Lettre à sa mère
Wednesday 09 May 2007
Je viens de terminer la lecture de plusieurs de vos livres
C’est pour ton bien, Le corps ne ment jamais, La souffrance muette de l’enfant
et je vous remercie du bien que cela m’a fait dans la recherche de ma vérité.
Je viens d’écrire une lettre à ma mère qui est âgée de 97 ans où je tente de lui dire ma souffrance d’enfant ce qu’elle n’a jamais pu entendre. Elle reste bloquée sur ses principes éducatifs et ne peut se remettre en question.
Je vous livre les deux pages que je viens de lui adresser.
Merci encore pour votre travail, merci beaucoup pour cette lutte que vous menez pour que jamais plus la violence ne soit au coeur de la relation parentale.
Avec mon profond respect.
J-P H
Cette lettre est une dernière tentative d’un garçon âgé de 62 ans, d’entrer en communication avec sa mère qui approche de 97 ans et qui peut peut-être encore l‘entendre.
Chaque fois que j’essaie de te parler de moi, je suis obligé à cause de ta surdité de parler fort et cela passe pour de la colère contre toi. Alors voilà pourquoi j’ai écrit une bonne fois pour toutes ce que j’ai pensé important de te dire.
J’ai encore l’occasion de te parler, d’essayer de retrouver une communication vraie avec toi. Dans quelques temps ce ne sera plus possible. Peut-être seras-tu capable de m’entendre sans porter de jugement sans que tu ramènes tout à toi, sans que tu te culpabilises. Je ne te juge pas, je voudrais simplement que tu entendes ce que j’ai à te dire et que tu n’as jamais entendu. Je sais que n’as fait que répéter un comportement que tu as vécu, que tu as fait de ton mieux avec ta conscience, tes convictions et l’histoire qui est la tienne. Je sais tout cela.
Tu as toujours été convaincue qu’un enfant cela se dressait et que la meilleure façon de le dresser , c’était de le châtier « Qui aime bien, châtie bien » . Pas n’importe comment. Il fallait comme le disait le « bon » Docteur Schneider, ne pas frapper sur la tête, cela pouvait engendrer des traumatismes mais plutôt viser les jambes. J’ai compris pourquoi je ai eu longtemps des pantalons courts .
Je souhaite te décrire ici ta manière de me donner la fessée. Tu utilisais pour cela le martinet, un objet qui ressemble à un fouet avec plusieurs lanières de cuir. Cela faisait très mal et mes bras ne suffisaient pas à couvrir mes jambes. Après la fessée qui me laissait de belles traces sur les cuisses, je sanglotais et tu m’obligeais à te demander pardon pour le mal que j’avais fait. Ce n’est qu’après avoir dit : « pardon maman, je ne recommencerai plus » que tu abandonnais la partie. Là, je restais prostré, recroquevillé sur mes pauvres jambes dans un sentiment de solitude terrible. Qu’avais-je donc fait pour mériter un pareil châtiment, quel mauvais garçon étais-je pour être battu et humilié à ce point ? A ce moment, j’aurais donné ma vie pour entendre de ma maman « je te pardonne » et sentir un peu de tendresse. Rien n’est jamais venu et plusieurs fois j’ai souhaité mourir.
Ceci est mon vécu d’enfant que je souhaitais te rappeler.
Actuellement, j’ai soixante deux ans et je me rends compte que jamais je n’ai pu te dire « maman ». Jamais je n’ai pu avoir un geste de tendresse pour toi, ni une communication vraie, authentique avec toi. Pourquoi ?
Parce que cette souffrance d’enfant tu ne l’as jamais entendue, elle est toujours inscrite dans mon corps et dans mon âme et elle reste un obstacle entre toi et moi. J’aurais tellement eu envie de me sentir aimé et dorloté par ma maman.
Une anecdote t’en dira long sur mon besoin de tendresse : j’étais dans les petites classes du lycée et je me souviens qu’à chaque rentrée, en septembre, tu venais installer mes affaires au dortoir de l’internat dans ma petite armoire et naturellement, tu faisais mon lit. Le soir quand nous étions au dortoir et qu’il fallait dormir je me glissais délicatement dans les draps de mon lit et c’était comme si je m’endormais dans les bras de ma maman. Le matin je me levais en dérangeant le moins possible ma literie de manière à retrouver le soir venu cette même présence.
J’écris tout cela les larmes dans les yeux. Hier encore j’ai tenté de te dire cette souffrance qui est la mienne et tu m’as regardé avec un regard mort et fermé. Tu t’es levée et tu es partie vers ton fauteuil en me disant « pauvre type ». Oui, quelque part, je suis un pauvre type qui a fait sa vie comme il a pu.
J’ai sans doute été un très mauvais père et mes enfants sont très indulgents pour moi. J’ai essayé de limiter ma violence en direction de mes enfants car je sentais intérieurement que cela ne réglait rien. En tout cas je n’étais pas fier chaque fois que poussé à bout, j’en arrivais à cette solution.
Je me débats actuellement pour retrouver mon enfant intérieur, celui qui jouait insouciant au bord de la rivière avant d ‘aller à l’école primaire, celui qui partait avec ses pinceaux dans les prés et qui rêvait d’être un artiste. Tous les enfants ne sont-ils pas des artistes? Je voudrais retrouver un peu de créativité, de joie de créer, je crois avoir un peu de talent avec l’aquarelle, mais mon enfant intérieur est comme mort, il ne chante plus.
Juste encore une chose pour te dire que maintenant je cache honteusement mes jambes sous des pantalons longs. Même le soleil ne voit plus mes jambes. Mes jambes sont couvertes de varices et elles ont chacune une belle cicatrice, j‘ai depuis longtemps une douleur dans le genou gauche, venu d‘un coup que j‘ai pris quand j‘avais 15 ans et un eczéma s’est installé dans l’aine depuis un an . J’essaye de temps en temps de faire de longues marches, histoire de sentir un peu mes jambes et de me réconcilier avec elle et j’aime tellement la nature. J’envisage même d’aller à Saint-Jacques de Compostelle, un trajet de 2000 kilomètres, le mauvais garçon que je suis à tellement de choses à se faire pardonner ou peut-être à se prouver qu‘il n‘est pas si nul que ça…
Je voulais te dire ma vérité d’enfant qui a très mal supporté les fessées qu’il a reçues de toi et les dégâts que cela a engendré pour moi. Te dire également que dans tout rapport humain, la violence ne résout rien et occasionne des blessures qu‘on met une vie à réparer quand on les répare. Peux-tu entendre tout cela sans te sentir coupable !!! Regarder en face la réalité, la tienne, la mienne. J’ai voulu dans cette lettre te parler de moi qui aurais tellement aimé te dire « maman », moi que tu connais tellement peu, pour que tu saches un peu qui je suis avant que tu t’en ailles ou que je m’en ailles…
AM: J’ai été très touchée par votre lettre. Même si votre mère va réagir comme elle l’a toujours fait, il est bien que vous ayez écrit cette lettre. Le garçon que vous étiez va la comprendre et peut-être vous remercier pour être devenu son témoin lucide, vous SAVEZ MAINTENANT au moins, combien il a du souffrir d’être humilié, maltraité, rejeté. Il va pleurer peut-être et cela lui fera du bien. Il y a autant de larmes dans son corps qui n’ont pas osé pleurer pendant 62 ans! Il est temps de les libérer, de voir ENFIN la cruauté de votre mère et ressentir votre rage supprimée si tôt dans votre enfance. Pour que les jambes puissent guérir.