Peut-on vivre heureux ?
Wednesday 24 February 2010
Chère Madame
Je sais peu de choses de l’enfance de mes parents. Ma grand-mère paternelle n’a pas aimé ses cinq enfants, leur jetant parfois des pierres lorsqu’ils venaient la solliciter. Mon grand-père était indifférent. Mais mon père a trouvé auprès de sa soeur aînée une personne aimante et attentionnée. Ma mère avait huit frères et soeurs et sa famille la surnommait “miette”, ce qui en dit long sur le peu de considération dans laquelle on la tenait. Mes parents ont donc grandi dans le besoin d’amour.
Vous insistez souvent sur le fait que des êtres en souffrance prennent leur enfant pour substitut dès son plus jeune âge. Il ne me semble pas que mes parents aient été particulièrement nocifs au début. C’est plus tard, lorsque mon père a eu peur de son désir d’inceste qu’il s’est montré violent. C’était moins souvent une violence physique que morale laquelle passait par un rejet systématique de ma féminité, par des insultes et des humiliations continuelles. Le seul monologue qu’il me tenait sans susciter ma crainte, tenait à sa vie sexuelle avec ses amantes. Ma mère s’est mise à boire de plus en plus. Son alcoolisme était tabou. Nous appelions cela de la fatigue et il y avait des degrés de fatigue. Quand elle était très fatiguée, le repas du soir n’arrivait pas nécessairement jusque la table. Ma petite soeur et moi allions alors au lit sans manger.
J’ai traversé l’adolescence comme un mauvais cauchemar. Je n’avais aucune confiance en moi, aucune estime. Je recherchais les situations d’échec. Adulte, j’ai répété des liaisons avec des hommes égocentriques, immatures, aux passés complexes. J’ai essayé les médicaments et l’alcool, j’ai changé de langues et de pays. Je suis aujourd’hui marié à un homme que je croyais différent faute sans doute de maîtriser sa langue et sa culture. Nous avons eu un enfant. Lorsque je me suis trouvée enceinte, une angoisse insubmersible m’a serré le ventre. Je me sentais incapable d’être une bonne mère. Puis j’ai découvert vos livres et une énorme colère s’est mise à bouillir au fond de moi. J’aurais voulu taper dans les murs jusqu’à les trouer.
Aujourd’hui, mon garçon a trois ans. Il est magnifique. Je m’applique le plus possible pour qu’il ne soit jamais un substitut de mes soifs d’enfance mais qu’il se développe sereinement. Malheureusement, je n’ai pas trouvé avec mon mari un équilibre à trois. Chez lui aussi, cette naissance a fait surgir des problèmes mais tout se passe comme si il m’en tenait responsable. Il adore son fils mais avec moi, il se montre aigri et verbalement méchant. Je n’ai pas les moyens matériels de divorcer, ni de rentrer en France. Je travaille sous contrat temporaire et j’ai déjà 44 ans. Je voudrais juste savoir si les enfants maltraités sont condamnés à avoir une vie intérieure toujours difficile et angoissante. La présence de mon fils m’ensoleille mais il n’est pas tout mon monde et je me demande tristement si je serai capable un jour de me sentir bien dans ma vie…
Je lis souvent les lettres publiées sur votre site. Beaucoup de personnes font preuve de courage et parviennent à briser le cercle infernal des maltraitances, ce qui permettra à leur enfant de grandir en paix. Mais parviennent-elles à vivre heureuses ou est-ce un combat perpétuel avec leurs souvenirs enfouis ?
Respectueusement
Réponse de Brigitte :
On peut rester toute sa vie enfermé dans les angoisses de son passé tant que l’on ne fait pas la lumière sur la réalité des traitements que l’on a subis. De cette façon, on peut rester esclave de situations que l’on ne souhaite pas comme l’enfant de jadis impuissant devant le pouvoir abusif de ses parents. Le chemin est long pour récupérer notre capacité à nous défendre et à réagir mais c’est tout à fait REALISABLE surtout à 44 ans. BO