Douloureux d’être témoin éclairé

Douloureux d’être témoin éclairé
Tuesday 13 September 2005

Bonjour madame Miller ,

C’est avec bonheur que j’ai lu vos livres cet été . Cette lecture m’a
réconforté . Elle m’a aidé à comprendre la “dureté” des adultes envers
les enfants et à avoir de l’empathie pour leur vécu d’enfant . Cela m’a
aussi confirmé ce que je pressens depuis quelque temps : que ma
capacité de percevoir et de ressentir les émotions des enfants est
relativement ” anormale ” (ma fille de 9 ans m’a dit texto il y a
quelques jours: “ce que tu es la seule à savoir faire- enfin dans le
monde je pense qu’il doit bien encore exister d’autres adultes qui
savent le faire- c’est que tu sais ressentir les choses comme les
enfants ” ).
Maman de 4 enfants, assistante sociale menant des interventions
psycho-sociales dans les écoles, j’ai souvent été effarée de la façon
dont les adultes refusaient d’entendre et/ou d’accueillir la souffrance
des enfants ( ou en étaient incapables ) et à laquelle ils
participaient ( par les cris , les punitions , les humiliations , le
non-respect de leurs besoins dans ” l’éducation ” fondée sur la
soumission aux attentes des adultes, voir la violence physique…). Je
les trouvais monstrueux et pervers jusqu’à ce que je comprenne que
cette faculté de ressentir les émotions des enfants , ils ne
l’avaient pas . Je croyais que c’était donc chez moi , une “erreur” de
la nature , une espèce de psychotisme … Les personnes chez qui j’ai
rencontré la même sensibilité étaient toutes des résiliantes (
artistes ou enseignantes ) , ex-victimes d’abus et d’inceste . J’en ai
alors déduit que c’était une (douloureuse ) “faculté” que nous avions
développé suite à ce traumatisme . Un espèce de bloccage dans le monde
de l’enfance .
La lecture de vos livres n’a pas éliminé la violence des émotions de
révolte, de peur, de colère ou d’horreur que je ressens quand on manque
de respect à un enfant et le dégoût envers moi-même quand la
stupéfaction ou la lâcheté m’empêchent de savoir prendre leur défense
de manière efficace . Mais il y a aussi quelque chose d’étrange qui
m’arrive depuis la lecture de vos livres : un sentiment très violent
qui s’est réveillé, de colère et de dégoût profond envers mon père (
je n’en connais pourtant pas l’objet ). Ayant eu la chance d’avoir
croisé sur ma route des personnes bonnes qui m’ont aidé à retrouver ma
dignité, alors que je croyais avoir accédé à ma liberté intérieure par
rapport à mon père et l’éducation “pédagogie noire” ( je ne me
souviens pas de violences physiques , il était un ” adepte des théories
sur la non-violence”, mais il utilisait la manipulation et la
violence psychologique par une éducation religieuse digne des témoins
de Jéhovah) , mon corps se met à réagir tout à coup: j’ai attrappé
plein d’eczéma derrière les oreilles , suintant , coulant (comme des
larmes de pus dans ce creux de l’oreille , dans ce pli caché et sombre
…) c’est arrivé cet été quand j’ai reçu par deux fois une carte
postale de sa part et maintenant ça coule dès que je pense à lui … Si
je vous entends bien ce serait une souffrance cachée encore, qui date
de la toute petite enfance… Pourquoi aurait-elle tant besoin d’être
entendue ? Le corps exige-t-il de tout soigner jusqu’à la moindre ”
égratinure”? Ou bien signifie-t-il seulement ce qui a été une
“maltraîtance” qui ” saignerait ” encore ?
Serait-ce cette souffrance cachée qui fait qu’être témoin de ce que
les enfants ressentent (les enfants me racontent souvent des choses
qu’ils n’ont jamais raconté à leurs parents. Un jour une fille de 11
ans a expliqué cela en ces termes : ” M. au moins , elle est
choquée…) me parait si douloureux , et si terrifiant et honteux le
fait d’être le témoin des attitudes ” éducatives ” des adultes ?

Je serais heureuse d’avoir une réponse à ces questions .
Et si ce témoignage peut en aider d’autres , vous pouvez l’utiliser .

Je vous remercie , madame Miller d’écrire tous ces livres qui , j’en
suis sûre , permettront aux hommes d’oser entrer dans le respect des
petits êtres qui leur sont confiés .

Je choisis comme pseudonyme Madeleine .

A.M. : Voici la réponse de Brigitte, un membre de notre équipe, à votre lettre :

Madeleine,

quand je lis votre témoignage, je ne peux m’empêcher de réagir, tellement vous donnez les réponses à vos questions. Vous avez grandi près d’un père qui vous a donné une éducation digne des témoins de Jéhovah en vous manipulant et en vous infligeant des violences psychologiques. Par deux fois il vous adresse des cartes postales et votre corps crie en manifestant un eczéma suintant en larmes de pu derrière les oreilles qui coulent dès que vous pensez à lui.

Par les bonnes personnes que vous avez croisé sur votre route, vous avez retrouvé votre dignité en croyant avoir accédé à votre liberté intérieure par apport à votre père. Qu’est ce que ça veut dire? Des émotions de colère et de dégoût se réveillent envers cet homme en lisant les livres d’Alice Miller, vous dites ne pas en connaître l’objet mais votre corps, lui, a gardé en mémoire la pédagogie noire que vous avez subie.

Votre corps est la clé de votre mieux-être si vous osez ouvrir les yeux sur l’histoire de votre enfance. Vous pouvez vous fier à son langage et à sa vérité, il ne vous trahira pas, il n’exige rien, c’est notre parent qui exigeait, il vous raconte ce que vous avez vécu et peut-être oublié sans minimisé ou édulcoré, c’est tout.

Avec toute ma compréhension. Brigitte.