Peur de poser des questions au thérapeute
Tuesday 21 March 2006
Bonjour Alice Miller
J’apprécie beaucoup ces courriers auxquels vous répondez vous-même. J’avais tenté de m’intégrer au forum français, animé par Patricia, mais je ne la sentais pas en claire harmonie avec vous, le forum paraissait réservé à des petits groupes fermés et même si certaines déclarations me touchaient, j’y éprouvais un malaise indéfinissable. Tandis que les courriers m’apportent énormément, répondent à bien des questions que je me pose, me rassurent, me sortent – momentanément certes – de mon isolement. Car, comme le crient la plupart de ceux dont vous publiez les messages, c’est le sentiment d’isolement, de solitude (qui est d’ailleurs celui de tout enfant) qui est le plus dur à vivre quand on veut prendre au sérieux son ressenti et qu’en même temps on reste vulnérable à la culpabilisation. Et grâce à ces courriers auxquels vous répondez avec votre si émouvante sincérité, grâce aussi aux réponses de Brigitte dont je perçois nettement l’accord avec vous, j’arriverai peut-être à oser être moi-même sans crainte du rejet des autres… Pour le moment je n’ai confiance qu’en vous. Tout autre thérapeute me fait peur. J’ai déjà été culpabilisée par trois d’entre eux et il m’a fallu à chaque fois vous relire, repenser à vos paroles pour me croire moi-même. Il m’en est resté malgré tout de la honte. Et je n’ose toujours pas aller en voir un ni lui poser les questions fatidiques, rien que par peur de sa réaction. Ce qui m’effraie aussi est de m’être sentie plus solide psychiquement que ces thérapeutes : comment demander de l’aide, du soutien, à quelqu’un qui en réalité a besoin du nôtre ? Et finalement je me rends compte souvent que malgré de nombreux moments d’intense souffrance – liée à un insupportable sentiment de culpabilité – je tiens bon, ai ! mes points de repères intérieurs, ma lucidité qui me permet de voir les abus de pouvoir et de ne pas avoir à choisir entre l’aveuglement et la folie. C’est la lecture de tous vos livres (depuis 1985 alors que j’avais 26 ans et que j’étais en quête de ce type de témoignage depuis très longtemps) qui m’a permis d’apporter un soutien à la petite fille en moi (que j’abandonne encore à chaque fois que je me culpabilise, et le plus terrible est que je me culpabilise de me culpabiliser), puis mon immersion parmi de nombreux enfants laissés à eux-mêmes, dans une cité d’Evry, quand ma fille y jouait de deux à cinq ans, en ma compagnie : j’ai alors vu à quel point les adultes sont cruels et indifférents au sort, aux besoins des enfants et aussi à quel point ces derniers réclament l’attention, le regard, l’écoute d’adultes ! Mais en même temps je n’étais pas toujours assez sûre de moi en tant que témoin éclairé et me suis trouvée souvent traitée avec aussi peu d’égards qu’eux par leurs parents, même par leurs aînés (mineurs) les plus endurcis, et sans doute était-ce une répétition de ma propre enfance victime, où j’entraînais ma petite fille… Cela dépendait des moments. C’était face à des personnes qui m’impressionnaient énormément, devant lesquelles je perdais toute assurance, exactement comme avec les psys et les médecins en général (en tant que patiente). Quand on a eu des parents qui ressemblaient beaucoup aux psys (menaces implicites, derrière une apparence généreuse, bienveillante et fragilité derrière une apparence d’équilibre), qui nous ont très habilement intimidés, comment faire pour oser trouver le psy qui n’aura pas la même attitude ? Je souffre aussi de mon isolement dans le milieu du travail : car je dis ce qui n’est pas acceptable, refuse les abus, démissionne quand je n’en peux plus tant je suis sensible et facilement culpabilisée, et les psys ne veulent pas davantage prendre parti contre nos parents que contre les individus que nous, patients, leur décrivons comme abusant de notre fragilité. Mais je ne désespère pas. Peut-être existe-t-il des façons de se libérer auxquelles encore personne n’a songé. Pour l’instant j’ai espoir que l’évocation de certaines maltraitances dans ces courriers me permettent de me souvenir d’événements de ma petite enfance seulement soupçonnés. Même si je vois que la communication par Internet ne vaut pas le contact humain direct – et ne diminue que superficiellement l’isolement – je suis contente de lire ces courriers qui prouvent qu’il y a des gens comme moi quelque part. Peut-être nous serait-il bénéfique de pouvoir communiquer entre nous. Est-ce dangereux ? Certes je vois un risque que chacun attende de l’autre une prise en charge, puisque nous ne sommes pas complètement libérés de nos passés. Qu’en pensez-vous ? J’espère que ces mots vous apportent, apportent aux lecteurs et ne sont pas uniquement une façon pour moi de vous substituer à mes parents défaillants, Alice Miller. A.L.
AM: Merci pour votre lettre et vos reflexions. Je comprends bien votre besoin d’échanger avec les personnes qui écrivent ici mais cela transformerait le characteur de ce que nous avons crée ici et que nous voulons maintenir. Il s’agisserait plutôt d’une sorte de forum. Mais rien ne vous empêche de créer un forum sous votre modération. Je pense que chaque modérateur fait son travail à sa facon et ces qui n’en sont pas satisfaits sont libre de s’organiser autour d’un autre modérateur. Qu’en pensez-vous?
Réponse de Brigitte.
Il paraît évident dans votre témoignage que vous ne vous laissez pas leurrer par les thérapeutes que vous rencontrez et c’est déjà une preuve de votre lucidité, cette capacité vous permettra sans aucun doute de choisir et de sentir si cette personne a peur de sa propre enfance et protège encore ses parents. Vous savez déjà repérer les comportements manipulatoires et culpabilisants tels que vous les ont présentés vos parents, de cette façon vous ne confierez pas votre histoire à une personne qui n’en ferait rien.
Peut être que certains textes vous permettront de vous souvenir de quelques évènements de votre enfance mais les réactions de votre corps et vos rêves pourront sûrement vous raconter beaucoup plus encore. C’est dans ce dialogue avec cette petite fille de jadis que vous évoquez que vous amplifierez sa confiance et qu’elle vous offrira en échange de plus en plus de renseignements concernant votre enfance, par la compassion que vous lui attribuerez, elle se sentira pas à pas sécure pour vous donner toujours plus d’informations.
Au fur et à mesure que vous découvrirez l’histoire de votre enfance, vos émotions apparaîtront de plus en plus, la rage et la colère trouveront aussi leur place, ainsi la culpabilité que vous ressentez contre vous-même disparaîtra certainement.
Bonne continuation vers la liberté.