La thérapie en danger

La thérapie en danger
Tuesday 16 October 2007

Chère Madame Alice
C’est un grand plaisir de vous retrouver! En effet, j’ai lu 2 de vos livres vers 1990. Ils étaient sur les tablettes d’une bibliothèque d’un centre d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale où je travaillais. Je me souviens avoir ressenti un grand soulagement du genre : « Wow! Enfin, quelqu’un qui dit ce que je pense au fond de moi! » Mais je n’étais pas consciente que je le pensais. C’est vous qui avez pesé sur le bon bouton.
Enfant, mon père me battait. Il disait vouloir me dompter. Ma mère pleurait et tentait de l’arrêter. Le plus souvent, c’est à moi qu’elle demandait d’arrêter, comme si elle savait bien que mon père perdait les pédales. Donc, c’était moi, l’enfant qui devait me et nous raisonner, finalement!
Vos 2 livres (enfant doué et sous terreur) prenaient mon parti. La première fois qu’un grand prend pour moi. Merci Alice Miller.
J’ai 56 ans. Dernièrement, c’est par Internet que je vous ai retrouvée sans vous chercher consciemment. J’ai crié pour moi : C’est Alice, mon amie! Enfin!
J’ai lu au complet le contenu de votre site. Je suis allée à ma bibliothèque municipale chercher quelques-uns de vos titres et me voilà. Bien que je partage votre point de vue, j’accroche quelque part sans trop savoir où.
Lorsque vous parlez de Freud et du fait qu’il ait viré son capot de bord pour protéger ses parents ou parce qu’il avait peur d’eux, je me dis que, au fond, il avait peur pour lui. S’il dit la vérité, aura-t-il du crédit aux yeux de la société?
Les gens mentent souvent pour se protéger. C’est lâche. On fait payer des innocents pour se protéger de nos propres responsabilités. Mais, il me semble que souvent, on fait ça.
Alors, les thérapeutes d’aujourd’hui, disons, ils nous aident à trouver nos peurs d’enfants. Un coup que cela est fait, ils disent de pardonner. Pourquoi? Ils veulent protéger leurs parents ou leur propre histoire d’enfants sans doute. Mais ils ont peur pour eux, aujourd’hui. Est-ce que mon client va accuser ses parents? Est-ce que les médias vont le savoir? Est-ce que je serai montrée du doigt? Vais-je devoir m’expliquer et parler de mon propre vécu? La violence de l’enfant se passe en cachette. C’est privé. On a honte quand on est victime et on veut pas que ça se sache. Quand ça se sait, faut trouver des coupables, des boucs émissaires, des fausses raisons. Le thérapeute ne veut pas courir de risque d’être semeur de troubles. Il se protège, lui, et non ses parents ou de ses parents. Ne croyez-vous pas?
Et puis, si j’aide l’adulte jadis enfant maltraité, que des enfants d’aujourd’hui se reconnaissent, qu’on porte des accusations, qui s’occupera de ces enfants? Un peu comme le juge qui n’emprisonne pas le conjoint violent : qui apportera de l’argent à la maison pour faire vivre la maisonnée. C’est ridicule mais c’est ce qui se passe. Les enfants disent à leur mère de ne pas porter plainte : on peut pas envoyer papa en prison. C’est pas nous, ce sera le juge (peut-être!) qui emprisonnera. Mais tout ce réseau de culpabilité. On fait donc semblant, on se tait, on dit à la victime de pardonner car c’est la solution la plus simple pour le thérapeute et la société (qu’on pense). La solution qui ne fait pas trop de remous…
Revenons à Freud. Que lui serait-il arrivé à lui, disons professionnellement, s’il ne nous avait pas menti?
Est-ce que je vous fais comprendre correctement mon questionnement, Madame Alice?
Merci de votre attention, et toute ma reconnaissance pour votre appui inconditionnel aux enfants, donc à nous tousssEs!!!

Réponse de Brigitte:

Malheureusement vos réflexions sont le constat d’une tragique réalité. Pour rester dans le déni et pour nous maintenir dans les peurs, tout est bien organisé pour continuer à protéger les parents et maltraiter nos enfants en toute impunité sous le couvert de l’éducation.
Depuis l’existence de la fondation de “la fausse mémoire” (voir Google) aux États Unis, les thérapeutes lucides prennent le risque d’être accusés par les familles ou la justice d’influencer le patient à croire qu’il a été maltraité ou abusé par les parents. Ce qui peut effectivement décourager ou faire peur aux thérapeutes d’accompagner leur patient dans la découverte de leur histoire d’enfant.
Ce que Freud n’a pas eu le cran de faire en maintenant la vérité sur la réalité des causes et des effets de la maltraitance, Alice Miller l’a fait SEULE aux prix de reproches, d’attaques douloureuses et de la haine de toutes les sociétés. Heureusement, ces longues années de recherches mises à notre service commencent à éclairer et rendre la liberté à de nombreux lecteurs mais c’est loin d’être suffisant pour guérir notre planète de la violence. BO