Le long chemin vers soi

Le long chemin vers soi
Tuesday 10 April 2007

Madame,

je découvre votre livre « c’est pour ton bien » que m’a conseillé de lire ma psychothérapeute.

La première chose est qu’après avoir « picoré » à droite à gauche dans les traumas ordinairement référencés, j’avançais dans mon cheminement personnel mais n’avais jamais trouvé précisément de cas qui se rapportât complètement à mon cas. Je n’étais pas vraiment enfant battue (pas tous les jours, pas au point d’en porter les stigmates) et pourtant… je sentais des effets de ce que j’avais subi qui ressemblaient souvent. Alors ? … Et le doute, le fameux doute, la responsabilité qu’on préfère prendre plutôt que d’imaginer son (ses) parent(s) responsables de son mal-être.
Ce livre m’est tombé dessus comme un coup de massue !! Constat au départ affreux de faire face soudain à ce que j’avais subi, puis libérateur.
Combien libérateur : ma douleur, mes difficultés à passer outre toute cette violence que je sentais en moi, que je savais prête à jaillir, que je me refusais souvent d’extérioriser telle qu’elle, conditionnée que j’étais à douter de moi d’une part et sentant confusément s’autre part que la source profonde n’en était pas la situation présente, mais autre chose. Autre chose que je sentais sourdre et que je craignais qu’à libérer cette force je me mette à détruire tout sur mon passage. Cette fureur que j’avais vue à l’œuvre en mon père, je ne voulais la laisser me traverser.
Petite fille de déportés je trouve ironique de reconnaître tant dans l’enfance d’Hitler que dans celle d’Eichmann cette interminable terreur dans laquelle je fus plongée, cette tension permanente à tenter de faire ce qu’on attendait de moi, sans que jamais je puisse prévoir avec certitude d’où viendra le coup suivant (psychologique, physique, verbal, perte du regard des mois durant…) Adolescente, j’ai beaucoup aimé le livre de Robert Merle : La Mort est mon métier qui est une biographie romancée de Rudolf Höss. J’avais été fascinée de trouver dans le récit de son éducation à coup de ceinturon les mécanismes qui allaient le conduire à envisager scientifiquement et efficacement comment résoudre l’équation consistant à réduire en cendre rapidement le plus de gens possible.
Je suis tombée sur ce site et votre adresse après avoir commencé à chercher sur Internet ce qu’on disait de l’enfance d’Hitler. J’ai lu partout enfance heureuse (sic !), rapport à la mère idyllique… Et soudain, tient, je tombe sur un lien qui parle de son enfance massacrée… et retombe sur votre livre.
La plupart des adultes ont été enfants et peuvent à ce titre observer la violence qui leur a souvent été faite. La plupart d’entre eux ont des enfants, et perpétuent le mécanisme, et puis, ils croient souvent s’en être sorti. Difficiles à convaincre donc que la paix dans le monde passe peut-être (je le crois) par l’éducation respectueuse de l’enfant.
Et bien que j’accepte enfin mon incapacité actuelle à envisager de me trouver face à face avec mon père comme un chien conditionné pisse encore de peur des mois durant aux heures où son ancien maître le brutalisait, je me heurte à l’incompréhension de ma famille qui juge que je fais souffrir mes parents en refusant de les voir. D’entendre que vous vous heurtez semble-t-il à la même incompréhension de la part d’une société qui protège les « parents » m’aide en ce moment où ma sœur (jeune maman d’une petite Suzanne) oppose un silence obstiné à mes maladroites tentatives d’approches.
Alors merci, vraiment de cette voix adulte, si rare, qui vient murmurer aux enfants maltraités qui pleurent encore en nous leur rage, leur impuissance et leur tristesse infinie, que toutes ces émotions sont normales, qu’il nous faut les entendre pour ce qu’elles sont, afin de s’en libérer, pour vivre enfin et aimer ! Le chemin est long, parsemé de périodes de découragement, mais tellement riche en joie nouvelles, et les moments de vie et de joie pure se multiplient à l’infini comme un encouragement à se libérer toujours davantage de la violence acquise.
Merci
NS

Réponse de Brigitte:

Votre témoignage est éloquent de compréhension, vous avez raison le chemin est long et c’est dans la durée que nous devons prendre soin de cet enfant maltraité que nous avons été. Il ne suffit pas d’exprimer ses émotions une fois pour toute mais c’est tout au long de la vie que nous y sommes confrontés par des situations du quotidien. Plus on reste près de cet enfant, plus on ose l’écouter et plus il nous dévoile la vérité. C’est par ce processus que nous devenons plus courageux pour se défendre et plus près de nos besoins qui nous permettent de prendre vraiment soin de nous même. Votre courage à rester fidèle à cet enfant que vous étiez malgré la désapprobation de la fratrie vous permettra sans aucun doute de rester en bonne santé, bonne continuation à vous. BO