Enfant joyeuse et adulte complexée

Enfant joyeuse et adulte complexée
Saturday 19 November 2005

Chère Alice,
Par hasard je trouve votre livre “Pour ton bien” d’occasion dans un kiosque de Lausanne; je le lis avec avidité car je commence à comprendre bien des choses sur moi-même et l’éducation que j’ai reçue. Je suis née en 1942 et c’est ma mère qui s’occupait de l’éducation des trois enfants, la fessée était donnée avec la tapette à tapis et je me retrouve bien dans vos descriptions (oubli des punitions subies dans la toute petite enfance, amour et culpabilité, etc.) Je m’étais toujours demandé pourquoi de l’enfant que j’étais à 3 ans, pleine de vie, joyeuse, drôle, que ma mère me décrivait j’étais devenue une adulte complexée et triste. J’ai couru les thérapeutes, j’estime m’en être sortie mais je n’ai jamais retrouvé cette petite enfant en moi. Votre livre, que je n’ai pas encore fini, me donne l’espoir de la retrouver un jour.
Aujourd’hui en première page du quotidien “Le Matin” l’image d’un enfant se protégeant de coups avec “Un enfant sur trois battu “Il faut une loi antibaffe!” La conseillère nationale Ruth-Gaby Vermot (PS/BE) veut une meilleure protection des mineurs, mais aussi aider les parents.
C’est encourageant, non ? Je me demande si Mme Vermot a lu vos livres. En tout cas elle est sur le bon chemin. Elle propose que l’enfant soit reconnu comme un individu à part entière.
Je vais commander votre nouveau livre. Merci pour votre courage.
Avec ma reconnaissance et amitié,
N.W.
P.S. J’ai lu pas mal d’ouvrages de Wilhelm Reich qui vont un peu dans le même sens, dont Le meurtre du Christ.

A.M.: Merci de votre lettre . Rien qu’un enfant sur trois battu? Un sondage en France que j’ai initié a rapporté, il y a trois ans, que 89% des mères ont repondu d’avoir commencé battre leurs enfants à l’âge de 18 mois. Seulement 11% ont dit qu’elles ne battaient du tout leurs enfants. Cela veut dire qu’un enfant sur dix n’est pas battu en France où la fessée est une vache sacrée. Et ailleurs? En Suisse? En Yougoslavie? En Rouanda?

Réponse de Brigitte:
Je suis touchée par votre lucidité à ne pas “avaler” le tableau idyllique de votre enfance que votre mère vous a dépeint alors que vous êtes devenue une adulte complexée et triste. Aucun enfant fessé à la tapette ne peut être si enjoué qu’elle le prétend, d’ailleurs votre corps ne peut entendre cette absurdité et il vous le dit bien en manifestant cette tristesse.
C’est dans ce malaise que vous pouvez rencontrer cet enfant que vous recherchez, permettez-lui de pleurer aujourd’hui toute cette tristesse accumulée et d’enrager devant autant d’injustice.
Il y a bien des occasions dans le quotidien où nous sommes confrontés à des situations qui nous connectent à des émotions, c’est un moment privilégié pour retrouver cette mémoire que nous avons enregistrée dans le passé mais que pour des raisons de survie nous avons préféré occulter.
Quand nous avons fait le lien avec l’enfance, que nous avons senti combien nous étions impuissant devant nos bourreaux, alors l’adulte que nous sommes peut réagir sans craindre les représailles du passé, parce qu’aujourd’hui il peut se défendre.
Je vous propose aussi de lire l’article “Le chemin le plus long ou : que faut-il attendre d’une psychothérapie ?” que vous trouverez sur le site d’Alice Miller.
Avec toute ma compréhension.

Brigitte.