnement: moi j’étais laide, il passait ses week-end à me faire feuilleter l’album de famille en pointant du doigt chaque photo et en me disant :”Tu vois, là tu étais moins laide que maintenant”
Mon frère était “faible”, il avait le tord de pleurer et il a plus tard développé des TOC avec lesquels il est toujours aux prises actuellement. Mon père s’est acharné sur lui le traitant de moins que rien, d’anormal, lui disant qu’il avait honte d’avoir un fils pareil.
Nous sommes devenus par force des élèves brillants, modèles mais souffre douleurs de leurs petits camarades. Ce n’était bien sur jamais suffisant.
Il fallait aussi être les meilleurs au foot, à la danse, au piano mais pas un seul jour de notre vie nous n’avons eu un regard bienveillant de sa part, ou un geste affectueux.
En revanche quand il ne nous harcelait pas, sa spécialité c’était de rester sans nous adresser la parole pendant des jours, des semaines voire des mois. Pas un mot, pas un regard, il ne répondait pas quand nous lui parlions, tournait le dos, quittait la pièce. Puis un jour il revenait avec un stylo ou un nounours et là tout s’écroulait.
Comprenez, pendant des semaines je me disais qu’il ne m’aimait pas, que je ne devais rien espérer et puis un jour paf, un petit geste qui remmettait tout en cause. Alors déferlait la culpabilité de lui en avoir voulu, le sentiment de ne pas être à la hauteur, la terreur en attendant la prochaine “crise”.

J’ai cessé de parler à mon père le soir de mes 13 ans. Je n’en pouvais plus, je suis allée le voir, il lisait son journal, n’avait pas ouvert la bouche de toute la soirée. Je lui ai dit “Papa, je t’aime”. Ce n’était pas une affirmation mais une tentative désespérée de gamine. Il ne m’a pas régardée ni répondu.
Ce soir là j’ai décidé pour ma survie de ne plus rien attendre de lui, mais malgré le sentiment profond qui me poussait à ne plus participer à ce jeu pervers, la culpabilité a été énorme et a duré longtemps. J’ai été suicidaire toute mon adolescence mais une espèce de pulsion me disait que je valais mieux que ça. Et puis j’ai eu la chance de rencontrer une famille aimante lors d’un séjour linguistique, nous sommes restés en contact. Ils m’ont probablement sauvée la vie.
J’ai essayé de porter du mieux que je pouvais mon jeune frère. J’avais tellement mal quand le voyais s’acharner sur lui que j’aurais voulu le tuer.
J’y ai d’ailleurs pensé. J’avais même fait des plans, mais j’y ai renoncé sachant pertinament que ma mère n’aurait pas le courage de me suivre. Et puis là encore, je refusais qu’il devienne le père martyr d’une enfant criminelle et déséquilibrée.

Vous me direz que j’avais, et j’ai toujours d’ailleurs, une mère.
Ma mère a regardé son mari bousiller consciencieusement la vie de ses 2 enfants. Elle ne s’est jamais interposée, n’a jamais marqué son désaccord.
Elle avait cessé de travaillé pour nous élever et s’est toujours réfugiée derrière un argument financier pour nous expliquer qu’elle ne pouvait pas le quitter.
Je l’ai suppliée de divorcer, je lui disais qu’on pourrait s’en sortir, qu’on l’aiderait, qu’on ne lui demanderait jamais de nous acheter quoi que ce soit, au début elle me disait qu’elle avait besoin de temps pour mettre de l’argent de coté. Puis, elle ne se cachait même plus d’attendre sa mort pour avoir son argent en échange de ce qu’il nous avait fait subir… A ce jour, elle en est encore au même point.

J’ai quitté la maison à 18 ans, j’ai réussi mon concours de première année de médecine (mon père m’avait dit toute petite que je serais clocharde car j’étais incapable d’y arriver, comme je suis têtue, je lui dois peut-être cette réussite…)
Ces premières années universitaires ont été synonyme de galère financière mais aussi de gros bouleversements.
Quand j’ai quitté le domicile familial, il y a eu un moment de bien être et puis rapidemet un gouffre s’est ouvert devant moi. J’ai réalisé que j’en voulais au moins autant à ma mère qu’à mon père.
Jusqu’alors, je la considérais comme nous, comme une victime. Je me suis mise à faire de façon récurrente le même cauchemard: mon père essayait de me jeter par la fenêtre du 4° étage, je me cramponnais au rebord, il marchait sur mes doigts pour me faire lâcher prise. Ma mère était à côté, elle regardait. Je lui criais de m’aider et elle restait sans rien faire.
Quand la colère que je ressentais à son égard a commencé à gronder, je n’ai pas su la laisser exploser. J’ai sombré dans l’anorexie et la boulimie. J’ai perdu 10 kg et ma mère me disait “Comme tu es mince, je me demandes comment tu fait”…
J’ai contracté la mononucléose infectieuse alors que j’étais physiquement très affaiblie, anémiée et c’est là que j’ai eu le déclic. Je me suis dit que j’avais survécu à mon père, je ne voulais pas mourir à cause de ma mère.
J’ai cessé d’attendre quoi que ce soit de sa part à elle ausi. Ca a été plus difficile.

Je me croyais sauvée mais j’avais tort. La grossesse de ma première fille a remué des sentiments que je croyais éteints.
Je me suis mise à douter, je me disais que j’allais priver ma fille de son grand-père, qu’après tout peut être que j’avais été trop radicale. J’avais du mal à retrouver des exemples concrets des mauvais traitements que j’avais subis. Quand à ma mère, n’ayant pas rompu les relations avec elle, c’était aussi très culpabilisant car je n’éprouvais aucune complicité.
Quelques semaines après la naissance de ma fille ainée, je changeais sa couche et je me suis dit c’est rigolo une mini pépette, c’est mignon. Là, une angoisse m’a saisie sans que j’arrive à en identifier la cause. C’est le moment où était jugée l’affaire d’Outreau et un soir je me suis mise à pleurer devant les informations. Là des images d’enfance sont revenues: mon père prenant le bain nu avec mon frère et moi (4-5 ans), ma mère se faisant des irrigations vaginales dans son bain en ma présence, mon père me demandant de mettre un autre maillot car le mien était trop transparent (8 ans), ma mère me racontant ce qu’elle faisait ou pas au lit avec mon père (13-14 ans)… Et je me suis mise à douter de ma mémoire. C’est un moment terrible de se dire qu’on n’a à ce point pas confiance en ses propres parents.
Il y a 6 mois, ma fille ainée a souffert de constipation et d’une fissure anale suite à un traitement médical. J’ai été incapable de gérer cet épisode sereinement. J’avais une angoisse terrible qu’elle ne devienne encoprésique, le chemin a été long pour moi avant de me rendre compte que mon attitude n’était pas rationnelle et ne respectait pas mon enfant . Nous en sommes heureusement sortis.

A ce jour, je ne pense pas avoir été victime d’agressions sexuelles plus graves que ce que je viens d’évoquer mais maintenant elles m’apparaissent comme malsaines ce que je n’identifiais pas auparavant. Je l’espère en tout cas… mais je compte fermement demander à ma mère si elle a eu connaissance et conscience de tels actes.

Je me suis remise à culpabiliser envers mon père lors de ma seconde grossesse, je me suis dit que je voyais toujours ma mère alors en quoi avait il été pire?
Mon bébé a 4 mois aujourd’hui et j’ai découvert votre site hier.
Je l’ai lu en totalité et grace à vous j’ai compris une chose. Je n’aime pas ma mère, pas plus que mon père.

Ce qui m’a fait pleurer de soulagement en vous lisant, c’est votre regard sur le pardon et la haine. Toute ma vie j’ai eu le sentiment profond d’une injustice terrible, je me suis toujours sentie incapable de pardonner. Toutefois j’avais conscience qu’il avait du arriver des chose horribles à mes parents pour qu’ils deviennent de telles personnes: ma mère avait un père violent, elle a subi un viol adolescente, pour mon père je ne sais pas car il ne m’a jamais parlé pas plus que ma famille paternelle.
Je sais aujourd’hui ce que j’ai à faire: m’affranchir de la dernière dépendance qui me relie à ma mère (je lui dois de l’argent), lui dire ce que je viens de vous livrer. Je sais d’avance quelle sera sa réaction, elle a besoin d’être la victime de quelqu’un alors je deviendrais sans aucun doute la méchante fille pour qui elle s’est sacrifiée et qui la rejette. Je suis prête à cela aujourd’hui car je sais que c’est faux et que je ne peux pas la sauver contre son gré.

Bien que je n’ai jamais entrepris de thérapie, aujourd’hui et grace à vous je mets des mots sur mon ressenti et tout devient limpide: je peux avoir de la compassion pour les enfants qu’on été mes parents, mais pas pardonner aux adultes qu’ils sont devenus.

Je vous remercie, pour moi, pour ma famille, pour tous ceux que votre travail acharné ne peut qu’aider vers la voie de l’apaisement.
Merci de m’avoir lue.

AM: Je suis profondément touchée par votre lettre. Vous avez survécu à un calvaire et vous décrivez les faits avec une grande précision. Il serait quand même possible que le traitement si cruel ait laissé dans votre corps encore des traces de la rage que vous n’avIez pas encore exprimée. Enfant, c’état trop dangereux de le faire, et pour l’adolescente c’était l’illusion d’amour et la compassion pour vos parents qui vous ont empêché de vivre pleinement votre rage tout à fait légitime. C’est la raison de vos maladies. Mais il semble que vous vous rapprochez maintenant de cette rage de la petite fille maltraitée atrocement et vous apprenez à la comprendre et à l’aimer. Je vous félicite de votre lucidité et je pense que votre lettre puisse aider les autres lecteurs ici qui n’osent pas encore ouvrir les yeux et continuent de souffrir parce qu’ils se culpabilisent pour ce que les autres leur ont fait. Vous avez réussi à discerner la perversion et la séduction perfide de votre père, c’est que peu de gens arrivent à faire. Pourtant c’est un travail très utile et même nécessaire. Si votre père l’avait fait, la vie de sa fille n’aurait pas été si douloureuse.