Je te hais je m’en veux

Je te hais je m’en veux
Tuesday 20 October 2009

Chère Alice,

Merci pour votre engagement, pour la compréhension que vous restituez avec une extrême justesse de l’enfant maltraité et merci pour cet espace que vous avez créé et au sein duquel chacun peut venir se blottir.

De mon enfance je n’ai gardé que l’horreur, la peur et la solitude.
J’ai grandi dans un environnement familial hostile, violent, austère, aride, avec une mère omniprésente et qui continue toujours à m’asphyxier.
Mes parents étaient des immigrés et nous avons vécu dans une grande pauvreté. Isolés du reste de la famille paternelle et maternelle qui vivait dans leur pays d’origine. La survie était assurée par une gestion austère et millimétrée des ressources du foyer. Mon père ne travaillait pas, l’argent venait principalement de l’aide sociale et des travaux ménagers que ma mère effectuait « au noir ». Pourtant ils ont eu 5 enfants. Malgré la promiscuité, malgré le manque de perspectives, malgré le manque de ressources et malgré le cruel manque d’amour. D’abord entre mes parents (union d’un mariage « arrangé » grand mère maternelle qui a « donné » sa fille) et ensuite entre chacun des membres de la famille car personne ne nous a appris à nous aimer. Les fêtes familiales consistaient en de sinistres simulacres de cohésion et d’unité. Je n’ai jamais su trouver ma place dans cette famille et très tôt vers 5 ans j’ai compris que mes parents allaient me brimer pour le reste de ma vie. J’ai compris que tout ce qu »ils voulaient c’était me casser, me plier de la même manière que la vie, la tradition et culture dont ils étaient issus les avait écrasés et transformés en machines à violence. Alors il y avait les coups, les humiliations, les menaces, les coups du grand frère, les astreintes ménagères, les cris, le bruit, la promiscuité, l’incertitude de l’avenir et cette mère toujours envahissante.
Les sorties à l’extérieur étaient rigoureusement soumises à l’approbation de ma mère. Tout passait sous son contrôle. Le jour de la douche (une seule fois par semaine, le nombre de serviettes de la semaine, les vêtements « autorisés », les visites chez le médecin, etc.) Mon père lui ne faisait rien sauf nous battre, nous insulter, nous humilier, décider des programmes de la télé (les siens: foot, politique et documentaires de guerre, il adorait hitler…) Très tôt j’ai dû m’occuper des derniers, « écouter » les plaintes quotidiennes de ma mère, ses malheurs, ses frustrations, ses angoisses, rédiger les courriers, effectuer les démarches administratives (mes parents ne maîtrisaient que peu la langue) et en plus je devais suivre l’école qui heureusement était le seul endroit où je pouvais exister et oublier ma misère affective. Je n’avais aucun droit. Seulement des obligations. Le pire c’est qu’ aujourd’hui encore j’ai l’impression que ça ne s’est jamais arrêter. Malgré toute la haine que j’ai pour eux je ne peux que m’en vouloir. Ma colère est toujours vécue sur le mode de la culpabilité. Je leur en veux mais je sais qu’ils ont été malheureux eux mêmes (ma mère particulièrement) et ils me font presque plus de peine que ne je peux en avoir pour moi même.
J’ai été violée par mon père. Ma mère le faisait dormir dans la même chambre que moi avec un frère ou une sœur, attitude inconsciente de sa part? repoussant ainsi sur mon corps le champ d’un désir qu’elle se refusait de satisfaire? Je n’en garde aucun souvenir sonore ou clair pourtant, malgré le fait que le viol a été quasi quotidien. J’ai beaucoup de « flashs », seulement des impressions, des sentiments. Je me souviens du sang, de l’engourdissement du corps, de la douleur, d’un goût métallique dans la gorge, de l’attente de la fin et de l’envie de vomir qui me prenait à son odeur. Je me demande comment je fais pour tenir debout encore aujourd’hui. J’ai le sentiment d’être une épave, un cimetière, un vide ordures. Depuis toutes ces années je n’ai connu aucune trêve, jamais je ne me suis laissée aller, vivre, je ne suis que cette somme de souvenirs d’horreurs qui me hantent au quotidien, qui m’empêchent de vivre et qui continuent toujours à me soumettre à la tyrannie de ma mère.

Je suis une thérapie (psychanalyse) depuis plusieurs années, cela fait 4 ans que j’ai déménagé à plus de 1000 kilomètres d’elle, mon père est décédé depuis plus de 10 ans, pourtant je continue toujours à être mal. Je souffre de troubles sévères de l’alimentation, j’ai des plaques rouges et boutonneuses qui me défigurent depuis mon adolescence, période à laquelle ma mère avait refusé de m’envoyer voir un dermatologue pour des raisons « économiques » (pour lesquelles j’ai suivi multitude de traitements médicamenteux sans succès définitif), je suis dans l’incapacité de me concentrer sur mon travail et sur ma vie, je ne fais que des boulots alimentaires, je me refuse toujours des sorties. Je sais que ces macro kystes dont je souffre sont là pour me rappeler que l’horreur ne s’arrête jamais, ou plutôt qu’ils disparaîtront à partir du moment où je serai. Je sais que les troubles de l’alimentation ont insidieusement pris place dans ma vie depuis 13 ans pour marquer un rejet que je ne saurais expliquer autrement.

Je sais tout cela mais pourquoi enfin ça ne s’arrête pas?

Réponse de Brigitte :

Votre cauchemar pourra prendre fin quand vous cesserez de vous en vouloir d’avoir été le vide ordure de deux meurtriers qui ont fait de votre vie un immense désarroi. Ca ne vous suffit pas de leur avoir sacrifié votre épanouissement, votre liberté, votre santé ? Vous pouvez leur offrir le reste de votre vie en les plaignant ou vous pouvez SAUVER votre énergie vitale en les envoyant définitivement au diable. BO