Récupérer son empathie et sa vie

Récupérer son empathie et sa vie
Sunday 27 July 2008

Chère Alice Miller, chère Brigitte,

je me permets de vous écrire, même si j’ai l’impression que grâce à mes lectures, mes écrits nombreux ( j’ai toujours 4 cahiers sous la main : un pour noter mes rêves, un pour correspondre avec la petite fille que j’ai été, un pour correspondre avec mes parents et un pour me confier à un thérapeute imaginaire ), j’ai déjà beaucoup avancé ….. je me sens parfois bloquée .
Il y a un an, suite à une visite chez mes parents, une grande crise de polyarthrite s’est manifestée dans toutes mes articulations . Cette nouvelle crise a initié chez moi beaucoup de changements . J’ai enfin trouvé le courage de cesser le contact avec mes parents ( ça a été très difficile, j’avais très peur , mais le soulagement était immense ) et j’ai aussi fait des démarches pour changer de profession .
Je suis une ancienne enfant battue, humiliée, manipulée, exploitée ….. avec très peu de souvenirs conscients et capable de raconter des atrocités sans la moindre émotion.
Depuis peu, j’ai retrouvé ma colère. Enfin je sens cette colère à l’intérieur de moi , c’est une RAGE monstrueuse, meurtrière . Je me pense capable de tuer quelqu’un …. pour me venger …..
Je préfère mettre des mots sur cette RAGE, trouver les vrais coupables , me défouler par écrit, sortir toute cette colère et la regarder . Elle est devenue une amie fidèle , elle m’aide à sonder les injustices et à me protéger . Elle est là, enfin !
Voilà, j’en suis là . Grâce à tout ce travail parfois très douloureux, mes inflammations ont beaucoup diminuées en quelques mois. Mais pas encore complètement disparues. Je crois que la petite fille hurle encore et je commence à comprendre ……
Je ressens enfin ma colère, c’est vrai, mais dans la vie de tous les jours, je me rends compte que cette prise de conscience me mets parfois dans des états d’angoisses assez impressionnantes . Je suis paralysée , terrifiée par l’idée seulement d’exprimer ma colère. Je sais que ce n’est pas moi, l’adulte, mais bien la toute petite fille qui est ainsi terrifiée et ne veux sous aucun prétexte exprimer la moindre critique. Et si je le fais quand même , cela me demande plusieurs jours de réflexion et d’écoute de mes émotions et de mes besoins pour trouver le courage de rentrer dans un conflit .
Cette petite fille est toujours terrifiée par l’idée d’exprimer sa colère. Elle a peur de déclencher une crise d’hystérie de la part de sa mère, d’être frappée sans pitié et de mourir sous les coups !
Je comprends tout ça intellectuellement, mais je n’arrive pas à approcher ces peurs . J’ai trop peur d’avoir peur .
En plus, je suis depuis toujours presque insensible à la douleur interne, comme anesthésiée en permanence . Je ne sens presque pas les douleurs, je les sens à peine . C’est plus comme une gêne, une impossibilité de bouger librement .
Des années de thérapie et de lecture m’ont aidées à retrouver ma colère, mais finalement je préfère cheminer toute seule face à l’insistante demande de  » comprendre  » mes pauvres parents .
Peut-être pourriez- vous me donner un conseil pour m’aider à approcher et soutenir cette petite fille angoissée .
Chère Alice Miller, j’ai lu et relu tous vos livres et ils me sont d’un soutien précieux. J’y puise courage et force dans des moments de doute . Vous avez sauvé ma vie ! Sans vous je serais aujourd’hui une malade incurable, avalant des cachets à vie , sans le moindre espoir !
Mille merci pour tout votre travail et votre courage .

Réponse de Brigitte:

Vous n’êtes plus du tout anesthésiée mais vous sortez d’un long sommeil émotionnel dont vous êtes en train de vous éveiller pas à pas et où il faudra sans doute vous donner le temps et la patience nécessaires pour émerger totalement.
Quand on a vécu dans la terreur comme vous, sans aucune protection et à la merci de tous les dangers on anéantit son monde émotionnel mais on perd aussi son empathie pour ne faire place qu’à la peur dans laquelle le plus souvent on reste figé au lieu de lutter contre l’agresseur.
C’est dans cet apprentissage qui a duré toutes les années de votre enfance qu’a pris racine la difficulté d’agir différemment aujourd’hui et il est compréhensible que vous perdiez la parole au moment où vous devriez vous confronter, vous positionner ou peut être même donner votre point de vue puisque jadis il en dépendait de votre vie.
Pour récupérer votre empathie, vos sensations que vous dites avoir perdues, votre capacité à lutter pour vous défendre, votre parole, vous pouvez retourner chez vos parents pour leur exprimer en face et VIVRE enfin toute votre rage de vous avoir traitée comme une bête. Aujourd’hui vous ne risquez plus RIEN de dire la VERITE et de vous défendre, vous gagnerez de sortir de votre petite mort pour faire couler la VIE dans vos veines et cela vaut bien mieux que beaucoup de thérapies vous avez raison. BO