La terre et l’homme
Sunday 13 April 2008
Chère Alice Miller,
Je viens de lire un ouvrage d’un agriculteur japonais, Masanobu Fukuoka, qui s’intitule La révolution d’un seul brin de paille. Il s’agit d’un livre sur l’agriculture sauvage, mais aussi plus largement sur l’Homme.
Depuis plusieurs dizaines d’années, cet homme vit dans sa ferme et pratique l’agriculture sauvage, c’est à dire qu’il limite au maximum l’intervention de l’homme dans le processus de culture. Je vous propose quelques lignes de la préface du traducteur en français du livre:
» L’agriculture sauvage ne nécessite ni machines, ni produits chimiques et très peu de désherbage. M. Fukuoka ne laboure pas la terre et n’utilise pas de compost préparé. […] Il n’a pas labouré la terre de ses champs depuis 25 ans et cependant leur rendement peut être favorablement comparé à ceux des fermes japonaises les plus productives. Sa méthode agricole demande moins de travail qu’aucune autre méthode. Elle ne crée aucune pollution et ne nécessite pas d’énergie fossile. […] La distinction fondamentale est que M. Fukuoka cultive en coopérant avec la nature plutôt qu’en essayant de l’ « améliorer » par la conquête. »
Je lisait ce livre par simple curiosité, et j’ai été frappé par la correspondance entre ce que l’Homme fait à ses enfants et ce que l’Homme fait à sa Terre. Je vous adresse ce courrier car il me semble que Masanobu Fukuoka est à l’agriculture ce que vous êtes à l’éducation des enfants.
A la lecture de vos livres, il en ressort qu’un enfant ne doit pas être éduqué, au sens où on l’entend aujourd’hui. Un enfant n’a pas besoin qu’on le « civilise », tout comme on a civilisé les « barbares sauvages » lors de la colonisation. Il a besoin d’amour et de modèle. L’enfant doit être laissé librement auteur de sa propre personne. Aucun adulte ne peux légitimement s’imposer à un enfant pour le « cultiver », l’éduquer. S’il est laissé libre, il sera lui-même, il sera un être humain sain car il aura été nourri par l’amour au moment où cela lui était indispensable.
Masanobu Fukuoka explique qu’il en est de même pour les végétaux. Il remarque que les plantes torturées (par des tuteurs, des tailles) seront fragiles, tomberont malades, et devront recevoir des soins chimiques pour pallier aux attaques des insectes et des maladies. Au contraire, des plantes laissées libres de s’épanouir comme il leur est nécessaire, des plantes enracinées dans un sol non labouré, nutritif car laissés libres de s’enrichir naturellement, seront plus fortes, à tel point que tout traitement chimique devient inutile. Les plantes qu’il fait pousser dans son champ sont plus gouteuses et plus nutritives.
L’Homme fait subir à sa Terre les mêmes maltraitances qu’il fait subir à ses enfants. Il veut tout contrôler, s’imposer dans le développement naturel des choses, car il est persuadé qu’il le faut, parce qu’on lui a à lui-même imposé un développement violant son développement naturel.
Nous ne sommes aujourd’hui que des arbres torturé par des tuteurs absurdes qui négligent notre développement naturel. Ce mode de culture nous rend malade car il est contraire à ce que l’on est naturellement. L’Homme a besoin d’un humus riche, fourni par ses parents, et de Soleil, pour savoir vers où pousser. Il n’a ni besoin de tuteurs, ni de produits artificiels pour être stimulé.
J’espère que vous comprenez pourquoi je vous invite vivement à lire ce livre. Je pense qu’il mérite qu’on le lise pour se rendre compte que le problème de la maltraitance des enfants n’est pas un détail dans notre civilisation, mais qu’au contraire, c’est la source de tout.
J’ai vraiment l’impression que les conséquences de votre découverte sont vertigineuses Madame Miller.
Merci,
Réponse de Brigitte:
Merci beaucoup pour ce parallèle magnifiquement illustré entre l’agriculture sauvage et l’éducation de l’homme qui démontre bien les conséquences des manipulations humaines. Vous avez compris le sens profond du mot éducation qu’Alice Miller nous donne depuis des années, c’est pourquoi vous pouvez si facilement associer ce respect à la nature. BO